Entretien avec Olivier Ghis
Olivier Ghis est le rédacteur en chef du Journal du Hard. On est allé lui poser quelques questions sur le futur du porno. Action.
Dans le doc « Demain le Hard » que tu as réalisé pour Canal et diffusé en décembre dernier, tu mets en avant des figures du porno qui existent déjà, on a l’impression que le genre a finalement du mal à se renouveler.
Le doc s’adressait surtout aux néophytes, en fait le grand public ignore la multitude de niches, il connaît les grands lignes, mais pas les spécialités. Il ignore souvent qu’il existe une palette très large de fantasmes, comme des pratiques à priori pas du tout excitantes. Dans Demain le hard, on montre que l’avenir du X se fait avec son passé et les nouvelles technologies.
Comme avec l’arrivée de la 3D et des sex-toys interactifs ?
Je pense très sincèrement que la 3D est l’avenir du X. Si cette technologie est faite pour un public c’est bien celui du hard, c’est un secteur où le spectateur a vraiment besoin de sentir charnellement le spectacle. T’as quand même l’impression que t’as la fille sur les genoux, on est loin du gadget.
Ça devient un parc d’attraction pour adulte…
Oui ! Tu peux avoir le sentiment d’être dans une partouze alors que dans la vie de tous les jours ça ne t’arrivera pas car tu es marié, timide ou que ça doit rester pour toi un fantasme.
Tu penses pas que dans 5-10 ans, on va arriver à une forme de frustration où le plaisir « virtuel » sera peut-être plus intense que dans le réel ?
C’est le danger. Ces univers-là sont des univers de refuge. Ces gens (pornophiles hardcore, ndlr) préfèrent largement les femmes sur écran à leurs pendants réelles car elles posent moins de questions ou de problèmes. Si tout est plus simple, tu te questionnes moins, tu contrôles tout, rien ne te heurte jamais. C’est le problème de l’univers de la fiction où le rapport peut devenir de plus en plus faussé par rapport à la réalité.
Mais ils font quand même la différence. Ça reste avant tout ludique ?
Oui je pense qu’ils la font. Y’a des tas de choses qui m’énervent dans le X comme l’obligation de porter des capotes (en France, ndlr). C’est comme si tu disais à des spectateurs de X « vous êtes tellement cons que vous allez pas faire la différence entre ce qu’il y a à l’écran et la réalité ». Ces questions on ne les pose jamais dans la fiction classique. Prends Batman, quand il vole avec sa cape, tu vois pas un bandeau déroulant avec écrit « attendez ne faites pas ça ». On a un rapport tellement paranoïaque et inquiet à la sexualité, que le porno reste trouble. Pourtant, y’a très peu de gens qui prennent ce qui se passe dans le X pour argent comptant, c’est exceptionnel comme le gars qui va sauter du 5e pour imiter Batman. Les gens font la part des choses, sauf au moment où ils jouissent et c’est là que c’est intéressant. Tu dois pouvoir te confondre volontairement avec l’image pour prendre du plaisir, c’est le seul moment où il y a une confusion entre ce que tu vois et la réalité.
En parlant de cinéma, pourquoi les français ne sont pas excités par le porno américain, qui est pourtant mieux produit ? Ici, c’est un peu deux pauvres lumières et direct la DP…
Il faut jamais oublier un facteur : le cinéma français a toujours été baigné d’une certaine forme d’artisanat, de noblesse du geste; qui a ses avantages et ses inconvénients. Aux USA, y’a une marchandisation de tout en permanence. Dès qu’une icône arrive, par exemple Selena Rose, on va l’exploiter à fond. Si tu veux faire grimper les enchères, faire gagner de l’argent, tu vas tout découper. Si tu vends un immeuble, tu te fais plus d’argent en vendant par appartement que le lot entier; le porno là-bas c’est pareil. On va te vendre la première scène vaginale, puis anale, puis la première DP … Mais, faut être bête pour croire que le spectateur n’ira pas voir ailleurs, c’est pour ça que les grosses boites comme Wicked ou Vivid se cassent la gueule. Ils s’amusent à faire du cinéma avec trois jouets en main, avec 200k$ comme s’ils en avaient 20 millions, ils en oublient le X.
Mais par rapport à la France, ils sont quand même bien avancés, ici (pour nous) ça sonne daté.
