Comment l’indépendance est en train de révolutionner le porno
Dix ans après l’arrivée des tubes porno qui continuent encore à ébranler l’industrie porno, l’heure est à la réflexion et à l’avenir. Son futur passera-t-il par la réalité virtuelle ? Par la webcam ? Par des Netflix du porn ? Pendant que la presse s’interroge, l’industrie se questionne et cherche un modèle pour sortir la tête de l’eau.
Pourtant depuis quelques années une mutation discrète s’opère. Le porno en subissant de plein fouet la crise du gratuit a vu émerger un nouveau modèle quasi révolutionnaire, innovant et qui amène un vent de fraîcheur sans précédent : l’indépendance. Une uberisation du porno où les intermédiaires deviennent de simples prestataires de service.
La revanche des amateurs
Depuis le début des années 00 et l’émergence du style dit “amateur”, un mouvement s’est amorcé vers un effacement des intermédiaires. Au début, ce changement était cantonné à quelques couples ou amatrices dotés d’une solide connexion Internet comme la fameuse Heather Brooke. Puis la tendance s’est grandement amplifiée à la faveur de deux facteurs : l’accessibilité des technologies de captation et de diffusion et la crise de l’industrie qui a réduit le nombre de studios par dix en dix ans.
Doucement mais sûrement, on est passé du règne des porn star défilant sur le tapis rouge des Hot d’or aux actrices indépendantes qui défilent dans leur chambre, sans strass, ni paillette. De l’autre côté de l’écran, la communauté et les fans sont restés les mêmes mais se nourrissent différemment de leurs fantasmes. Finis le papier glacé et les dédicaces dans les salons X, les relations se font dorénavant sur les réseaux sociaux où les actrices et modèles entretiennent elles-mêmes leurs fans qui sont devenus leur gagne-pain.
Les producteurs et réalisateurs voient leur métier lentement disparaître au profit des plateformes, devenues derniers intermédiaires entre les créateurs de contenu et leurs consommateurs. A quoi bon se soumettre aux exigences d’un producteur, d’un studio et du processus hasardeux de la distribution quand on peut très bien gagner sa vie en passant par Cam4 ou Clips4sale et contrôler sa diffusion ?
Si l’émergence d’une scène indépendante structurée ne règle pas les problèmes de précarité inhérents aux métiers du sexe, elle offre à ses travailleurs qu’ils soient professionnels ou simples amateurs de nouvelles cartes en mains : contrôle de la diffusion et d’exposition, liberté de travailler quand ils le souhaitent et surtout choix de leurs prestations.
La rouleau compresseur de la webcam
Le porno professionnel ne va pas mourir de si tôt, il y aura toujours des acheteurs pour le 1500e épisode de Fake Taxi ou les dernières productions de Erika Lust. Mais pendant que la production accuse une baisse de 70-75% de ses revenus depuis le milieu des 00s, un autre secteur lié au porno de son côté n’en finit plus de se frotter les mains.
Dans le monde de la webcam (classique ou freemium), l’argent coule à flot et les plus grosses boites génèrent chacune des centaines de millions de dollars par an. L’industrie du porno classique trop occupée à se morfondre ou à consolider ses acquis n’a rien vu venir. Pied de nez à la situation actuelle dans la production et la distribution porno, aucuns des mastodontes du secteur de la cam (LiveJasmin, Cam4, Chaturbate ou MyFreeCams) n’appartiennent au géant Mind Geek.
Une manne financière qui profite directement à des dizaines de milliers de modèles qui se répartissent les 50% de commission moyenne de ces sites, soit la coquette somme de 500 millions de dollars en 2014. Un secteur en pleine croissance et une situation impensable dans le porno classique où le rapport entre tarif et exposition à l’ère des tubes ne supporte pas la comparaison avec la cam, qui a su rester pour le moment assez discrète (et peu piratée).
Si les cam girls ne sont pas toutes indépendantes (notamment dans les pays de l’Est ou en Amérique du Sud où des studios – des “usines à cam » – les exploitent), celles qui drainent le plus de tokens sur les plateformes freemium le sont bel et bien. Sexxylorry, Siswet19, Moth+roth… tous ces noms qui commencent à ne plus être inconnus, prouvent tous les jours qu’il n’est plus nécessaire de passer par un studio ou un producteur pour faire (beaucoup) d’argent en se mettant à poil sur Internet.
L’indépendance comme fer de lance
Des cam girls comme Sexxylorry, il en existe des milliers dans le monde, sans doute plus, bien que très peu atteindront un jour son statut de star de la cam et pourront prétendre à des dizaines de milliers de tokens par show. Leur succès ouvre cependant la voie à une indépendance et une prise de pouvoir dans le monde de l’adulte.
Et ces shows publics ou privés ne sont que la partie émergée de l’iceberg, nombreux sont les cammeuses et cammeurs qui vendent leur service directement via Skype se passant ainsi de gourmands intermédiaires (si ce n’est la petite commission de Paypal). Pour tenter de maintenir les modèles chez elles et éviter la fuites des capitaux, les plateformes innovent et leur donnent la possibilité de vendre leurs services annexes : vidéos à la demande, vêtements, comptes Snapchat, WhatsApp et tout moyen de contact possible avec leurs clients et consommateurs. Ces sites ne sont plus de simples services de cam mais de véritables boutiques en ligne où quasi tout se monnaie (dans les limites des règlements des sites).
