David Shaw, à la recherche du Beat parfait
David Shaw a laissé son double Siskid au placard pour revenir sous son vrai nom accolé d’un Beat. So It Goes, premier album sorti sur son nouveau label Her Majesty’s Ship, est tombé à la rédac un matin d’octobre et on a commencé à se regarder du coin de l’oeil, avec un petit sourire satisfait. Musique perverse, organique, sexuelle, voilà ce qui nous anime. On est donc allé le rejoindre au Carmen pour qu’il nous en dise plus.
Dans une interview pour Gouru, tu disais que tu étais obsédé par le beat parfait, à quoi ressemble-t-il ?
A quelque chose d’absolument imparfait justement, qui ne soit pas programmé exactement sur la grille. Cette espèce de phase entre les éléments rythmiques qui vont créer ce qu’on appelle le groove. Ce qui m’intéresse c’est de savoir comment ces mouvements d’éléments vont créer un rythme avec lequel tu vas pouvoir entrer en transe ; c’est en effet quelque chose qui me fascine.
Tu l’as trouvé ?
J’ai des petites formules que je tends paradoxalement à perfectionner. Il y en a plein, par exemple la croche parfaite d’un batteur comme celui d’AC/DC – un groove qui est toujours dedans -, est le genre de choses qui me plaît beaucoup.
Tu disais aussi avoir changé de processus de création pour David Shaw, qu’en est-il ?
J’optimise ma méthode et je la travaille par rapport au live. J’ai toujours travaillé avec les instruments car c’est ce qui me convient le mieux. Je suis vite submergé par l’information, je trouve que lorsque tu as trop de choses, tu ne travailles plus la musique mais que tu es dans la démonstration. Comme je travaille avec des machines que j’ai depuis des années et que je les maîtrise, je vais plus aller vers tel ou tel instrument pour obtenir quelque chose. Pour construire un morceau, je vais avoir une idée en tête : un gimmick vocal, une ligne de basse ou un beat que je vais travailler en passant de machine en machine.
Ton avatar Siskid est enterré ?
C’est vraiment fini, ça a eu son temps, Siskid n’a jamais eu une énorme carrière non plus, c’est resté assez confidentiel ; c’était le moment pour moi de faire autre chose.
Tu assumes finalement plus ta musique sous David Shaw and the Beat ?
Oui, je suis plus confort avec qui je suis… C’est un peu : “fuck off, I do what I want !”.
Dans tous tes projets, ta musique est chargée sexuellement, elle est tendue, perverse… C’est un sujet qui t’obsède ?
J’aime beaucoup le sexe. Je suis très attiré par la tension sexuelle qui peut être créée par des situations différentes. Par exemple : l’ambiance dans un club – qui n’est pas forcement connotée sexuellement – peut pendant la nuit, avec l’état des gens qui change, devenir quelque chose de très sensuelle (avant même qu’elle soit sexuelle). Les corps se mélangent, le tactile peut devenir un peu ambigu, quelque soit les genres, le sexe ; t’as l’impression que tout est flou et à la fin ça devient juste une espèce de masse. Il y a quelque chose d’assez esthétique, de très sexy là-dedans.
La nuit est une source d’inspiration ?
La nuit m’inspire plus, le soir tu ne sais pas ce qui peut se passer, il y a ce glamour, cette chose un peu indescriptible… ce côté électrique.
L’énergie sexuelle, c’est un moteur de création chez toi ?
Je ne pense pas forcément à mon mojo quand je vais faire un morceau. Quand suis en studio, je vais tout de suite essayer de me projeter, de chercher ce mouvement de danse chez la fille. Je suis très en phase avec ma féminité, je vais plus aller vers ce déhanchement d’épaule ou de bassin que vers celui du mec macho. Je vais me demander est-ce que ma boucle, mon groove marche à ce moment-là, est-ce que ça me fait grincer des dents, tourner un peu de l’oeil — j’essaye de retrouver un état druggy.
Est-ce que la drogue joue un rôle dans ta musique ?
Bien sûr. J’ai aucune gêne ou embarras en parler, j’en ai pris beaucoup, j’aime beaucoup ça, même si j’ai beaucoup ralenti et que j’ai beaucoup plus de mal à récupérer le lendemain. J’aime l’état de la drogue et de l’ivresse au sens large.
Le fait de basculer, tout en étant dans la retenue ?
J’aime ce jeu là avec moi-même, d’être tout le temps sur la pointe des pieds ; le côté félin que ça peut me donner et jouer avec. J’arrête toujours au moment où je sais que je ne vais pas gérer. Je vais rechercher une espèce d’ersatz de ça quand je vais composer, même si c’est dans une tendance assez pop. Je parle souvent d’INXS ou de Prince, car certains de leurs morceaux m’ont procuré ça, c’est de la danse, tout en étant de la pop. Si j’en entends à 4h du matin, complètement à fond sous MD, ça va me procurer le même feeling qu’un morceau techno.
Qu’est ce qui rend une musique sexuelle ?
C’est un rythme quasi cardiaque, une rythmique qui reste assez proche du coeur, qui te permet de tenir plus longtemps et t’amener plus facilement vers la transe. J’aime quand il y a de la voix, quand c’est uniquement instrumental il faut vraiment que le morceau soit bien. Il faut que certains éléments soient tordus mais pas trop, que je puisse m’accrocher à une certaine mélodie, ou à un bon gimmick hypnotique sur une basse un peu jacking house, quelque chose de plus mordant.
