Mums make Porn : quand la télé britannique se met au porno
Sur le papier, l’émission Mums Make Porn avait tout pour être un beau fiasco. Nous sommes dans la puritaine et perfide Albion, qui en 2014 a interdit certaines pratiques sexuelles des productions pornos locales, avant de changer d’avis en 2019. C’est ce même pays qui hoquète désormais sur la mise en place d’un contrôle d’accès pour le contenu adulte, mettant potentiellement en danger les données sensibles de millions d’utilisateurs. C’est dans ce contexte qu’on allait s’atteler au sujet du porno, sur Channel 4, une chaine grand public, à l’heure pas très tardive de 22h.
Le pitch, donc : « Choquées du porno hardcore disponible en ligne et de son impact sur la génération de leurs enfants, cinq mères de famille ordinaires décident de faire leur propre film porno ». En réalité, les Mums n’étaient pas vraiment choquées avant d’arriver sur l’émission. Et pour cause, elles ne regardaient pas de films pour adultes, à l’exception d’une seule, Anita, maman de quatre garçons et seule sex-positive de la troupe. Elle assume gaiement aimer le sexe, qu’il soit à un, à deux ou à plusieurs, anal, vaginal, oral et autres combinaisons possibles. Pour les autres : séance de rattrapage lors d’une première rencontre, en mode réunion tupperware dans la cuisine d’une Mum : pour l’ambiance, on repassera. L’épreuve du feu se fera sur Pornhub, côté hardcore, avec hommes dominants, voire violents, qui mettent la tête de leurs partenaires dans les toilettes. Pas au goût de toutes, c’est certain.
Le porno, cette industrie sale et méchante
Le porno mainstream n’aura donc qu’à bien se tenir. On apprendra ainsi de la voix off que « 90 % du porno dépeint de la violence envers les femmes » (Ah bon ? Mais d’où vient cette statistique ?). On entendra aussi de Dick Bush, auteur et réalisateur engagé pour aider les Mums à se familiariser avec le sujet, que des milliers de porno sont faits chaque mois, et qu’il est donc « difficile de faire quelque chose différent ». Tu parles d’une ambition. Autre précieux conseil du réalisateur : « – Y’a t-il des interdits ? demande l’une des Mums. – Ne demande pas à tes performeurs d’avoir des rapports sexuels avec des animaux. » Oui, OK, merci de l’avoir rappelé. « L’industrie est choquante. Il serait difficile de ne pas faire un film génial parce que la barre est tellement putain de basse », conclut l’une des Mums néophytes, entre deux pleurs (oui, dans la télé britannique, on pleure beaucoup et pour pas grand-chose). Les bases sont posées.
Au second épisode, Jane, auteure d’un blog féministe et maman d’une adolescente, se retire du programme, incapable de dépasser une apparente dichotomie entre sa morale religieuse (elle est chrétienne pratiquante) et une approche du sexe qu’elle réprouve. La visite à sa révérende nous laisse un goût étrange – « Il y a beaucoup de sexualités dysfonctionnelles », jugera celle-ci – faisant perdurer un stéréotype de plus : celui d’une religion intolérante aux libertés de chacun.
Comme disent les Monty Python, « prends la vie du bon côté » : Mums Make Porn a l’avantage d’engager une discussion et si les prémisses sont bancales, elles représentent probablement le point de vue du quidam moyen qui n’a jeté qu’un coup d’œil coupable au porno des tubes ou qui s’interdit la pratique, car non-éthique, un peu trop cavalière ou simplement pas à son goût. Ainsi, les mamans rencontrent des performeurs et leur posent des questions honnêtes, bien que naïves. Cela permet également d’humaniser une profession et de rappeler que le travail du sexe est un travail et qu’un grand nombre de ses professionnels n’y sont pas entrés par coercition, mais par envie, besoin ou toute autre raison qui nous pousse chaque matin à nous lever et à nous rendre au travail plutôt que de regarder des pornos séries Netflix toute la journée. La base, on l’espère, pour les lecteurs du Tag – mais les lecteurs du Tag ne sont pas la ménagère de 50 ans (enfin pas tous·tes).
Ainsi dès le premier épisode, et alors que le monde du X est encore sale et méchant pour les Mums, l’une d’entre elles, Emma, se rend sur le tournage de Zara, dominatrix. Elle y rencontre Sam, performeur soumis de 24 ans qui raconte être passé par une étape d’addiction sexuelle qu’il explique en partie par le manque de dialogue et d’éducation sexuelle. « Si vous êtes ouvert, les problèmes s’en vont », conclut-il. Emma apprécie visiblement le film fait maison de Zara. « Incroyable, vous êtes tous les deux géniaux », s’émerveille-t-elle.
L’épiphanie Erika Lust
Le second épisode est une sorte d’épiphanie pour les Mums. À mi-chemin du total de l’émission (3 x 45 minutes), nos futures réalisatrices découvrent que l’industrie est plus complexe et diversifiée que ce qu’on a bien voulu leur faire croire pendant leur réunion scones et porno hardcore du premier jour. Oui, il existe du porno féministe, indépendant, où la diversité des corps et des fantasmes est représentée. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et on se réjouit que les spectateurs ayant tenu jusque là découvrent ce pan de l’industrie.
