Quand Asia Argento transforme le Salò en temple de la décadence
Le 6 juillet dernier, j’ai passé la soirée avec un Italien, un Grec, un Français et Asia Argento. Ce qui sonne comme l’incipit d’une vidéo d’orgie amorce en fait le récit d’un événement bizarre organisé par l’actrice romaine au Salò, un club parisien éphémère, voisin du Silencio.
19h. Je quitte les bureaux du Tag Parfait. Le ventilo qui a brassé de l’air chaud toute la journée tourne encore dans ma tête. Je rentre à pied à Belleville, engoncée dans la canicule, impatiente de découvrir ce qu’a programmé Asia, comédienne italienne que j’ai découverte dans Trauma, un film de son père – Dario Argento. J’ai le temps de prendre une douche glacée dans l’appartement que j’occupe pour l’été. Rendez-vous au Diamant, un bar d’habitués niché dans la Butte aux Cailles.
Je retrouve un petit groupe européen, composé en majorité de scientifiques. Parmi eux, il y a donc un Italien, un Grec et un Français, tous unis par l’amour de la fête et l’appréhension enfantine du quotidien. À retenir de ce before : les consos abordables et rafraîchissantes, un projet d’exposition parodique sur la lumière, un débat sur les poils pubiens des hommes et des femmes, et la visite impromptue d’une grosse araignée.
Nous partageons le bus avec une femme seule qui s’est assise près du chauffeur. Nous avons la place et le loisir de dire des bêtises. Les rues sont à moitié vides. Un calme d’une douceur extrême m’enveloppe tandis que j’observe ce Paris éclairé aux réverbères. Un parfait moment d’insouciance. Et voilà la radieuse rue Montmartre qui nous appelle et me rappelle mes premières années dans la capitale, celles du Triptyque, entre autres. C’était l’époque de feu la Flèche d’or. Tout ça paraît bien loin.
« The lesbian Jesus »
On s’engouffre dans le sous-sol du Salò comme dans le caveau des interdits. Au pied de l’escalier, derrière une vitrine qui m’évoque le quartier rouge d’Amsterdam, un tatoueur japonais du nom d’Akira Saito marque la peau d’un cobaye avec son aiguille mi-pinceau mi-arme du crime. Placés d’office dans la position des voyeurs, nous observons ce duo sadomasochiste avec curiosité.
L’errance nocturne se poursuit entre les néons colorés, la foule queer et l’installation photographique de Jacopo Benassi : un hommage rock à Asia, flashée seins nus, le visage grimaçant ou dans les bras d’une blonde platine… Des clichés réunis dans le livre Paris is in Asia, déjà disponible en pré-commande.
Sur scène, Asia Argento propose une version nonchalante et punk de Monsieur Loyal. On lui a donné carte blanche : elle a invité ses potes pour des lives, des DJ sets et des performances artistiques autour du sexe, de la religion, de la mort. Ça ressemble à un genre de kermesse où alcool, amateurisme et défoulement s’unissent dans une atmosphère what the fuck assez séduisante. Il est très vite question de la divinité « The lesbian Jesus », gimmick ironique qu’Asia prononcera avec jouissance et provocation tout au long de la soirée, installant en filigrane un discours féministe et anticlérical.
Enfants de Salò
C’est au tour de la chanteuse et poétesse américaine Lydia Lunch de lâcher son flow engagé et d’insulter le public qui en redemande, déchaîné. Dans les coulisses, j’aperçois le réalisateur Bertrand Bonello, dont j’ai adoré Le Pornographe et L’Apollonide : Souvenirs de la maison close. À côté, il y a Gaspar Noé, que j’ai essayé d’interviewer à plusieurs reprises sur ses obsessions cinématographiques et sexuelles pour Le Tag, mais qui s’est toujours défilé, ne souhaitant pas être associé au porno.
Est-ce la raison pour laquelle, après avoir accepté un entretien avec moi, Asia n’a plus donné signe de vie non plus ? Peut-être. Le cinéma traditionnel et le porn ont toujours entretenu une histoire d’amour-haine. Les deux s’inspirent sans jamais le dire à voix haute. Quand il s’agit de mettre en scène le cul, d’aucuns voudraient que le premier soit esthétique quand le second est sale, forcément.
Qu’elle se montre agressive ou désinvolte, Asia Argento perd soudain de son aura scandaleuse. Je lui en veux, à elle et aux autres, de laisser le politiquement correct l’emporter sur l’anticonformisme. L’éclat de rire goguenard du Français me sort de mon seum. Hermétique au cirque qui se déploie devant ses yeux, je me demande s’il n’est pas en train de visualiser son lit. Il est minuit. Le Grec capture le décor sombre et les personnages qui le composent avec son smartphone. Paparazzi joyeux. L’Italien, lui, est un peu amoureux d’Asia Argento, il me l’a confié. Quand sa voix grave de mère maquerelle résonne, il jubile.
Des psaumes pas très catholiques
Et voilà la performance de la comédienne avec ses prêtresses Joana Preiss, Emma de Caunes, Chloé Mons et Barbara Carlotti, parodie d’une cérémonie mystique façon girl power. Mon numéro préféré. Elles sont là, dans leurs chemises de nuit de mormones, virginales, à tournoyer, encens à la main, à lire des psaumes pas très catholiques et à anti-baptiser l’audience du Salò – surtout des mecs. Je transpose la scène au Vatican et je ris.
J’aurais voulu vous raconter la séance de bondage orchestrée par Aloysse Manhes, mais je n’ai pas vu grand chose, malgré mon positionnement stratégique sur un tabouret haut. Trop de monde compressé autour de l’attraction à cordes. Il y a aussi eu la chanson macabre et interminable de Matt Skiba, guitariste des groupes Alkaline Trio and Blink-182, que j’ai eu tant de mal à me sortir du crâne : j’éviterai de me la remémorer. C’est d’ailleurs elle qui nous a escortés vers la sortie, nous faisant rater la performance de François Sagat et Igor Dewe.
Dehors, un trouble-fête est venu titiller les agents de sécurité ; c’était comme pisser violent dans un violon. Des étudiants d’école de commerce insupportables sont montés dans un van Uber noir. L’Italien a troqué du feu contre une clope avec une jolie passante qui l’a fusillé du regard. Le Français a revisualisé son lit, il me semble. Et j’ai entamé le chemin du retour avec le Grec, à pied encore, dans le temps suspendu des nuits parisiennes. C’était la première des trois soirées d’Asia Argento, qui ont clôturé la saison du Salò.
Crédits photos : Jacopo Benassi / Le Salò / Michael Saitakis
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