Ta musique ça pourrait être un peu une BO incroyable pour un porno, tu y as déjà pensé ?
L’idée de faire de la musique pour un porno est quelque chose qui me plairait beaucoup, maintenant il y a toujours un décalage entre le porno qu’on connaît et composer de la musique pour un porno arty, tu sens toujours qu’il faut que ça aille rapidement au truc. Ça serait plus intéressant de retranscrire la tension sexuelle d’une nuit et que ça aboutisse à l’acte.
Tu associerais quels tags à ta musique ?
Leather et high heels (cuir et talons aiguilles). Fist éventuellement, je trouve que certains morceaux de l’album pourraient s’y prêter, je serai aussi heureux que ce soit sur une fille ou un garçon.
Si ta musique est perverse, est-ce que toi, tu as un oeil pervers ?
Je suis pervers quand je vais être dans un état sous influence ; je vais regarder les gens, les corps, les mecs, les filles, avec un regard plus attiré physiquement. J’ai autant de plaisir à dire qu’une fille est belle, qu’un garçon est beau. Après je ne suis pas de nature perverse, dans le sens où je ne vais pas faire du mal aux autres. Je ne suis pas non plus un mateur, à rester sans rien faire. J’ai besoin de temps, quand je vais arriver dans un environnement, je vais être comme un chat, je vais avoir besoin de me familiariser. Je me mets dans un coin… puis après on verra.
Tu veux que les gens fassent quoi sur ta musique, qu’ils baisent, se défoncent, dansent, fassent le tour du périph ?
Le tour du périph en baisant sous influence, et qu’ils se crash dans un club à la fin comme dans un bouquin de J.G. Ballard. Ça serait un peu tragique, mais c’est une esthétique qui me plaît.
Il y a des musiques qui sont plus intéressantes pour baiser ?
Clairement, je peux t’en sortir plein :
– Colin Newman – Alone
– Gainsbourg – Love on the Beat
– Chrome featuring Damon Edge – Lovely Loving Lover
– Prince – Electric Chair
– La Perversita – La Soupeuse
– Losoul – Lies
– Nine Inch Nails – Closer
Quelqu’un qui danse bien, baise bien ?
En général ouais… je danse bien ! (rires)
Tu peux nous parler des dernières sorties du label Meant ?
On a monté un nouveau label Her Majesty’s Ship, car honnêtement je ne voyais pas trop l’album sur Meant (au-delà de nos différends). Je vois plus ce projet comme un projet indé. Meant est devenu un label techno et c’est très bien, mais ça ne me correspond plus. Le label continue mais je ne suis plus artiste dessus.
Les parisiens parlent tout le temps de Berlin comme de la Mecque, mais je doute qu’une soirée berlinoise soit transposable à Paris, les parisiens ne veulent pas que ce soit trop “sale”.
C’est pas un problème de trash, c’est un problème de culture. Un picktime, c’est 3h du matin, pas 1h comme ici et une after là-bas, c’est pas forcément dans un truc dégueulasse. Il y a des gens ici qui font des trucs bien comme la Concrete. J’envie rien à Berlin, là-bas tu respires la musique, c’est différent. Tu peux faire la même chose ici, les gens ne vont juste pas suivre. Sans taper sur la France… les français parlent beaucoup et ne font pas grand chose, à Berlin s’ils veulent faire un truc, ils le font.
Tu fais la fête où à Paris ?
Tout le temps du moment que ça prend. C’est pas tant aller dans un club et faire la fête, car certains ne savent pas faire la fête. Ici t’entends souvent “à Paris il ne se passe rien”, c’est pas qu’il ne se passe rien, c’est juste que l’attitude n’est pas toujours géniale. Il y a des choses très bien au Social Club mais c’est un certain public, le Rex quand ça prend, ça prend super… Quoi qu’il arrive, c’est une histoire de moment.
La fête idéale ressemble à quoi ?
Drogues mais classe et digne ; super musique ; pas forcément plein de spots dans la gueule ; des gens qui se respectent et respectent les autres.
Il y a une finalité dans la fête ou c’est juste atteindre un moment de transe ?
Finalement tu peux arriver en début de soirée, sans être éclaté, laisser monter le truc, voir les gens et être content de les voir, boire deux-trois coups — il faut que ça se fasse naturellement. Pas dans le sens, il faut faire la fête et que ce soit politique, sinon c’est la meilleure façon de se planter. Une bonne soirée c’est unexepected.
Qu’est-ce que t’écoutes en ce moment ?
Le dernier Matthew Dear est un super album. J’écoute surtout au quotidien les trucs qui m’ont influencé depuis tout jeune.
Des projets à part l’album ?
Développer le live à mort, c’est ce qui m’obsède. Il y a des choses avec Nhar et Marc Pinol, qui sont sur le feu. Développer le label, on a des futures sorties : il y a nos chouchous Pulp Disco and the Outcasts, sûrement pour l’année prochaine. Et on a surtout l’ep de The Rimshooters (Rotciv & Massimiliano Pagliara) VS Snax, et c’est pour décembre.
Vendredi, David Shaw fête la sortie de So It Goes au Malibu, petit club aux accents 80s à Paris, allez-y.
Photos par © Guilhem Malissen
album génial / mec cool / bonheur simple
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