Only Porn : le seul festival de culture porn de France
Deux ans que j’habite à Lyon. Deux ans que je vois passer cet événement dans mes différentes timelines et deux ans que je rate la manifestation. Ma résolution de la fin d’année 2014 était de ne pas me faire avoir : j’irai à la troisième édition d’Only Porn.
Only Porn d’abord, qu’est-ce que c’est ? : « Ce festival entend présenter un ensemble de propositions artistiques ayant toutes pour point commun une réflexion sur la question pornographique. Un festival des plus créatifs, ouvert à toutes et tous (mais tout de même interdit aux mineurs et âmes sensibles) qui saura exciter votre curiosité. » lis-je. Ma curiosité ainsi excitée, me voilà donc en route vers les pentes de la Croix-Rousse et le Lavoir Public.
La première surprise d’Only Porn, c’est d’abord le lieu de la manifestation : un vrai lavoir public, avec bassin d’origine. Pourtant, on n’est pas là pour faire notre lessive : le Lavoir Public a gardé ses vestiges du passé, et les a agrémentés d’éléments aussi sympa que des boules à facettes ou une lumière tamisée rose, pour nous mettre dans l’ambiance.
Assez parlé décoration intérieure, entrons directement dans le vif du sujet : le festival Only Porn démarre le jeudi 11 décembre, à 20h précises. Mon acolyte – Msr Bazin – est arrivé bien en avance, et commence déjà à blinder sa story Snapchat de selfies vidéo de plus en plus insultants à mon égard, rapport au temps que je mets à arriver alors qu’il fait froid dehors.
J’arrive.
L’entrée de cette soirée d’ouverture coûte la modique somme de 5 euros. Pour 10 balles, c’est les quatre jours du festival qui s’ouvrent au public. Plutôt honnête, le tarif. Après avoir récupéré nos accréditations, nous nous installons sur de sympathiques chaises en plastique beige type « salle municipale de province ». On y restera assis la majeure partie du temps pendant les quatre soirs à venir.
La salle s’emplit peu à peu. À 20h, Julien, Yvan et Olivier, à la tête du collectif Only Porn, ouvrent officiellement le festival en déclamant leur manifeste :
– Parce que nous pensons que le porno et le sexe ne sont pas un espace marchand mais un espace de liberté et de création,
– Parce que ne nous voulons pas laisser le discours sur la pornographie et le sexe aux mains des grenouilles de bénitier et autres réactionnaires, mais aux mains de ceux qui s’en amusent,
– Parce que nous pensons que le porno et le sexe sont un espace d’émancipation de la société, et donc un espace politique,
– Parce que nous sommes pro-sexe,
– Parce que Lyon, ville du cinéma et des arts, est la ville idéale pour accueillir le seul porn fest de France,
– Parce que nous pensons aux artistes – cinéastes, vidéastes, acteurs, performeurs, auteurs… – qui trouveront ici une tribune ou un espace de diffusion, de réflexions artistiques et politiques face à un public curieux et ouvert,
– Parce que nous pensons qu’aujourd’hui, la pornographie et le sexe sont un espace riche d’échanges et de débats,
– Parce que la pornographie, souvent réductrice et formatée, peut aussi être un espace de plaisirs partagés,
– Parce que nous voulons l’imagination au pouvoir, dans nos vies sexuelles comme dans nos vies tout court,
– Parce que nous voulons faire de l’espace sexuel qui appartient à chacune et chacun d’entre nous un terrain de jeu ludique, décomplexé, et jouissif !
Manifestement, nous sommes sur la même longueur d’ondes. Ce sentiment se vérifie quelques minutes plus tard à peine, lors de la projection de plusieurs petites vidéos de Prends-moi, site « des sexualités gay » et partenaire de l’événement. La série s’appelle Au mot, et derrière cet habile jeu de mot se cache une description pleine d’autodérision sur la communauté gay et ses clichés. Les hétéros se marrent, les homos encore plus, les premières minutes annoncent une première soirée des plus agréables.
Nous n’assistions là qu’à une mise en bouche. Ce jeudi, c’est la soirée « De l’art ou du cochon ? » : les courts-métrages s’enchaînent et le public vote, à chaque fin de film, afin de déterminer si ce qu’il a vu est plutôt « arty » ou plutôt « cochon ». On voit de tout : entre autres La Petite Mort, troisième chapitre de la série Domestikia de Jennifer Linton, Zolushka, réécriture queer et franchement fun de Cendrillon par Wes Hurley, des teasers pour come4.org ou des soirées uro.
On monte gentiment en pression, ce qui motive les orgas à se fendre d’un léger disclaimer oral : « âmes sensibles, s’abstenir ! ». Justement, un petit groupe vient d’investir les lieux. Plutôt jeunes, passablement alcoolisés, l’une des membres de cette petite troupe déjà bruyante dans un environnement qui jusqu’à maintenant était plutôt calme et cool lâche d’emblée un « bon bah j’me casse ! ».
Hélas, elle n’en fera rien. Du coup, quand arrivent les trois minutes dédiées à Char the Butcher – du SM extrêmement graphique, à coups de scarification et de vomi, gros NSFW pour la vidéo ci-dessous – au milieu des murmures s’élève à nouveau la voix de cette charmante jeune fille pleine de tact : « est-ce que je suis la seule à ne pas comprendre pourquoi on regarde ça ?! ».
