Perturbator : « J’aimerais remettre l’électro dans la street »
Perturbator aka James Kent est l’un des fers de lance d’un mouvement musical en pleine effervescence dont le nom reste à définir. Synthwave, dark wave, électrosynth, synthcore, les appellations ne manquent pas pour caractériser cette musique électro street crédible tout droit sorti des années 80 et trouvant ses codes – entre autres – dans le rétro-futurisme, les jeux vidéo et les VHS usées de slasher movies dégueulasses. À l’instar de son compatriote de Carpenter Brut, James, l’homme derrière les machines, a puisé dans sa culture musicale pour modeler son projet lui donnant tous les attributs du metal. On a rencontré ce jeune homme prometteur en décembre dernier.
D’où vient ton attrait pour les années 80 ?
C’est lié à mes parents et surtout à ma mère, Laurence Romance [Journaliste et présentatrice de l’émission Rock Express sur M6 — ndlr] qui adore la musique des 80’s. Quand j’étais gamin, j’ai été bercé par Tears For Fears, Depeche Mode, etc. Et puis, à la maison, on avait des VHS partout, un synthé… J’avais tout ça à portée de main, je ne regardais pas la télé j’ai grandi avec des films comme Evil Dead. Mon père [Nick Kent, critique rock — ndlr] c’est le genre de mec qui n’a jamais vraiment grandi, il est resté un peu coincé dans les années 70-80. C’est comme ça que c’est venu.
Tu as eu d’autres projets avant Perturbator, dont un groupe de metal, est-ce que l’orientation musicale électro/synthé t’est venu naturellement ?
Pas vraiment, j’ai dû me remettre dedans, parce que même en ayant grandi dans cet univers, je me suis dit à un moment : “bon en fait c’est de la merde tout ça je vais faire du métal” et par la suite que le mieux était de mêler les deux, metal et electro 80’s.
Tu n’as pas voulu faire du heavy metal traditionnel ?
J’y ai pensé, je me suis même dit qu’il faudrait faire du glam avec des synthés. Mais ce n’est pas trop mon délire. Il fallait que je fasse un projet électro, mais qui sonne pêchu, pas juste le même beat qui tape tout le temps.
À ton dernier concert au Gibus, le public était essentiellement composé de metalleux. Est-ce que c’était un public que tu voulais viser au préalable ou penses-tu que ça se soit fait naturellement de part ton imagerie bien particulière ?
J’apprécie beaucoup le public metal dont j’aime l’ouverture d’esprit donc ça ne me dérange pas du tout, bien au contraire. Les metalleux peuvent écouter quelque chose en ayant un sens critique sans forcément cracher sur un truc sans connaître. Je ne sais pas si j’ai vraiment fait exprès de le viser, parce qu’au fond tout ce que je voulais faire, c’était de la musique électro sans forcément chercher son public habituel. Ça va paraître méchant mais je n’aime pas trop le public électro façon « on va en soirée, on va se droguer »…
Perturbator marche bien chez les geeks, grâce à la BO de Hotline Miami. Qu’est-ce que tu penses de cette scène geek qui tend justement à s’ouvrir au metal et à ce genre de choses ?
Je ne me considère pas comme un geek et je ne connais pas vraiment les goûts « geek ». Si ma musique peut permettre à des fans de Hotline Miami d’écouter Ulver ou d’aller vers d’autres trucs dont je balance les liens sur les réseaux, c’est cool. J’aime bien faire le pont entre l’électro et le metal.
Comment as-tu atterri sur la BO de ce jeu déjà culte ?
Les mecs m’ont contacté parce qu’ils aimaient beaucoup mes artworks. Ils m’ont demandé qui les faisait, je leur ai répondu en leur glissant une petite phrase pour leur dire que s’ils voulaient du son, j’étais là. Ils étaient chauds. À l’époque on ne savait pas ce que Hotline Miami allait devenir, je pensais que ça allait être un truc à la con sur portable. Et ça a plutôt bien marché. Le jeu est cool et je suis très content d’être dedans, je ne vais pas faire des « speedrun » non plus, mais je l’ai fini bien qu’il soit un peu galère ! Je participe à la suite, je leur ai balancé l’album « Dangerous Days » et ils ont pris trois morceaux. Carpenter Brut contribue aussi à la prochaine BO.
Ton EP Sexualizer traitait d’un acteur porno qui pète un câble et se met à massacrer tout le monde. Est-ce que tu penses que ta musique collerait avec l’univers du porno ?
Je ne suis pas un gros connaisseur du X mais mes sons pourraient aller avec une espèce de porno assez marrant, une parodie, à la façon des années 80, avec des acteurs qui se rasent pas, le grain dégueulasse sur l’image… John C. Holmes est un de mes acteurs favoris par exemple. Cela dit, je ne suis pas un gros branleur. Souvent, je vais juste sur Redtube, je prends les première vidéos et hop. Je ne suis pas dans la recherche. D’ailleurs, j’y pense, j’ai bossé récemment avec Céline Tran/Katsuni sur le teaser de sa bd Heartbreaker, ambiance violence et boîte de nuit, ils se sont mis d’accord pour que ce soit moi qui fasse la bande son.