Tu ne peux pas reprocher aux prods françaises ce qu’elles n’ont pas. Aux USA, y’a tellement de nanas qui veulent faire ça… T’as deux cents comédiennes mignonnes là où en France t’en as deux. Quand ici, les mecs font un film par mois, un peu foutraque en déconnant, là-bas t’as des mecs qui y croient vraiment, qui essayent d’être professionnels et rigoureux. Puis t’as une facilité de tournage que tu ne peux pas avoir en France, tout se loue à l’heure à LA.
Tu penses quoi de Romance Series chez New Sensations ou Sweet Sinner ? L’eau de rose qui arrive dans le porno pour séduire la ménagère…
C’est le fantasme de tous les pornographes de la Terre, c’est d’imaginer que le public de demain sera les couples et le mainstream, ils inventent donc des films plus passe-partout. La vraie difficulté c’est que ceux qui jouent et font du X doivent aussi être des vrais acteurs, scénaristes… L’idée c’est d’avoir Manuel Ferrara dans le corps de Sasha Guitry, et c’est là que ça se complique. Au final, les bons films que tu peux voir sans appuyer sur la touche accélérer sont rarissimes. Mais c’est une piste d’avenir, la seule chose qu’on peut regretter c’est que le X soit encore sujet à caution ou à problème. Ça n’attire pas encore les meilleurs talents. Est-ce qu’Audiard pourra un jour réaliser un film avec des scènes explicites ? On peut le souhaiter vue l’intelligence de ses films.
Y’a David Lynch qui en parle avec la 3D ou Gaspard Noé, mais ils ne le feront jamais…
Oui ça reste un truc pour attirer le chaland. Pour le moment les talents qui sont dans le X, ce sont ceux qui commentent le X, y’a la série Xanadu ou Hard sur Canal…
Mais Xanadu, c’est très sombre, c’est la saga de l’été dans le porno, un vrai drame social…
C’est ça, c’est clichtoneux au possible. Ils connaissent pas la réalité du milieu. La série Hard sur Canal + – et pourtant c’est ma maison – sombrait dans les mêmes travers. J’en ai parlé à Bruno Gaccio, il n’a même pas cherché à se renseigner. On voit des petits malins, des faiseurs, des astucieux, qui saisissent l’air du temps et qui instrumentalisent le X pour attirer l’attention. Au final, tu sens qu’ils ont pas envie de chercher plus loin.
On a l’impression qu’en France montrer le côté « cool » des choses est une sorte de tabou. C’est soit tout sombre, soit débile.
La vérité est entre les deux. Si tu lis Hot Vidéo ou si tu vas à LA, t’as l’impression que tout est génial alors que les gens font juste leur taff, et comme tout boulot c’est pas tous les jours marrant. Le problème du X c’est qu’il favorise ceux qui veulent noircir le trait ou ceux qui l’instrumentalisent pour dire que c’est super. C’est assez rare de se retrouver dans ce milieu avec des gens qui essayent de voir où est la réalité.
Sinon, j’ai remarqué qu’en ce moment certains mecs allaient vers le soft alors qu’à l’inverse les filles allaient plus voir du hard comme sur kink.com, t’en penses quoi ?
Je pense que ça dépend plus de l’humeur, on a un kaléidoscope de désirs qui varie selon l’heure. Des fois tu vas vouloir du soft, puis plus tard regarder une vidéo avec un trans. Pareil chez les filles, elles vont vouloir de la douceur, puis plus tard un gang-bang.
Mais elles vont plus dans des fantasmes hard…
Oui ça reste des fantasmes, comme le viol est un fantasme récurrent alors qu’elles ne veulent pas qu’il se réalise. On est multifacette, avec des facettes qui sont dominantes. Dès que tu ignores les autres, tu vas dans le faux. Y’a de la place ici pour Marc Dorcel, Pierre Moro ou Olivier le Saint ! Avec une petite différence avec l’Asie, car ici le fantasme a vocation d’être réalisé, donc il est enfoui et pas accepté; au Japon le monde de la réalité et le monde du fantasme sont deux choses très distinctes.
Pour finir, comme on parlait de fantasmes. Est-ce qu’un porno bisexuel, ou du moins plus détendu au niveau du cul a un avenir ?
