Bret Easton Ellis – Glamorama
Après le souvenir mitigé d’un Stephen King un peu faiblard, la Bibliothèque Rose se devait de rehausser un peu le niveau. C’est Gonzo qui s’en charge en partageant avec nous un de ses premiers émois littéraires, extrait du Glamorama de Bret Easton Ellis :
Vers mes 14 ans j’ai ouvert American Psycho de Bret Easton Ellis et j’ai eu mon premier choc littéraire. Ces deux-cents premières pages où il ne se passait rien, ces descriptions froides et méthodiques, puis le déluge de violence et de sexe qui te faisaient t’accrocher à chaque mot tout en ayant l’envie de sauter des pages pour aller voir plus loin si ça ne serait pas pire (donc mieux). Ce bouquin m’a marqué, au point d’en devenir cynique pendant plusieurs années. Ce fut l’unique livre qui eut une réelle influence sur ma vie. Plus légèrement, il me semble bien m’être fappé une bonne paire de fois sur ces pages, en prenant soin de m’arrêter avant que Patrick Bateman défonce la gueule des filles. Coeur de pipou ; on ne change pas.
Quelques années plus tard, j’ai acheté Glamorama. De ce pavé je me souviens surtout des noms d’antidépresseurs, des gueules de bois de mannequins et d’une scène bisexuelle. Elle commence dans une douche avec trois personnages : le narrateur (Victor), Bobby et une fille : Jamie. La tranche du bouquin parle d’elle-même, je ne sais plus qui sont réellement ces personnages, par contre je sais parfaitement où se situe la scène ; l’empreinte sale des doigts sert de marqueur dans la narration, comme le souvenir mental d’un curseur sur un film où se situerait une bonne scène de boule.
Extrait :
Dans la douche de la salle de bain que partagent Jamie et Bobby, Bobby admire les couleurs que nous avons pris sur le yacht aujourd’hui, la blancheur choquante là où le soleil a rencontré l’obstacle de nos caleçons, les marques blanches laissées par le bikini de Jamie, la pâleur qui resplendit presque dans la demi obscurité de la salle de bain, l’eau en provenance de la massive pomme chromée tombe avec violence sur nos têtes et nos deux bites sont dressées et forment des angles aigus avec nos ventres et Bobby tire sur sa queue, dure et grosse, les couilles bien serrées au-dessous, les muscles de ses épaules se contractant au rythme de sa main et il me regarde, nos yeux se croisent, et d’une voix rauque il grogne “Regarde ta pine, mec”, et je baisse les yeux vers la bite que je branle et au-delà vers les jambes très musclées…
Dans la douche, Bobby me laisse embrasser Jamie et la tête de Bobby est entre ses jambes et les genoux de Jamie flechissent une ou deux fois et, d’un bras, Bobby la relève constamment et son visage est écrasé contre sa chatte et elle se cambre, s’enfonce sur sa langue, et de son autre main il m’empoigne la bite qu’il savonne, et puis Bobby commence à la sucer et elle devient tellement dure que je peux sentir les pulsations et puis elle devient plus dure encore, elle grossit et Bobby la retire de sa bouche et l’examine, la presse, et puis passe sa langue sur le gland et puis il la soulève par l’extrêmité et commence à donner des petits coups de langue précis et rapides à l’endroit où commence le gland pendant que Jamie, avide, gémit “Vas-y vas-y” tout en se glissant un doigt dans la demi-obscurité et Bobby avale ma bite, autant qu’il peut sans s’étouffer, suçant voracement, bavant, accroupi, continuant à se branler, et au -dessous la courbure de ses cuisses se modifie chaque fois qu’il ajuste sa position. Je bascule la tête en arrière, pour laisser l’eau frapper ma poitrine, et quand je baisse les yeux Bobby lève les siens et sourit, ses cheveux mouillés plaqués sur son front, la langue dehors, si rose par rapport à son visage. Puis Bobby me fait tourner afin que je puisse écarter mes fesses et je le sens tirer la langue jusqu’à mon cul et puis il la retire et glisse la moitié de son doigt en entier, ce qui a pour effet de faire tressauter ma bite.
(puis la scène continue ainsi sur quelques pages)
A l’époque je n’avais pas vu de film gay, sauf quelques images par curiosité et les deux mains posées sur la table. Les tubes n’existaient pas ; pour regarder du porno bi ou gay, il fallait vraiment en vouloir et d’une certaine manière assumer et se confronter inévitablement à la question de son orientation sexuelle. La question de la tentation homosexuelle reste tabou chez les hétéros, c’est comme une chape de plomb au dessus de nos têtes, même en ayant grandi dans un milieu ouvert où l’homosexualité est tout à fait “normale” et intégrée. L’étiquette bi ou gay fait peur aux hétéros, car ils n’assument pas leurs fantasmes. Pour eux, le fantasme tend forcement vers la réalité car il devient un désir refoulé. Tout comme le plaisir anal chez l’homme hétéro reste tabou car il est associé à l’homosexualité. Pourtant, on ne dit pas à une fille qui regarde du porno lesbien, qu’elle est bi, pas plus qu’on sous-entend qu’une fille est un “homo refoulé” si elle pratique la sodomie (ça parait absurde d’écrire ça, mais reflechissez-y deux secondes)… Il serait temps de mieux distinguer plaisir et désir.
