Ma quête impossible du Kinbaku parfait
Ça fait presque deux ans que je suis modèle sur la scène bondage et pourtant je ne suis jamais tombée sur du porn avec du bondage japonais (ou Kinbaku) qui me plaise vraiment. L’autre jour, j’ai demandé au Grand Timonier du Tag (qui est aussi mon dealeur de porn) de me fournir en vidéos qui arriveraient à mixer à la fois émotions, cordes et pénétration comme j’en rêvais. Il n’a pas vraiment été d’une grande aide et a avoué à demi-mot qu’il n’avait pas de solution à mon problème. Cet article est donc ma quête du kinbaku parfait. [Spoiler alert : c’est un échec].
Je sais déjà ce que vous allez me dire : mais pourquoi tu ne vas pas sur Kink ? Le problème est que Hogtied et Sadistic Rope ne font pas vraiment du Kinbaku, sauf dans de rares et vieilles vidéos chez Water Bondage. J’ai également plongé dans les terrifiantes et fascinantes abysses du porn japonais et j’y ai croisé bon nombre de japonaises ligotées et gigotantes, mais les cordes qui les entouraient étaient seulement utilisées comme contraintes et ne témoignaient pas vraiment de la beauté et de l’émotion dégagée par le Kinbaku.Tout là-bas n’était qu’humiliation, couinement et punition.
Avant d’entrer dans les détails, je vais toutefois devoir poser sur mon nez mes demi-lunes de professeure lubrique et vous expliquer à quoi ressemble vraiment cette pratique extrême qui m’obsède.
Qu’est-ce que le Kinbaku ?
Le bondage japonais est aussi appelé Shibari ou Kinbaku, les deux termes sont souvent débattus par les disciples : Shibari signifie “attacher” ou “ligoter” de façon générale (sans acte sexuel) et Kinkabu “la beauté d’attacher avec des cordes”, ce qui introduit des notions esthétiques et émotionnelles. Le Kinbaku vient du hojōjutsu, l’art martial traditionnel japonais qui consiste à ligoter une personne à l’aide de cordes et qui était utilisé au Japon féodal par les Samouraïs comme torture sur les prisonniers. Les samouraïs avaient développé de nombreuses techniques codifiées pour attacher leurs prisonniers selon leur statut social et leur sexe : les hommes étaient attachés de façon à montrer leur force et leurs muscles, tandis que les attributs sexuels des femmes étaient mis en valeur à travers le travail des cordes. Des siècles plus tard, le Kinbaku s’est fait connaître grâce à la photographie érotique, inspirée des œuvres de Seiu Ito dans les années 50. L’imagination fertile et sadique des japonais n’avait plus qu’à faire le reste.
Contrairement au bondage occidental que vous pourrez voir sur Kink.com, le Kinbaku originel met l’accent sur l’intimité, sur la façon dont les cordes sont placées par l’attacheur (plus communément appelé rigger) qui deviennent alors l’extension de ses mains. Pour citer Riccardo Wildties, un des riggers européens les plus connus : “Le bondage japonais concerne plus le processus que le résultat final”.
Dans la plupart des productions porno occidentales, les cordes ne servent qu’à contraindre et à immobiliser le sub (dominé ou bottom) : une cage, des menottes, du cellophane ou n’importe quel instrument de torture issu du moyen-âge peuvent donc très bien faire l’affaire. Le plaisir, l’angoisse ou la douleur ne viennent pas des cordes en elles-mêmes mais de ce que fait le dom (dominant ou top).
Dans ces productions, les positions et les cordes ne sont pas trop dures pour le corps – en tant que modèle, je dirais même que c’est plutôt confortable – elles permettent aux modèles de tenir toute la scène pendant qu’elles se font baiser, fister ou fouetter joyeusement et sans répit, tout en étant suspendues les quatre pattes en l’air. La choune.
Une expérience sensorielle extrême
Comme pas mal de modèles, je ne suis pas vraiment une masochiste et je suis plutôt douillette en dehors des sessions. Les cordes, en faisant pression sur certains points de contacts très précis, me forcent à accepter la douleur et à repousser mes limites. Au sol ou en suspension, ces pressions déclenchent tout un panel d’émotions ; la douleur, bien sûr, la honte et l’excitation engendrées par l’exposition, mais aussi l’abandon ou la libération. On retrouve parfois une sensation proche du “runner’s high” bien connu des athlètes. En effet, au moment où le corps et l’esprit se laissent aller, une sensation d’euphorie commence.
Après un moment inconfortable ou douloureux, les modèles peuvent ainsi entrer dans ce qu’on appelle le “rope-space”. C’est un état proche de la transe ou même des effets de la MDMA, déclenché par une intense décharge d’endorphine ou d’adrénaline causée par la douleur et amplifiée par la connexion sexuelle ou sensuelle avec le dom. Quand tout fonctionne, une relation subtile, intense et profonde peut alors s’établir avec lui. Enfin, et à la manière d’une descente, le retour à la réalité est parfois difficile. Au début, on ligote une morveuse qui jette des regards défiants, et à la fin on se retrouve face à un être prostré qui bave et réclame des câlins.