Si un producteur porno t’approche dans le même délire que les gars d’Hotline Miami, pour faire la BO d’une film, est-ce que ça te brancherait ? Et à quoi voudrais-tu que le porno ressemble ?
Ça dépend si le mec arrive avec un concept stylé et tout un délire derrière, pourquoi pas. Un truc de SF spectaculaire, une parodie de Bladerunner genre Bootyrunner, là, je dirais probablement oui.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute le dernier Devin Townsend, « Z²« , qui est vachement cool, et le nouveau Electric Wizard « Time to die« . J’ai récemment eu une phase où j’écoutais tous les albums de Type O Negative.
Comment en es-tu venu à écouter du metal ?
Je reviens à ma mère. Elle avait plein de CD de Pantera, Slayer… Quand j’étais gosse, elle m’emmenait avec elle pour faire des interviews. J’ai eu la chance de voir des gens comme Mike Patton ou le groupe Ministry. Je ne me rendais pas compte mais ça m’a influencé. Je me suis mis à écouter beaucoup de metal, j’avais mon walkman en CM1 et j’écoutais « Reign in Blood » de Slayer toute la journée.
Et en électro, quelles sont tes influences ?
Aucune mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucun artiste électro que j’aime bien. Quand j’ai commencé Perturbator, je n’écoutais pas du tout d’électro. Aujourd’hui encore, je n’en écoute pas beaucoup et c’est positif car ça me permet de faire de quelque chose d’un peu différent. Mais si je dois citer des groupes, il y a Danger, Mister Oizo… J’ai plus une influence New Wave, avec Depeche Mode, des groupes à boîtes à rythmes. Comme je ne m’y connaissais pas trop en électro, je pensais au départ que c’était une musique de rue, comme le rap ou le metal… Ce n’est que récemment que je me suis rendu compte que l’électro n’était pas vraiment un truc que tu écoutes dans des quartiers paumés. J’aimerais bien remettre l’électro dans la street.
La synth-wave marche bien en ce moment, avec des groupes comme Carpenter Brut ou Perturbator, est-ce qu’une nouvelle French touch est en train de se développer à ton avis ?
Lentement mais sûrement. On n’est pas beaucoup, on tient sur les doigts d’une main, donc on reste assez potes. Il ne faut pas refaire comme avec la dubstep, un style qui existait depuis assez longtemps, avec des mecs qui faisaient leurs trucs entre eux dans des garages, ça a explosé et tout le monde s’est mis à faire de la dubstep et tout le monde s’est mis à adorer ça. Moi je trouve que ça ruine le truc, j‘aime l’univers underground.
A quoi ressemblaient tes premiers pas dans l’électro ?
C’était assez hasardeux. J’ai téléchargé des logiciels, et j’ai commencé à faire mes premiers beats à 18-19 ans, c’était vraiment de la merde. Mais à force je me suis amélioré. Au moment où j’ai sorti mon premier album, je ne m’attendais vraiment pas à ce que les gens l’écoutent mais il y a eu pleins de bons retours. Les gens m’ont dit que ça faisait penser aux BO de John Carpenter, là je me suis dit que ça commençait à avoir de la gueule.
Tu t’es plus éclaté en faisant Perturbator qu’avec ton premier groupe de metal ?
Carrément. Quand tu es dans un groupe, ce n’est pas pareil. Pour l’écriture des compositions, tu t’engueules avec les autres membres, tu te prends la tête. Tu es en retard aux répétitions, c’est relou. Alors que quand tu es tout seul à faire de l’électro, c’est toi, devant ton ordinateur, ton logiciel, tes boîtes à rythme et ton synthé, et tu te laisses aller. Tu n’en as un peu rien à foutre de ce que les gens en pensent et c’est comme ça qu’il faut faire.
Ça te donne pas envie de faire un groupe de metal où tu serais vraiment tout seul, un one-man band ?
Non parce que ça serait un peu galère. Le metal est censé sonné « gros », avec un gros son, avec deux guitares, une basse, une batterie, il faut que ça sonne comme un groupe. Alors que l’électro, ça peut donner l’impression que le son est massif, mais c’est juste une question de mixage. Même en concert, avec l’électro, il y a toujours un ingé son qui est là, qui sait comment tu veux que ça sonne. Alors que les concerts de metal on te prend souvent pour de la merde.
Tu ferais des collaborations avec des groupes de metal ?
C’est une expérience que j’aimerais bien tenter. J’ai déjà été approché par des groupes comme Skeletonwitch ou The Contortionist.
Tu penses ajouter de nouveaux éléments à Perturbator comme des voix par exemple ?
Dans le prochain album, il y a de la guitare. J’essaie de faire un truc un peu plus produit que simplement des machines pour pas que l’auditeur se fasse chier. Personnellement, je ne peux pas écouter un album entier qui serait composé uniquement avec des machines. Je n’arrive pas à écouter un album électro instrumental en entier, c’est assez fatiguant. Le nouveau Mister Oizo est sorti, j’adore ce qu’il fait mais je n’arrive pas à l’écouter d’une traite. Après trois morceaux, je passe à autre chose. Du coup, j’utilise des chanteurs et des guitares maintenant. Je sample des sons que je joue au piano par exemple, je l’enregistre et je le boucle.
