Fils de : HPG en DILF tourmenté
J’avais détesté On ne devrait pas exister. Projeté au MK2 Beaubourg en 2006, le premier long-métrage traditionnel d’HPG sur le désir d’un acteur porno de changer de vie avait su créer le malaise. J’avais 19 ans, j’étais impatiente et, pour la première fois, j’ai quitté un cinéma au beau milieu d’une séance. C’est marqué par ce souvenir fadasse que j’ai traversé Paris, de Belleville à Ternes, en métro et sous la pluie, jusqu’au Club de l’Étoile où j’allais découvrir et aimer Fils de, l’autofiction aigre-douce du hardeur dans laquelle, la même question – mettre fin à sa carrière –, s’entremêlerait à celles du couple et de la paternité.
Un bon gros film de cœur
Enturbannée dans mon foulard bleu vif, je rejoins Bobo Bizarre, Grosmikko et sa gow en trottinant sous les gouttes automnales, moi la fille en retard. “Le Tag Parfait ?”, s’enquiert l’attachée de presse, évinçant les fioritures habituelles. Quatre “Oui” et vingt marches plus tard, nous voici alignés dans nos sièges en velours. Petite salle intime, ponctuée de journalistes qui attendent le noir complet. Intime, c’est le mot. Fils de est un documentaire intime, jamais voyeur. Dès l’introduction, HPG nous invite dans son quotidien aux côtés de Gwen, sa compagne, et d’Enora et Léni, ses enfants en bas âge.
“Les hardeurs aussi ont une vie de famille.” La punchline qui orne malicieusement l’affiche résume bien les enjeux de cette chronique [extra]ordinaire. L’ambivalence d’HPG, son autodérision, l’amour et la violence, l’humour et la tendresse, les premiers pas de son fils, les remarques affutées de Gwen. La révolution dont il est le héros. Oui, que les fappeurs reboutonnent leur pantalon, ici, on nous parle de cœur plus que de cul. Le X est un contexte, un décor, un prétexte pour traiter de problématiques universelles. HPG se fait filmer pendant le tournage de scènes gonzo, mais les bites-chattes-anus ne sont pas montrés. La nudité se situe autre part.
Il y a cette séquence géniale où HPG dirige deux éphèbes et deux cougars dans la plus grande simplicité. “Bon, tu l’encules ?”, lance-t-il peu ou prou à l’un des acteurs comme on demanderait à un collègue d’imprimer un email. J’entends quelques rires surpris ou gênés autour de moi. Pourtant, ce n’est pas ce jargon cru qui devrait les troubler – Fils de réussit d’ailleurs à renvoyer une image saine et décomplexée du porn –, mais les jolies confessions qui vont suivre. C’est quand ils se sont rhabillés, après le tournage et des litres de sueur, qu’ils se retrouvent vraiment à poil. Comment ont-ils débuté leur carrière, pourquoi aiment-ils ce métier, leurs proches sont-ils au courant… Là où l’on aurait pu tomber dans le cliché, naît l’empathie.
Court, mais intense
Dans le porno, la taille, ça compte. Les vidéos les plus courtes sont souvent les meilleures et la jouissance se déploie dans l’éphémère. Avec ses soixante-dix minutes harmonieuses, Fils de respecte la règle d’or. Impossible de s’ennuyer. On vogue du personnel au professionnel, de débats réalistes en respirations poétiques, tout en douceur. Le rythme est presque musical. Et mes deux passages favoris mettent justement en scène des chanteurs. D’abord Christophe, ce personnage lunaire qu’HPG rejoint dans son studio en pleine nuit parce qu’il n’a pas le courage de rentrer chez lui. Baignés dans une atmosphère de rêve, le premier improvise au synthé et à l’harmonica, sur les mots du second qui s’imagine retrouver ses enfants à la maison.
Puis Izia Higelin. Une fille de. “Désormais gêné par la complexité d’une grande machine de tournage, il préfère aborder son film à la manière d’un documentaire, seul.” Ce sont les lignes qu’HPG lui fait lire, résumé de la tournure qu’a pris son projet. Encore une mise en abyme qui autopsie son processus de création. Ce stratagème amorce la discussion entre un homme de 47 ans et une jeune femme de 23 ans “qui pourrai[t] être [s]a fille”. Le ton léger se teinte peu à peu de gravité. Ça lui ferait quoi à Izia, d’être la gamine d’un acteur porno ? Et à moi ? Et à vous ? Le proverbe “Les chiens ne font pas des chats” doit-il servir d’avertissement : papa hardeur = enfants hardeurs ?
De bout en bout, Fils de est une remise en cause, pour les intervenants et les spectateurs. On se balade dans la tête d’HPG qui, malgré la difficulté de l’exercice, ne se caricature jamais. On oublie les kilomètres de corps qu’il a baisés et on en vient à se dire qu’en effet, c’est un papa comme les autres.
Sortie le 29 octobre 2014 – Produit par Capricci Films et HPG Production – Distribué par Capricci Films.
Merci, j’vais voir s’il est programmé sur Marseille.
Oui, il passe à Marseille, au cinéma Les Variétés, à partir du 29 !