Si seulement Hajime Kinoko et Gorgone pouvaient faire du porn ensemble…
Dans la majorité des productions occidentales, y compris chez Kink, on retrouve des pratiques extrêmes : du caning, de la cire brûlante et d’autres tortures variées, mais aussi la pénétration. Pourtant, les modèles ne montrent que rarement la gamme d’émotions qu’on retrouve dans le Kinbaku : il n’y a pas d’abandon, pas de honte véritable, pas de culpabilité, de larmes ou d’yeux révulsés. Pour Riccardo Wildties, le bondage japonais se doit d’être choquant, émotionnel et sexuel : “J’aime les vidéos avec beaucoup d’intimité, de honte et d’humiliation, de nez qui coule, de larmes. Je sens bien plus de connexion dans ces larmes tirées par un takatekote (un harnais pectoral) que dans ces trucs de modèles faussement évanouis sur Kink.com. C’est du porno produit par des acteurs porno, ils font leur taf mais il n’y a pas de véritable intimité. Les modèles avec les yeux clos et le visage paisible me la coupent. Je trouve ça chiant.”
De la difficulté d’allier porn et Kinbaku
Presque tous les riggers japonais célèbres ont leur site, avec leurs tutoriaux, leurs shows et quelques enregistrements DIY porno ou érotiques extrêmement sophistiqués, méticuleux et très ritualisés. Allez jeter un œil au travail d’Haruki Yukimura, c’est l’un des rares riggers de très haut niveau à disposer d’un site traduit en anglais. Mais pour les riggers que j’ai interviewé, le Kinbaku est trop niché pour attirer les producteurs porno. Même au Japon, il est difficile de trouver des vidéos qui représentent le bel art des cordes dans le porno. Pour le rigger et pédagogue Wykd Dave, “le problème vient du fait que la majorité des producteurs de porno se foutent de la qualité du bondage et qu’ils ne veulent pas payer pour obtenir le savoir-faire d’un rigger expérimenté. Du coup, l’attachement est souvent affreux, ce qui m’empêche d’apprécier ces vidéos.”
Deux des plus célèbres nawashi (un rope artist en japonais), Akira Naka et Randa Mai, collaborent en tant que rope artists et parfois comme acteurs avec quelques studios BDSM japonais ; pourtant selon eux l’acte sexuel prend toujours le pas sur le bondage :
“La réalité et la vidéo sont deux formes d’art complètement différentes », explique Randa Mai. « Avec la vidéo tu tournes plusieurs scènes, tu changes les décors et tu as pas mal de pauses. Les actrices sortent souvent tout droit de l’industrie pornographique, elles sont bookées par des agences. Elles n’ont pas nécessairement de goût particulier pour le bondage ou le S&M. Tu as tout le temps qu’il te faut pour essayer tout ce que tu veux : de la pénétration au lavement, du fouet aux menottes en passant par le bondage en suspension, le tout constamment ponctué d’une grosse dose d’activité sexuelle. Durant le shooting, il n’y a que très peu de place pour le plaisir véritable.”
En plus des sites de riggers, je suis également allée fouiller sur les sites japonais les plus célèbres, dont Harcore Punishement, Forbidden East et le complètement barré studio Dogma (où je me suis rendu compte que je suis trop vanilla quand il est question de lavement au lait, de torture de nez et de barboter dans des viscères). J’ai très vite été confrontée à trois problèmes majeurs : d’abord, tout est en japonais, ce qui ralentit inévitablement les recherches. Ensuite, le bondage est certes présent partout sur les sites de porno mainstream, mais il est rarement bon et la connexion à l’écran entre les partenaires est souvent inexistante. Enfin, quand on parvient finalement à trouver une vidéo de kinbaku un tant soit peu intime, on a souvent droit aux sexes floutés, typique de la production locale japonaise. Et, quand vient le moment de fapper, j’avoue ne pas vraiment accrocher à la dynamique “vieux barbon grisonnant tripotant une jeunette qui couine comme une porte rouillée”. La pratique du bondage demandant des années de travail, il est vrai que la plupart des maîtres ont un certain âge, un peu trop éloigné des éphèbes qui font normalement frétiller ma culotte. Désolé Nawashi, ta technique a beau être incroyable, je ne suis pas franchement excitée et je préférerais vivre le moment que de le regarder.
De retour en Occident
Arrivée à la conclusion que le style hardcore japonais n’était pas forcément ma tasse de thé, j’ai orienté mes recherches vers des producteurs occidentaux de Kinbaku. C’est là que j’ai remarqué la page de recrutement réservée aux modèles sur le site de Wykd Dave. Quand je lui ai demandé si c’était facile de trouver des volontaires, il m’a répondu : “On trouve facilement des modèles habituées à la pénétration et des modèles qui aiment se faire attacher. Trouver une fille attirante et rodée au bondage qui accepte de faire les deux avec le sourire est une tout autre histoire.”