Ça s’est beaucoup fait dans les années 70 et au début du cinéma, regarde Michel Reilhac (directeur cinéma d’Arte, ndlr), il a des petites bobines au début du siècle qui montrent que la bisexualité était beaucoup plus acceptée. Si tu questionnes le gérant de Gamelink à San Francisco, il te dira qu’à partir du moment où ils sont passés sur le web, ils se sont rendus compte que les vidéos de trans arrivaient en tête, alors que ce n’était pas le cas dans les vidéoclubs. Tout est dit. Y’a une porte ouverte.
« Manuel Ferrara dans le corps de Sasha Guitry » : what has been seen cannot be unseen.
Interesting story, j’aurais bien aimé quelques questions sur le rôle de Canal aujourd’hui vis à vis du porno et les contraintes imposées par le CSA dont il a l’air de se plaindre.
On va retourner le voir, on a plein d’autres questions !
L’esprit Canal ? Porno & foot 🙂
Très très chouette interview, très intéressant (alors que je n’avais vraiment pas aimé son doc Demain le hard, pourtant). Si effectivement il y a une suite à cette interview, je n’ai qu’une chose à dire : vivement la suite !
On a été un peu pris par le temps, mais tant mieux au final, ça donne pas mal de matière pour la suite.
« Y’a des tas de choses qui m’énervent dans le X comme l’obligation de porter des capotes » Ah oui, cher Olivier? Et le Sida? Et l’éducation sexuelle des 13/15 ans? Le porno a — et c’est bien le minimum — une mission pédagogique qu’il ne doit pas oublier.
Enfin je suis ravi d’apprendre que j’ai « un passé sulfureux ». Très romanesque, ça… Lol.
Salut John, tu auras l’occasion de t’exprimer, si tu l’acceptes bien entendu, car on a également plein de questions à te poser.
Mais pour revenir sur l’éducation sexuelle des 13-15 ans, je suis absolument pas d’accord pour deux raisons :
– les films sont interdits aux moins de 18 ans… hum
– une oeuvre ou un produit culturel ne doit pas supplanter l’éducation. C’est deux choses très différentes.
Ah, réagit à sa propre interview, quel drôle d’exercice !
John, sur le préservatif, je suis partisan d’une attitude : ne pas prendre les gens pour des cons…
Un avertissement en début de chaque film (« protégez-vous… ce qui suit est une fiction ») me paraît nécessaire. Mais pour le reste, l’imposition qui est faite au X me semble démesurée.
La Prévention Routière traque sans relâche les criminels de la route – et elle a raison : on ne censure pas pour autant toutes les séquences de poursuites du cinéma policier !
Pourquoi ? Parce qu’il est entendu pour tout le monde que « c’est du cinéma ». La question qui mérite d’être posée est, à mon humble avis, la suivante : comment expliquer que le même raisonnement ne vaille pas pour le X ? Alors que le X est bel et bien un spectacle, non ?
A y réfléchir, il semble que le X, de part l’intimité dans laquelle il est vu, de part le plaisir qu’il procure est encore perçu, par ses détracteurs, comme une projection de fantasmes, un étalage de libido… donc comme un objet du réel plutôt que de la fiction.
On en vient donc à cette situation paradoxale :
. personne ne demande à la Warner d’avertir les enfants que BATMAN ne vole pas « en vrai »… Personne ne demande à De Palma d’alerter les kids sur les dangers de la cocaïne chaque fois que Pacino plonge le nez dans un saladier blanc dans SCARFACE… Aucun bandeau de mise en garde n’est déroulé dans PIEGE DE CRISTAL chaque fois que Bruce Willis saute de 20 étages…
. mais on considère toujours le spectateur de X comme un enfant de 4 ans, ignorant de tout, limite débile.
La prévention, c’est le travail du Ministère de la Santé, de l’Education Nationale, des parents, etc. C’est un travail salutaire, bénéfique et les créateurs du X peuvent y contribuer par leurs interventions publiques, leurs prises de positions responsables, etc.
De là à charger le X de toutes ces missions, à le rendre responsable de la bonne santé de nos compatriotes, il y un pas… qui vise non pas à protéger les spectateurs mais plutôt, perfidement, à accabler encore le X (et cette fois, en tout bonne conscience, sous couvert d’impératif médical, sans passer pour des censeurs).