J’étais hétéro à l’époque – je le suis toujours aux dernières nouvelles – et c’était la première fois que je me retrouvais dans cette situation inconfortable intellectuellement mais profondèment excitante d’être face à du matériel pornographique inconnu et hors cadre. Que faire ? Plus j’avançais dans la lecture, plus un mât se dressait dans mon caleçon bisounours et plus la tentation du fap grandissait. Se lancer ou refouler cette réaction ? Personne n’étant dans le coin, j’ai sorti mon zboub et j’ai continué la lecture d’une main. C’était nouveau et dangereux, comme jouer à la marelle entre deux mondes. La puissance de l’écriture porno repose sur le fait qu’on est soi-même le réalisateur de la scène, on place notre caméra mentale où on le souhaite, on peut censurer quelques passages qui nous dérangent, s’imaginer que le mec est super beau et que c’est pas “si grave” puisqu’il est beau, que c’est une experience, comme après un rêve érotique où les tabous explosent.
La scène est longue, terriblement longue pour une gaule en main et l’orgasme arrive avant la fin du chapitre, les mots sont crus, c’est du vrai porno ; il n’y a pas d’érotisme sous-jacent, c’est direct et cash. Après l’orgasme, vient la sieste et l’apaisement, puis le doute. Suis-je gay ? Est-ce gay de se masturber sur une scène bisexuelle ? Le principe de plaisir n’amène pas ce genre de réponse, on définit son orientation sexuelle par ses désirs, non par ses plaisirs. J’ai effectivement pris du plaisir et par plusieurs fois car si mon exemplaire de Glamorama est aussi marqué, c’est qu’il a servi d’alternative au porno quand internet n’était pas là. C’était il y a dix ans et les smartphones n’existaient pas. Je savais où se trouvait le bouquin, comme une VHS cachée, sauf que personne d’exterieur ne pouvait se douter que Glamorama servait de support masturbatoire les après-midi de disette, encore moins via une scène bisexuelle. C’était mon petit secret.
Dix ans plus tard, ce chapitre m’excite toujours autant comme un porno classique dont on est familier, dont on connait chaque détail. Ce n’est pas un “crime” d’avoir des fantasmes, c’est au contraire sain. Alors qu’ils soient hétéro, bi, gay, trans, on s’en cogne, ce ne sont pas eux qui vont vous définir. L’excitation est libre, elle s’exprime et nos érections n’ont pas de limite.
Allez HOP sur ma liste.
Je suis dans un bus, j’ai chaaaud. Je soupconne mes joues rouges de trahir mon émoi. Elle est cool cette rubrique, j’en veux encore!
ça à l’air sympa comme livre.
et le tabou sur le plaisir anale hétéro n’est pas pret de s’arreter au grand dam de certains
Nan, sérieux, « sympa », c’est pas le mot.
Vraiment pas. Je ne vais pas spoiler, mais Glamorama est un bouquin cauchemardesque.
Après, je plussoie Gonzo. La 1e scène à 3 dans American Psycho est irrésistible, littérature monomanuelle (et monomaniaque). Et puis c’est proustien, dans son genre, j’veux dire, la scène de uc qui dure 4 pages. L’écriture de BEE est porn, en tout cas, crue, à la fois collée aux personnages et à ce qui leur arrive (ou pas), et totalement détachée. Glaçante et glacée.
je ne connaissais pas glamorama, en tous cas c’est un trés bon article qui mérite réflexion effectivement 🙂
Et puis quand lit le commentaire d’Oriane, on se rend compte de la dimension que peut prendre un texte très bien écrit…
Je like cette rubrique !
Effectivement, BretEA et avant lui HubertSJr ont nécessairement eu un impact dans ce que je suis devenu… au grand dam de certains, pour le grand plaisir d’autres !
Sinon, à quand la scène de fist dans « Berceuse », de Chuck Pahlaniuk, lui aussi grand animateur de ma vie ??
Eh Gonzo… Il faut absolument que tu lises « Le corps exquis » de Poppy Z. Brite, et que tu nous dise ce que ca t’as fait ! Je l’ai fait lire à mon mec (hétéro donc) et l’expérience était assez intéressante !
A bientôt (et thumb up pour l’article!!)
Je note ça, merci