L’érotisme du bitume
Le salon Eropolis de Caen. L’occasion pour Gonzo et Rechi d’aller traîner leurs guêtres en Normandie. Aller-retour express et récit à quatre mains, les doigts moites et bien emmêlés.
“Vous êtes arrivés en gare de Caen. Caen, deux minutes d’arrêt.” Les yeux encore mi-clos, il est à peine onze heures quand on s’extirpe du brouhaha de la gare, en quête d’un petit expresso pour se refoutre les idées à l’endroit. On opte pour le “36e sandwich”, l’odeur dantesque de ce rade pourri nous remet rapidement les idées en place, plus efficace en tout cas que le jus de chaussette qu’on nous sert. Ces préliminaires caennais terminés, on se dirige vers un resto local histoire de prendre des forces avant d’attaquer notre affaire du jour. Autour d’une araignée de boeuf et de quelques pressions bien fraîches, on attend patiemment quatorze heures pour l’ouverture du monument populaire qui nous amène en Normandie: le salon Eropolis.
Pour ce qui est du tableau en apparence, rien d’extraordinaire. Eropolis est un salon de l’érotisme itinérant qui parcoure la France quasiment tous les week-ends avec ses exposants, ses shows, sa zone « adulte » et ses commerçants toujours prompts pour reprocher à la crise et l’euro de plomber les affaires. Après trois années d’absence le salon revient à Caen mais ce n’est visiblement pas la fête escomptée. Catherine, l’organisatrice, nous remet nos badges de presse en plastoc mais n’affiche pas l’enthousiasme des grands jours. Elle s’excuse d’entrée pour la gueule de l’endroit. Dans ce parc des expositions situé en périphérie de la ville, la froideur du bitume n’a d’équivalent que le vent qui vient s’engouffrer dans les interstices du bâtiment. Chauffage en berne, pas même de moquette au sol pour cacher la misère, on est loin du lieu imaginé pour faire parler l’érotisme. Il fait à peine 8 degrés en ce samedi grisâtre, les filles peu vêtues ont la chaire de poule et tentent difficilement de maintenir le sourire. Passés les banalités d’usages et un regard furtif pour jauger la foule, Catherine nous abandonne à notre sort. Notre plongée dans les tréfonds de l’érotisme populaire français peut commencer.
Frisson
Le salon est vaguement divisé en trois parties organisées autour d’un centre névralgique où les exposants affichent leurs meilleurs produits. Le sextoy y règne en maître. C’est la foire au godemiché à dix euros. Du petit machin de poche à la mode au modèle Bertha de compétition, tout y passe, pour le plus grand plaisir de Gisèle et Michel. Pour le reste, on retrouve la came typique d’un sexshop, de la lingerie coquine aux parfums de Pierrot. Et au milieu de ce joyeux bordel, un mec a même le bon goût de vendre des presse-citrons. Tu comprendras que le rapport direct à l’érotisme nous laisse un peu perplexes. Quelques mètres plus loin, au fond de l’entrepôt, s’amorce le début des hostilités. Sur la scène principale, le strip-tease d’une fille aux seins siliconés à la pompe à air, nous fout un gros doute quant à la nature exacte de son anatomie. Frisson en mode tranny avec sa culotte dans le viseur; qu’elle prend bien son temps pour enlever. Angoissant. Finalement on n’arrivera pas à trancher – atrophie autant due au froid qu’au Myspace angle – on part se servir à la buvette.
Quelques instants plus tard, du côté du stand des vendeurs de cuirs, je croise le regard d’une fille aux pommettes rosées par tous ces courants d’air. J’ai envie de réchauffer son petit corps tremblant ou de l’emmener prendre un café, mais son N+1, peu bavard, n’a pas l’air de l’entendre de la même oreille. Il a un business de corps à faire tourner, ses yeux font “écartez-vous les parigots, vous ralentissez mes affaires”. Même rengaine du côté de la limousine Dorcel. Impossible d’arracher quoi que ce soit de croustillant au mec qui gère la billetterie. À l’intérieur, pour la modique somme de soixante euros, vous pouvez vous offrir dix minutes en tête- à-tête, avec Jade Laroche, l’une des deux égéries actuelles de Daddy Marc. Alors qu’on s’octroie une petite pause pour griller une clope sur le parking, on fait la connaissance de trois autochtones d’une vingtaine d’années venus pour en prendre plein la gueule. Des mecs prêts à lâcher du bif. Exaltés par la perspective de pouvoir enfin tester du salon de l’érotisme à domicile, ils nous racontent leur petit moment privilégié avec Jade. Un strip-tease, deux trois coups de gode, le tout sur un fond sonore pérave tout droit sorti du téléphone de la belle. Pas de quoi pavoiser, nos trois garnements sont d’ailleurs déception. Soixante balles pour rien toucher du tout, le business de la frustration tourne à fond.