Avec sa partenaire Clover, il produit des vidéos de bondage shibari pour des boîtes comme Hustler Taboo : pénétration, strap-ons, godes, anal, crochets et autres activités BDSM à la clé, au sol ou suspendues. Je l’ai interrogé sur les difficultés liées au tournage d’un film de kinbaku et les raisons pour lesquelles il est, selon lui, impossible de suivre un script : “Ça se développe naturellement au fur et à mesure avec les réactions du modèle. S’imposer un story board, c’est empêcher le développement des émotions.” Dave et Clover veulent faire plus que montrer de jolies cordes et du sadisme bête et méchant ; leur but est de capturer la beauté de la douleur, des corps en souffrance et de l’émotion, le tout dans un écrin profondément sensuel et sexuel.
J’ai retrouvé leur travail avec l’incroyable cam girl et rope bunny Maya Homerton dans le magazine Hustler Taboo, qui se consacre essentiellement au bondage. Maya est aussi apparue dans des vidéos de bondage lesbiennes avec Nina Russ, une autre performeuse bondage de renommée internationale, sur des sites comme Altporn4you ou Clips4sale. Tout ce qu’elle fait déchire pas mal.
De l’espoir dans le porn amat’
En fait, Clips4sale est probablement l’endroit où j’ai trouvé ce qui se rapprochait le plus de ce porn que je cherche désespérément, celui qui saurait allier cordes et beauté de la douleur, la connexion qui unit le rigger à son partenaire et le sexe. Par contre, on doit souvent se contenter de préliminaires car Clips4sale a des règles très strictes en la matière : pas de pénétration en bondage si les quatre membres sont attachés, tous les doigts sont autorisés mais pas les pouces (pas de fist), pas de lavement, pas de blood play, etc.
Mais j’ai failli toucher le Saint Graal quand je suis tombée sur le studio de Fred sur Clips4sale, un bel éphèbe américain, rope artist de son état (aka DrRevMunsterMash sur Fetlife) et généreux producteur de vidéos BDSM homemade avec sa très jolie petite copine. Malheureusement, ils ont rompu il y a peu de temps et Fred a mis les vidéos hors-ligne.
Pendant l’interview, Riccardo m’a expliqué qu’ils étaient en train de tester le marché en proposant des vidéos sur Clips4sale avec sa partenaire et petite amie. Après avoir attaché et suspendu ses modèles dans la plus pure tradition japonaise, il utilise ses cordes (et d’autres accessoires) pour les punir ou les contenter, les faire pleurer, gémir et soupirer, baver et jouir. Si on considère que les vidéos sont – pour reprendre ses propres mots – terriblement chères et qu’elles se doivent de respecter les nombreuses règles imposées par Clips4sale, il trouve qu’elles se vendent plutôt bien.
Même si j’ai échoué dans ma quête du Kinbaku parfait, je continue à croire que la jeune génération d’artistes des cordes réussira à capter l’essence sexuelle du Kinbaku, en mixant le bondage traditionnel japonais avec quelque chose de plus moderne, comme des productions alt porn. A en croire la multiplication des performances Kinbaku, des shows mêlant cirque et Kinbaku et des ateliers autour des cordes, ainsi que la popularité des sites comme Kink ou Fuckedandbound, le bondage (occidental ou japonais) est en train de gagner en popularité, ce qui amènera, je l’espère, plus de porn. J’ai hâte.
Et s’il vous prenait l’envie de vous lancer et faire vos propres films (et me les envoyer), sachez qu’il existe de plus en plus de lieux où pratiquer : L’école des cordes située dans le club fétichiste parisien Cris et Chuchotements propose des stages et ateliers, avec Riccardo et Docvale, qui m’attachera durant le Fap Club du 04 juillet. Plutôt recommandé à ceux qui maîtrisent quelques rudiments, Place des Cordes permet la pratique libre du bondage et met à disposition de tous des points de suspension. Pour les autres, Fetlife vous indiquera très certainement un autre grand nombre de soirées et cours privés partout dans l’Hexagone. En attendant, Internet et ses inépuisables ressources vous permettront d’acheter les cordes de jute (chez les deux riggers mentionnés par exemple) et de trouver des centaines de tutoriels.
Attention toutefois, le bondage est une activité risquée, notamment car elle peut endommager les nerfs. Il est préférable de chercher des conseils avisés avant de commencer une suspension les quatre fers en l’air.
Image en une : © Eddy Lamazzi. Rigger : Docvale. Modèle : Tyka.
J’avais une video de très grande qualité d’une artiste japonaise (une certaine Midori) qui ficelait une jeune femme puis lui faisait certaines choses assez porn avec squirt final et tout. La grande classe.
ça s’appelle Silken Sleeves, de Maria Beatty, tu peux toujours essayer
C’est marrant on m’en a parlé hier justement sur fetlife !
A Paris, histoire d’être bien complet 😉
il y a aussi la Jam D, où je crois tu es déjà venue 0dd, la prochaine c’est le 8 juillet et on pourra faire de la suspension : https://www.facebook.com/events/246200742239271
Il y a aussi les cours de Nicolas Yoroï tous les mois à Montreuil : http://yoroishibari.net/
Et cet été pour le festival EroSphère (du 26 au 31 août) nous aurons la chance d’avoir Red Lily (encore une italienne) pour animer les ateliers bondage
http://www.erosticratie.fr/