En Californie, mobilisation de la dernière chance contre la Proposition 60
Les électeurs états-uniens vont passer beaucoup de temps dans l’isoloir le 8 novembre prochain. Ils vont avant tout choisir leur prochain président, la démocrate Hillary Clinton ou le très pornographique républicain Donald Trump. Ils devront également sélectionner une bonne partie de leurs futurs législateurs, députés de la chambre des représentants et sénateurs. Les maires, les juges, les conseillers municipaux et bon nombre d’autres élus locaux seront soumis à la voix du peuple dans la foulée. Dans dix Etats, les votants devront même nommer leur nouveau gouverneur. Sans oublier les 155 propositions qui passeront par les urnes ce jour-là : légalisation du cannabis en Arizona, augmentation de la taxe sur le tabac dans le Colorado, nouvelles régulations sur la vente de bière et de vin dans l’Oklahoma…
En Californie, les citoyens devront répondre à une question qui concerne directement les pornographes : veulent-ils de la Condoms in Pornographic Films Initiative, plus connue sous le nom de Proposition 60 (abrégée en Prop 60) ?
La Proposition 60, une méga Mesure B
La Proposition 60 a pour objectif d’imposer le préservatif sur tous les tournages pornographiques de Californie. Si elle venait à être adoptée, tout contrevenant pourrait être poursuivi par n’importe quel citoyen de l’Etat. En cas de condamnation, l’individu ou l’entité ayant fait l’objet de la plainte pourrait être obligé à payer des dommages et intérêts au plaignant. Le vrai nom et l’adresse de l’acteur ou de l’actrice concernée seraient révélés au cours du processus judiciaire, ce qui inquiète beaucoup l’industrie : “C’est tout simplement du harcèlement, a expliqué le performeur Alex Knight au magazine Hollywood Reporter. L’anonymat est très important pour nous.” Les partis Républicain et Démocrate de Californie se sont opposés à la Proposition 60, tout comme la plupart des grands journaux locaux. Pourtant, 55% des sondés se disent favorables à son adoption ; à trois semaines du vote, la mobilisation de l’industrie se durcit donc à vue d’oeil.
AHF VS FSC
Le lundi 17 octobre, plusieurs centaines de professionnels de l’industrie pornographique se sont réunis à Hollywood pour manifester contre la Proposition 60 à l’appel de la Free Speech Coalition. Le cortège rempli d’acteurs et de producteurs célèbres a arpenté le Sunset Boulevard en direction du siège de l’AIDS Healthcare Foundation, l’ONG milliardaire qui milite pour l’adoption de la mesure tout en gérant une ligne de pharmacies. Son patron Michael Weinstein, 63 ans, a déjà convaincu le comté de Los Angeles d’adopter la triste Mesure B en janvier 2012. Depuis, le port du préservatif est techniquement obligatoire sur tous les plateaux X de la ville. Les agences gouvernementales telles que l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) ont cependant refusé d’appliquer la mesure au motif de son inconstitutionnalité. C’est la raison pour laquelle Michael Weinstein a imaginé la Proposition 60 : grâce à elle, il souhaite autoriser “les lanceurs d’alerte et les particuliers à poursuivre les contrevenants quand l’Etat n’y parvient pas.”
#NoProp60
Afin de faire comprendre au public que la Proposition 60 est susceptible de forcer les pornographes californiens à l’exode, c’est à dire mettre en difficulté une très grosse partie de la production mondiale de X, la mobilisation du 17 octobre a également eu lieu sur Internet. Hier, les internautes dotés d’une adresse IP californienne qui ont visité les sites de Vivid, Evil Angel et Kink ont été accueillis par un pop-up les exhortant à voter contre la Proposition 60. Dans certains cas, le pop-up ne faisait qu’interrompre leur navigation ; dans d’autres, il les empêchaient tout bonnement d’accéder au site. Beaucoup d’autres studios se sont prêtés à l’exercice. PinkLabel, une société de production LGBTQ qui fait régulièrement appel à des préservatifs et des digues dentaires dans ses films, affiche le pop-up anti-Proposition 60 à tous ses visiteurs. Une condamnation solide qu’on retrouve sur Twitter où travailleurs du sexe, producteurs et fans ont changé leur avatar et se retrouvent autour du hashtag #NoProp60. Des gros producteurs mainstream aux petits outsiders queer, tout le monde est contre Michael Weinstein – ou presque.
Quatre voix divergentes contre une industrie déjà très contrôlée
Le patron de l’AHF a engagé deux acteurs pour apparaître dans des spots télévisés faisant la promotion de sa mesure, Derrick Burts et Cameron Bay. Le premier soutient qu’il a contracté le VIH lors d’une relation oro-génitale filmée. Pourtant, aucun de ses partenaires à l’écran, homme ou femme, n’a été testé positif au virus. La seconde affirme que le performeur Xander Corvus l’a contaminée lors d’un tournage pour le célèbre studio BDSM Kink. Il est pourtant séronégatif. Le blogueur Mike South soutient lui aussi la Proposition 60 : “Je pense que Dererk Burts et Cameron Bay ont contracté le virus à cause de l’industrie, affirme-t-il dans un billet de blog publié au début du mois d’août dernier. Ils l’affirment tous les deux et détaillent des circonstances de contamination qui tiendraient face à un tribunal.”
Rappelons qu’aucun cas de transmission du VIH sur un plateau où les acteurs et actrices sont testés (par la AIM Adult Industry Medical Health Care Foundation jusqu’en 2011 puis la PASS, Performer Availability Screening Services, sous la tutelle de la FSC) n’a été détecté dans l’industrie depuis 2004. Cette année-là, 30 studios de production ont interrompu leurs activités pendant deux mois quand quatre acteurs ont été testés positifs au virus. Après enquête, il a été déterminé que l’acteur Darren James avait contracté la maladie lors d’un tournage au Brésil avec une actrice locale, Bianca Biaggi. De retour aux Etats-Unis, il l’a transmise à trois performeuses avant d’être repéré.
Si le but de la Proposition 60 est bien de protéger les professionnels de l’industrie, il serait sans doute plus judicieux de les contraindre à porter des préservatifs sur les tournages non-couverts par un organisme comme la PASS.
Photo de couverture : Los Angeles Daily News
C’est maddy o’reilly sur la photo ?