Si si la famille
Le besoin de se réchauffer – leitmotiv constant de notre épopée – se fait de plus en plus sentir. On cherche la chaleur dans le bitume et on sait maintenant où la trouver. Le vin n’est pas dégueu au lounge et sur sa barre bancale, une fille se balance. On se jauge en passant, elle cale ses fesses contre la barre pendant qu’on lève nos coudes au comptoir. Que le spectacle commence. Assis devant elle, un quarantenaire chauve a le regard hagard et tient canette de bière et son gobelet d’une main molle. Le personnage semble hypnotisé par ce joli corps qui ondule avec souplesse. Sur sa droite, maman n’existe plus, il se délecte de chaque seconde du show. Une fois l’affaire pliée, il remballe son oeil perdu pour déposer au bar sa canette vide, le sourire empli de satisfaction. Il rejoint alors maman, la prend par le bras et l’emmène vers d’autres cieux. L’espace de dix minutes, il a oublié à moindre frais son travail, ses gosses, sa petite vie et sa femme.
Dans l’absolu, la populace est assez loin des clichés ancrés dans nos petits cerveaux déformés de parisiens. Le salon attire beaucoup de jeunes, venus reluquer des petits culs et déconner, mais aussi des notables du coin, souvent en couple. C’est une ambiance familiale mais sans les marmots. Ça s’agglutine dans la bonne humeur devant les shows et ça déambule nonchalamment entre les stands. La France dans toute sa diversité traîne ses petites pattes de coquine dans ces bacs remplis d’artifices pour “avoir une vie sexuelle épanouie”. Eropolis est un vivier social exceptionnel qui ferait pâlir n’importe quel politique en quête de voix pour se faire réélire aux cantonales. La partie “tournage X” constitue sans doute la seule exception notable. Elle attire exclusivement des mâles plutôt vieux, venus dépenser une dizaine d’euros pour une dizaine de minutes de fantasmes. On renonce à s’incruster, autant à cause de la foule compacte devant l’entrée que du propriétaire de la guitoune, pas vraiment impressionné par nos badges de presse à deux balles. On laisse alors nos amis en passe de réaliser un rêve pornographique pour aller tester la zone adulte.
Les bikers du porn
Passés le rideau et le mec de la sécurité, on tombe sur Sabrina Sweet et son mec tatoué jusqu’aux os. Ils tiennent un stand à strip. Je suis tenté de négocier un taro mais me ravise rapidement, craignant que mon haleine chargée ne trahisse un pas trop chancelant. J’opte du coup pour l’option corporate en prenant quelques nouvelles de ses affaires. Ça se présente plutôt pas mal pour sa gueule, avec plein de projets à l’étranger, Budapest, l’Angleterre avec Harmony et bien sûr le saint Graal américain. Mais y’a un hic. L’ambition de notre punkette porno de Compiègne est un peu freinée par la loi. Impossible d’avoir un agent, le droit français l’assimile à un proxénète. Forcément ça l’emmerde parce que le porn game est en définitive comme n’importe quel autre marché – difficile de percer quand on n’a pas d’intermédiaire. La situation est d’autant plus aberrante que les actrices sont considérées comme intermittentes. Mais évidemment, personne n’a pensé à passer un coup de fil à Frédéric Mitterrand pour lui expliquer le problème.