Imaginons 2 minutes ce que serait le cinéma traditionnel s’il obéissait à la même logique : on y boirait de l’Evian, conduirait à 50 km/h, n’allumerait jamais un cigare et au lieu de s’étriper à coup de Magnum, on irait sagement en Justice… Clint Eastood serait depuis longtemps caissier chez Wall-Mart, Bogart se mangerait les doigts et Steve McQueen ferait du Vélib’ 🙂
C’est parce que je crois que le X est un Cinéma avec un grand C – et non une « commodity », comme disent plaisamment les Américains – que traiter systématiquement ses spectateurs comme des attardés me semble insultant… et pour eux, et pour le X.
Cela dit, tout ce qui peut faire reculer le Sida est bon à prendre… Et j’y serai toujours favorable (le Journal du Hard est d’ailleurs chaque mois précédé d’une mention à cet effet). Mais charger le X de tous les maux (comme on le fait souvent), lui laisser la responsabilité écrasante d’édifier la jeunesse, c’est lui accorder, pour mieux le stigmatiser, un poids qu’il n’a pas.
Heureusement, nos spectateurs ont une vie, des amis, des parents, ils lisent, s’informent… bref, ils n’ont pas que le X. Ils ne sont pas dupe. Ils savent que, dans un porno, quand le livreur de pizza met à peine 3 minutes à lutiner la maîtresse de maison, c’est une fiction : le même scène à peut de chance de se reproduire dans la vie (sinon Pizza Hut aurait fait faillite depuis longtemps !).
John, tu es l’un des rares réalisateurs qui ait su s’adresser au spectateur, non pas comme un bipède avec tout juste un truc au-dessous de la ceinture mais aussi un cerveau.
C’est sur ce dernier que je compte aussi.
Olivier Ghis
En admettant que le spectateur soit bel et bien adulte, majeur, responsable et éduqué sur le sujet (ce qui, rappelons-le, est loin d’être le cas !), il demeure le problème d’acteurs et actrices parfois très jeunes, à qui l’on certifie qu’un examen médical est suffisant pour prévenir le Sida (et je passe sur les autres maladies transmissibles, que tout le monde oublie). Ne chipotons pas : les acteurs et actrices qui travaillent sans protection risquent leur vie. A chaque fois que je regarde un porno sans capote, je ne peux m’empêcher de me dire qu’une maladie est peut être en train de se transmettre d’un acteur à l’autre, là, sous mes yeux.
A mes yeux, le préservatif est nécessaire et obligatoire, de la même façon que le cascadeur qui joue Batman (pour reprendre votre exemple) ne saute pas d’un immeuble sans protection. Quand Brandon Lee est victime d’un accident de tournage du à la négligence, ça émeut tout le monde. Une contamination accidentelle sur un tournage porno n’est pas plus tolérable.
Euh… rappelons des évidences, alors… Dans « Batman », l’action est simulée : l’acteur qui se jette du toit d’un immeuble ne le fait pas « vraiment » et celui qui se reçoit une décharge de balles dans la tête n’est pas tué pour les besoins du film. Dans le porno, l’action représentée n’est pas simulée. De plus, le préservatif protège les acteurs. Je sais bien qu’il y a des tests et tout le tralalas, mais on sait aussi que le risque zéro n’existe pas, surtout dans ce milieu. Perso, j’en suis arrivé à ne plus pouvoir me branler que sur les vidéos safe. On peut juger ça un peu triste… mais l’époque a eu raison de moi.
@Alex & @Antony. Un peu étonnant ce « je ne peux pas regarder de porno sans capote ». Vous regardez que du porno français ?
» A chaque fois que je regarde un porno sans capote ». Ce qui, a priori, indique bien que je regarde du porno non français…
Bon c’est pas très agréable de parler dans le vide par contre.
Olivier Ghis, nouveau pigiste du Tag Parfait! 😉
Belle réponse en tout cas.
Vive les Etats Généraux du Porn FR grâce au Tag Parfait & à Gonzo ! ^^
On pourrait inviter Hot Vidéo dans le débat, j’ai l’impression qu’ils nous suivent de près : http://www.hotvideo.fr/content/news/01092/magazine-en-kiosque/
Si c’est pour débattre du port du préservatif et du « sida », je passe. Mon opinion sur le sujet est, disons, assez loin d’être « protocolaire »…
En revanche, d’autres journalistes du magazine en ont probablement une vision plus consensuelle qui peut avoir son intérêt.