La réponse viendra de Julien, l’un des membres du collectif, rappelant la nécessité de tolérance, même face à des sexualités telles que celle de Char Vortryss. Je l’avoue, ce n’est pas la vidéo qui m’aura le plus plu ni le plus marqué ce soir là. La fin de la soirée se déroulera ensuite sans trop d’encombre, entre Ton poids sur ma nuque, dix minutes assez lourdes réalisées par Frédéric Labonde après avoir observé ses voisins pendant deux ans, ou le barré Biodildo mettant en scène Kay Garnellen et Jiz Lee dans le rôle d’un couple hétéro parfait… ou presque.
Kay Garnellen sera d’ailleurs le trait d’union entre la soirée du jeudi et celle du vendredi : Kristian Petersen, qui en 2011 effectuait un « crossover queer porn » avec Fucking different XXX revient avec Fucking different XXY, demandant cette fois-ci à sept réalisateurs transsexuels – dont Kay – d’imaginer un court-métrage sur la notion d’étrangeté en lien avec leur représentation de genre et d’identité sexuelle.
Hélas, retenu ailleurs, je n’arriverais pas à me libérer à temps pour cette soirée, qui voyait aussi la projection des XConfessions d’Erika Lust, série de courts écrits à partir des petites histoires vécues que lui envoient les internautes.
Qu’à cela ne tienne, je suis au Lavoir Public dès 17h le samedi et pour cause : c’est la journée la plus chargée du festival. Tout commence avec Crash Pad, une nouvelle série porno queer que l’on nous propose de découvrir. On voit deux épisodes, l’un tournant autour du fist avec une touche d’Inception, l’autre mettant en scène Nina Hartley, la légende, la MILF sûre, qui s’affuble pour l’occasion d’un strap-on du plus bel effet. Pourtant, avec mon comparse, on trépigne sur notre chaise en plastique beige : filmer à l’appareil photo pourquoi pas, mais pourquoi ces gros coups d’autofocus ? À chaque flou-net, on bondit, on crie, on s’insurge, et au final, on lâche totalement Crash Pad. Du porn oui, mais du beau !
La séquence suivante s’occupera de nous détendre : place au Gango Bingo ! Deux grilles, et dans tout le Lavoir, des quines qui résonnent. « Quine », c’est le mot à crier quand une ligne de sa grille est pleine. Et puis, après quelques quines, c’est le bingo qu’on attend. La deuxième grille verra d’ailleurs s’installer un suspense insoutenable et c’est finalement deux ex-aequo qui devront se départager dans un pierre-feuille-ciseaux des plus farouches.
Après tant d’émotions – mon voisin était à deux chiffres du bingo – il est temps de passer à la rétrospective Antonio Da Silva. Vainqueur en 2012 et 2013 du prix du meilleur court-métrage au Berlin Porn Fest, respectivement pour Bankers et Gingers, le réalisateur portugais entend poser la question du désir et de la sexualité masculine. Si Limankia ou Beach 19 – et dans une moindre mesure Nude Dudes – sont assez dispensables, l’essentiel des dix films de Da Silva se regarde avec intérêt.
Et puis il y a PIX. LA claque de cet Only Porn 2014. À vrai dire, on l’avait vu dès le jeudi, noyé au milieu des courts de la sélection « De l’art ou du cochon ? », et déjà il nous avait mis une calotte. « PIX », c’est un stop-motion un peu fou posé sur des basses lourdes, une superposition épileptique de selfies de 2500 mecs gaulés comme jamais je ne le serai, croisés au hasard de Grindr, Tumblr ou de la rue, débutant habillés face à un miroir, et finissant la teub à la main et en gros plan, sans couper le feu d’artifice final.
PIX, c’est le web et le porn qui s’entrechoquent violemment. Da Silva l’a bien compris, et propose sur son site un découpage de son film tout en .gif qui met déjà en émoi Abitboule et tous les amateurs de la sélection dominicale.
Après cette retrospective pleine d’éphèbes, les corps et les coeurs ne tiennent plus : le collectif a réquisitionné pour une « Pop porn party » un ancien haut lieu alterno des 90’s depuis transformé en sex-club masculin, pour une nuit clubbing et plus si affinités.
Dimanche, malgré l’heure avancée de la journée – 18h – les corps montrent leurs signes de fatigue, souvent accentués par l’alcool et le poppers consommés la nuit précédente. Pour redémarrer en douceur, Only Porn nous offre le classique Nightdreams de Stephen Sayadian et son lot de moments WTF, à commencer par l’apparition du grand Mr. Cream of Wheat.
Pendant ce temps, des instruments ont gagné l’avant-scène, pour la dernière séance d’Only Porn 2014. C’est le groupe lyonnais Improjections qui se charge de clore le festival, en accompagnant en musique improvisée une sélection de films forcément connotée. L’occasion de revoir du porn des années 1920, de subir les 25 minutes d’Un chant d’amour de Jean Genet – avec Jean Cocteau à la photographie, excusez du peu – et de découvrir que Klapisch a réalisé un porno casté par John B. Root.
C’est sur cette note musicale que s’achève la troisième édition d’Only Porn, seul festival français dédié aux cultures pornographiques. Avec une programmation majoritairement gay-friendly, le collectif lyonnais a pourtant réussi à proposer un contenu accessible à tous, pour quatre jours résolument fun. Rendez-vous est déjà pris pour l’année prochaine, et la rumeur veut que le festival quitte le Lavoir Public – qui fait face à quelques difficultés – pour une vraie salle de cinéma… affaire à suivre.
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