Trois minutes plus tard, on a déjà complètement oublié cette histoire alors qu’on aperçoit le stand de Numericable qui fait la promo de la 3D de Dorcel. Je laisse mon compère qui virevolte au vent de la vie, au vin de joie, tester le bordel. Avec ses lunettes il ressemble à s’y méprendre à un type qui prépare fièrement un sale coup dans Sons of Anarchy. On est les bikers du porn. Et le compère, il peut te dire qu’il est au top. L’alcool commence à ronger mon petit cervelet. En soi, la vidéo pue la mise en scène exagérée pour servir le propos de la technologie. Plan à trois. Un mec devant qui se fait sucer. La meuf au milieu qui récite sa partition de flûtiste et un troisième lascar derrière un bar qui lui cale des doigts, izy, tout en se servant un get-vodka-perrier eastonnien. Je commence à être complètement ivre, calé sur mon tabouret avec mes lunettes 3D. Le renoi derrière mon épaule et le mec du stand de Numericable ont complètement disparu de mon esprit. Avec le recul, ça m’étonnerait que je rapporte avec exactitude la scène de ce porno tridimensionnel, mais une chose est limpide, si les effets ne sont pas parfaits et la mise en scène encore largement surfaite, Dorcel risque une nouvelle fois de se faire des couilles en plaqué or avec cette connerie. Derrière nous Tina Lys s’entraîne seule sur une barre branlante de strip, entourée d’un paysage de béton; image saisissante d’un porno français qui veut encore y croire. C’est le moment d’avancer vers le fond de la salle, non sans un calendrier Dorcel un peu cheapos dans la besace.
Sans qu’on nous prévienne, on se retrouve catapultés au coeur du tourbillon qui aspire l’espèce humaine dans ces salons chelous: les shows qui suintent la cyprine et le lubrifiant. Sur un podium aussi pourri que celui de la kermesse de mon école primaire – avec comme seul décor un palmier weirdo en néons – Sabrina Sweet et Delya Saw sont en furie ou plus exactement simulent de l’être à merveille. Doublette parfaitement réglée, elles se mettent quelques misères à coups de godemichés sur du Marylin Manson devant un parterre de bien trois-cent personnes au taquet. Je ne peux m’empêcher de repenser à cette scène glauquissime de Requiem for a Dream où Jennifer Connelly se livre à une infâme partie privée, allongée sur une table, telle un corps prêt à être disséqué, tout ça pour se payer sa came, sous les cris sauvages d’une foule faisant pleuvoir des billets. Amplifiée par l’alcool, la scène paraît irréaliste, presque pathétique. Le murmure dans la salle bétonnée est omniprésent, les jets de billets étant ici symboliquement remplacés par les centaines d’appareils photos brandis en l’air. Et bizarrement, pour la première fois de la journée, je sens ma queue frétiller légèrement dans les tréfonds de mon boxer.
“T’en connais des actrices?”
Le show à peine fini, on retrouve nos jeunes déçus de la limo rose. Ils sont venus pour rentabiliser et voir de l’actrice X. C’est l’obsession d’un des trois qui n’a qu’une parole à la bouche “T’en connais des actrices? Y a moyen?”. Le garçon a un peu cru qu’on était un Relay Porn mais il reste sympathique, pas du tout freaky, plutôt à se faire chier en Normandie où les zones sexy sont rares en dehors des inévitables clubs échangistes. Mais ce n’est pas leur truc, on peut les comprendre, ils sont de la génération porno élevée à youporn et aux posters H&M, ce qu’ils veulent c’est voir l’IRL des URL. L’un d’eux, branché sur secteur, nous promet qu’il va revenir beurré ce soir et ira se branler secos sur le podium. Catherine nous avait prévenus que vers 21h l’ambiance allait se réchauffer. Pas sûr qu’elle pensait à ça.
Inévitablement nos pieds nous ramènent encore et toujours au bar lounge où la foule s’amasse et bave devant une nouvelle danseuse. On assiste cette fois à la version gang-bang du type qui avait oublié maman l’espace d’une danse. Nos coudes commencent à piger le plan et viennent se coincer tranquillement contre le bar. C’est là qu’on fait la rencontre de Jérôme, visiblement intrigué de voir deux mecs mater un strip tout en grattant sur un calepin. Le gars est militaire, carreleur, couvreur, plombier… La machine à tout faire. Il a roulé sa bosse dans ces sales plans mais c’est avant tout un niqueur-né. Alors il confesse à tour de bras: “Angel là-bas? Je l’ai niquée. Celle que tu vois là-bas? Pareil”. Incroyable, on est tombés sur LE queutard d’Eropolis, le mec qui sillonne la France de salon en salon, de tchatche en tchatche, de baise en baise. Le grand gaillard au poil ras nous annonce qu’il en est à son soixantième en un an. Difficile à croire, mais il n’empêche qu’il est capable de nous sortir une anecdote sur le salon de la semaine précédente à Toulon. Caen-Toulon, la diagonale du vide pornographique en France. Notre Jérôme parle vite, assurance à toute épreuve, et avance qu’il peut faire n’importe quel job mais que s’il y a bien une voie qu’il est persuadé d’avoir trouvée, c’est celle des gonzesses. C’est son truc, c’est sa vie, le bougre a une éolienne dans le slip et le vent en poupe, pas de souci pour son mojo, il est garanti à vie. A partir du moment où y’a un petit cul dans les parages, Jérôme est toujours là. On le quitte, il nous sourit comme un gamin, les mains pleines de faux billets qu’il prépare à mettre dans le string de la pole-danceuse. Il n’en peut plus de sourire. Il est heureux.