Ne soyez pas trop exigeants. On n’aura pas ici une sélection des meilleurs réalisateurs de la « nouvelle vague » pornographique, mais la présentation de la figure de proue de cette dite vague : Erika Lust. (On se demande tout de même comment en acceptant de figurer dans une émission sur ce sujet, les Mums n’ont pas eu l’idée de googler « feminist porn » et de cliquer sur le premier résultat. Mais la production audiovisuelle a ses raisons que la raison ignore. Réjouissons-nous donc que porno et féminisme puissent être enfin prononcés dans la même phrase sans être catégoriquement opposés.)
Contact est pris et les Mums embarquent pour Barcelone pour rencontrer la réalisatrice sur le tournage de deux films. Le premier, un film arty où six filles, le corps délicatement peint, sont allongées en cercle et se masturbent jusqu’à l’orgasme. Le second, un shooting dans un lavoir automatique qui donne chaud à toute l’équipe du tournage, Mums comprises. « [Le porno] peut être magnifique » dit finalement Sarah, maman de deux filles jusque là assez peu complaisante avec l’industrie. « Nous l’avons rendu vil en n’en parlant pas ». Bingo.
Some photos from yesterday's amazing shoot 💖 Thank you @ViktoriaVaar @RomeoOnSet @Kali_Sudhra and everyone else who got naked on set! pic.twitter.com/51EI5SJOk5
— Erika Lust (@erikalust) October 19, 2018
La visite avec Erika Lust est un tournant. Les Mums réalisent que des films comme elles souhaiteraient en voir existent déjà – simplement, ils sont moins visibles et sont payants. Elles en profitent pour caster le très hot Roméo du lavoir automatique et invitent Erika Lust sur leur propre tournage. Tournage qui d’ailleurs, se montre assez compliqué.
Les Mums se sont mises d’accord pour avoir quatre acteurs – pas tous dans la même pièce, malgré l’insistance d’Anita qui souligne, face à l’imagination peu fertile de ses acolytes, qu’elles « perpétuent la vision que le sexe est simplement entre deux personnes ». Deux couples filmés en parallèle donc, dont un couple lesbien et une diversité de corps et d’origines ethniques représentée. Dans leur film, intitulé I Want Fourplay, l’élément clé du message est le consentement. Avant chaque acte, les performeurs doivent donc demander l’accord ou prévenir leur partenaire. « Je veux mettre mon doigt dans ta bouche », « Je veux te toucher le cou » : l’intention est louable. La scène entre les performeuses femmes doit être tournée à deux reprises, sur fond de désaccord artistique des apprenties pornographes.
« Déshumanisation et sarcasmes »
The level of dehumanisation and sneering we’re just casually throwing around here about real people and the actual bodies they possess and use for sex is uh, honestly awful.
— Vex Ashley (@vextape) March 21, 2019
Et l’industrie, qu’en pense-t-elle ? Si la projection de I Want Fourplay organisée par Channel 4 devant des professionnels s’est terminée par une standing ovation, sur Twitter l’accueil est plus glacial. « Le niveau de déshumanisation et de sarcasmes lancés nonchalamment à des personnes et à leurs corps, qu’elles ont décidé d’utiliser pour le sexe, est honnêtement horrible », estime Vex Ashley, réalisatrice et performeuse, dans un thread où elle regrette notamment une vision catastrophiste du porno et le cynisme d’une émission télé qui capitalise sur ce qu’elle dénonce pour attirer des revenus publicitaires.
Example: do you know how to talk to a performer when they’re exhausted from working? Do you know how to identify non-verbal cues of distress? Do you know how to follow up with a performer after a scene to make sure all was well? Do you know how to handle 2257s?
— Nenetl “Spicy Pussy” Avril (@nenetlavril) September 19, 2018
La performeuse Nenetl Avril s’indigne quant à elle, dans un excellent thread publié au moment du casting, de la position de pouvoir de femmes n’ayant pas choisi une carrière dans le travail du sexe sur des personnes l’ayant choisi. « Savez-vous comment parler à un performeur éreinté par le travail ? Savez-vous identifier les signaux de détresse non verbaux ? Savez-vous comment suivre un performeur après une scène pour s’assurer que tout va bien ? », interroge-t-elle. Si quelques rares performeuses ont salué l’émission, le Twitter porno semble se mettre d’accord pour rappeler à la production que les femmes ne les ont pas attendues pour regarder du porno, que les kinks ne devraient pas être source de honte et que la diversité se trouve aussi dans la forme et la taille des pénis. Avis pour une prochaine saison.
I Want Fourplay est disponible ici, mais accessible uniquement après avoir prouvé votre âge avec un permis de conduire anglais.
Cet article est possible grâce à la contribution de Emmanuel B, merci !
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