Là tu as fait deux concerts ? Tu en as d’autres de prévus ?
Oui, j’en ai quatre autres prévus pour l’année prochaine, à Paris, à Nice, en Finlande et en Norvège, qui se passe au Black Mass, un festival de Black Metal. Sur l’affiche, tu n’as que des logos illisibles et après tu as le mien, c’est bizarre.
Au Gibus il y avait des projections derrière, tu vas développer ce côté visuel dans ta mise en scène ?
C’est ce que j’essaie de développer le plus, j’aimerais bien me focaliser sur l’aspect visuel, avoir des danseuses, des machines à fumée ou des trucs un peu cliché années 80. J’aimerais qu’au final on oublie un peu que ce que tu as devant toi c’est un mec avec un ordinateur qui tourne des boutons. Pour le Gibus, on me pressait pour que je trouve des visuels. Il y avait cette vidéo fan-made qui illustrait une de mes chansons avec des passages de films des années 80. J’ai demandé au créateur de la vidéo si je pouvais m’en servir, et j’ai rajouté d’autres extraits de films parce qu’il n’y en avait pas assez, souvent pleins de films que je regardais quand j’étais gamin et que je regarde encore aujourd’hui.
Dans la vidéo qui passait derrière toi, tous les extraits étaient issus de films des années 80 sauf un, American Psycho…
Il y avait aussi Beyond the Black Rainbow qui date de 2011. Mais American Psycho, je l’ai choisi parce que l’histoire se situe dans les années 80 en fait, avec les clichés de cette époque comme les yuppies.
Les sorties cinéma actuelles ne t’excitent pas ?
Non, je n’aime pas trop ce qui sort en ce moment. Aucun film, sorti ces dix dernières années, ne m’a convaincu bien que certains soient sympas. J’aime bien Tarantino et ses faux films d’exploitation qui n’en sont pas vraiment ou certains films de science-fiction bien foutus, mais il n’y en a pas beaucoup. J’en ai marre des remakes. J’ai vu celui de Total Recall d’ailleurs, j’avais évidemment l’original en tête, mais ça ne l’a pas fait pour moi-même si les visuels étaient super classes, ça se voit qu’ils en ont bouffé du Blade Runner… J’aimerais voir des remakes de films un peu pourris mais cool des années 70 ou 80, comme Savage Streets avec Linda Blair. Je trouve dommage de faire des remake de films géniaux comme Robocop pour les montrer aux jeunes. Un bon remake, c’est celui qui reprend un film qui n’était pas top à la base, qui corrige des erreurs.
Est-ce que tu aimerais faire une BO de film traditionnel ?
Carrément ! C’est ce vers quoi je tends, c’est ce que je voulais faire dès que j’ai commencé Perturbator. Mon plus grand rêve serait de faire la BO d’un film de John Carpenter, ne serait-ce que collaborer comme il l’a fait avec Alan Howarth. Ou le prochain Blade Runner, même s’il va sûrement puer la merde.
Tu peux nous expliquer ton projet L’enfant de la forêt ?
C’est un peu trip-hop, posé et j’aime y donner un twist horreur, pas à l’américaine mais plus malsain à la japonaise, avec des sons dégueulasses. Je suis tout seul là-dessus, je suis en train de faire l’album de ce projet.
Tes références en matière de film d’horreur sont donc plutôt japonaises ?
Les films d’horreur à l’américaine, je les mettrais plus dans les influences de Perturbator. J’aime beaucoup les slasher Black Christmas ou Halloween qui est mon film préféré de tous les temps avec Blade Runner. Les japonais sont très bons dans ce domaine, alors que les américains ne sont plus trop capables de nous faire peur aujourd’hui. Ils ressortent les vieux trucs de gamins possédés, les japonais sont encore assez malsains. J’adore Takashi Miike, Gozu, Imprint, même si mon préféré c’est Ichi the Killer, qui n’est pas un film d’horreur.
Pour finir, peux tu me donner tes référence essentielles niveau culture 80’s ?
Pour le cinéma : Blade Runner, Halloween, Akira, Mad Max 2, Aliens et en musique: Tear for Fears The Hurting, Violator de Depeche Mode, South of Heaven de Slayer, Metallica Kill em All, Kate Bush The Dreaming.
Photos par Metastazis – Studio Falguière
« A quoi ressemblaient tes premiers pas dans l’électro ?
C’était assez hasardeux. J’étais chargé de logiciels »
Je crois qu’il voulait dire » J’ai téléchargé des logiciels »
Cool interview ! Je n’m’attendais pas à trouver Perturbator sur LTP !
Perturbator est vraiment bon dans son domaine, je l’ai découvert à la sortie de Hotline Miami, et ses morceaux défoncent vraiment (comme toute la bande son du jeu d’ailleurs). J’ai hâte de voir ce qu’il y’a de lui dans le 2ème opus, ainsi que les morceaux de Carpenter Brut que vous aviez interviewé. Merci pour l’interview !