Prise d’otage en public
L’heure tourne comme nos têtes, le dernier train pour Paris est à seulement 19h, on chiale un peu parce qu’on sait très bien qu’on va rater la pointe du mojo d’Eropolis, mais on avait pas forcément prévu de passer douze heures dans la fournaise caennaise. Sur scène, ça commence à chauffer sévère, un type habillé en SWAT nous fait le coup de l’enlèvement. Si en temps normal ces mecs sont là pour sauver la population, il la joue un peu à l’envers cette fois en prenant en otage une petite go du public qu’il cale avec autorité sur une chaise au milieu de la scène. Le gars lui sort le grand jeu, fait semblant de la ken. La meuf, elle, se laisse faire, un peu gênée mais à la coule en même temps, pas malheureuse de se faire palper les boobs et de lui caresser un peu la quine sous le regard amusé de sa bande de copines. Pour la première fois de la journée, nos regards se croisent avec une petite lueur jusque là pas encore aperçue: ce petit jeu devient excitant. Le gars de la section d’assaut commence à lui faire tâter ce qu’il a dans le slibard. La meuf ne se démonte pas, visiblement elle en a vu d’autres. J’envoie une demi-gaule et réalise que ça fait chier de se casser alors qu’on commençait à avoir une vraie interaction avec le public et le béton.
En se dirigeant vers la sortie, saouls comme jamais, on remarque que les filles sont de plus en plus nombreuses et mignonnes. Je repense à Jérôme qui a dû flairer l’astuce et qui doit déjà être en train de poser ses marques dans les toilettes du salon. Presque la mort dans l’âme, on monte dans notre train pour Paris, non sans s’être préalablement équipés d’un bon stock de bières choppé chez le rebeu du coin – en l’occurrence une petite vieille normande – histoire de continuer à se mettre une pile. Telles des cailleras écumant les parcs en été, on s’incruste auprès d’une étudiante aux beaux arts qui trie les photos de sa dernière performance artistique, étalées sur quatre tablettes. Elle aussi revient d’une excursion d’une journée en province, une exposition de photographie à Cherbourg nous lâche-t-elle, emplie de dédain pour les deux poivrots face à elle. On lui raconte d’où on arrive et la boucle se referme quand elle nous jette le même regard hautain qu’on avait avant de pénétrer dans l’univers parallèle d’Eropolis, quelques minutes avant de gentiment nous éconduire, prétextant qu’elle a “du travail”. Qu’importe son attitude misandre, on retourne à nos bières, avec le sentiment embué qu’on ne regardera plus jamais Caen comme avant.
Photos réalisées à l’aide d’un superbe iPhone 3GS, pardonnez-lui ses erreurs.
Le vendeur de presse-citron devait être ERIC DUPIN RIRE^^
Passionnant !!!
Je découvre votre site ce soir et me bidonne encore de votre reportage
Bravo
Super style et belle rigolade
Dieu à 60€, un show privéE parce que c’est féminin. Aucune fôte sur se carton ^^
Superbe article les gars !
Dans le mail reçu de l’organisatrice, qui n’a visiblement pas lu l’article, elle dit que nous sommes pas des professionnelles. Effectivement oui, on est pas des putes.
J’étais allée au salon Erotica Dream l’année dernière. Même ambiance. Pour 30 euros l’entrée j’ai eu droit à la came des sex shops, à une strip-teaseuse visiblement retraitée et à un show gratuit d’un chippendale venu faire du LOL.
En tout cas, il est kiffant votre article.
Misère sexuelle, misère sociale, misère économique. Toutes réunies en un seul endroit, cela relève de la prouesse.
Merci pour cet article très instructif, et aussi, bravo pour le style. Certains passages sont délicieux et permettent de compenser la crudité du réel.