C’est en partant de ce constat que la plateforme indépendante ExtraLunchMoney (mais fortement liée à MyFreeCams) a vu le jour. Elle ne permet pas de diffusion des shows mais met en relation modèles et clients. Ethique et pratique, elle met un pied dans le web social, centralise les informations et se présente comme le couteau suisse des cam girls indépendantes où tout peut se vendre et tout s’acheter.
L’idée d’un tel magasin en ligne n’est pas neuve mais c’est la première à proposer tous les services des cam girls en lieu unique. Du côté de la vidéo pure, Clips4Sale existe depuis 2001 et affiche désormais plus de 4 millions de clips en ligne, produits quasi uniquement par des actrices, acteurs et couples indépendants depuis leurs “studios”. ManyVids s’est lancé avec succès récemment, le français Uplust vient de lancer une offre premium avec des tokens en intégrant la vidéo… Un mouvement est en marche.
La guerre des plateformes indépendantes peut enfin commencer
Pendant longtemps, des plateformes comme Clips4Sale, KinkBomb, TrenchcoatX ou Make Love Not Porn sont restées dans la confidence des fétichistes, des fans et des amateurs de porno de niche parfois très très très niché. La faute à un design parfois rebutant, à des previews sommaires, à une interface pas très en phase avec l’usage actuel d’Internet, un manque de contenu ou tout simplement par une absence de stratégie de communication de la part de certains de ces sites.
Signe que devenir intermédiaire plutôt que producteur dans le porn devient LE bon filon si on a les moyens de ses ambitions. Pour preuve, la plateforme de ventes de vidéos ManyVids a émergé l’année dernière avec l’envie de rafler la mise du porn indé grandissant. Dotée d’un design efficace, d’une expérience utilisateur satisfaisante, soutenue par une communication massive sur les réseaux sociaux, ManyVids se targue d’être la plateforme à la croissance la plus forte du milieu.
ManyVids, c’est Clips4Sale qui aurait enfin oublié le début des 00s pour plonger en plein dans la réalité d’un Internet moderne qui embrasse tout ce qu’on attend de lui : adapté au mobile, design épuré, connecté et algorithme de recommandation à la Amazon.
Traîner dessus c’est plonger dans un nouveau monde qui nous rapproche toujours plus des actrices, c’est retrouver le goût de l’exclusivité quand en face de vous s’érige le porn des tubes et ses milliards de vidéos vues. À la grande différence que les vidéos ne sont pas gratuites et s’achètent quand même un dollar la minute…
Pornhub, le gratuit qui rapporte
Devant ce mouvement d’indépendance et dans la logique de leur extension de stratégie de contenu, Pornhub a lancé un programme de paiement des vidéos amateurs. Il faut d’ailleurs tordre le cou à un mythe, il y a très peu de personnes qui souhaitent diffuser gratuitement ses sextapes sur Internet et il serait vraiment faux de croire que tube porno rime avec porno vraiment amateur (homemade). Sauf peut-être… si on leur agite un petit billet vert devant le nez.
Si vous êtes sur Pornhub un “amateur vérifié”, c’est à dire un indépendant (modèle cam, acteur du dimanche, couple coquin, testeur de sextoy… enfin tant qu’aucun studio n’est derrière vous), vous pouvez prétendre à toucher un peu d’argent selon la popularité de vos vidéos (l’argent étant un partage des revenus publicitaires du tube liés à la vidéo). Nos calculs arrivent à un CPM moyen de 0,15 $ (votre vidéo rapporte 15 cents toutes les 1000 vues) : en apparence ça semble peu, mais le programme est intéressant si vous répondez à la demande et si vous avez la capacité d’entretenir votre communauté. Dans ce cas, les dizaines de millions de vues sont à portée de main, et les milliers de dollars aussi. [Note : depuis 2016/2017, on constate un CPM d’environ 0,75$]
La grande différence avec les sites de cam ou de vente de vidéos est que Pornhub reste gratuit. Avec 25 millions de fappeurs par jour, le succès n’a pas besoin d’attendre que les consommateurs mettent la main à la poche. Quelques petites stars commencent déjà à émerger, comme Selena22 ou LunaS et d’autres indépendants s’en servent pour faire la promotion de leur contenu disponible sur d’autres sites en version payante (show, studio…). Pornhub est le premier tube à répartir une partie de ses revenus avec ses créateurs de contenu, on ne doute pas que Xhamster ou Xvideos prendront prochainement le même chemin.
Le bon goût du terroir
Les voies qui mènent à l’indépendance sont multiples et maintenant facilitées par les intermédiaires qui sont de simples prestataires de service. Qu’en est-il des consommateurs ? Y trouvent-ils leur compte ?
Ce n’est un secret pour personne : le style amateur, par son réalisme et les souvenirs qu’il engendre, est un des principaux moteurs de l’excitation. Si le public arrive encore à être trompé par des productions faussement amatrices (une grande partie du porno gonzo), il connaît le goût de l’authenticité et tend vers elle. Ce n’est donc pas un hasard s’il se tourne vers la webcam ou plébiscite les vidéos d’amateurs “vérifiés” sur Pornhub.
Jusqu’à maintenant le public des vidéos indépendantes était surtout un agrégat de fans ou de fétichistes dont les demandes très spécifiques n’étaient pas satisfaites par le porno gratuit. Avec ManyVids, ExtraLunchMoney et les sites de cam qui proposent aussi de vendre des clips, un nouveau public accède à ce contenu qui ne manque pas de saveur.
Faire l’expérience de l’achat d’une vidéo indépendante c’est retrouver le goût des choses faites maison, de choisir les petits commerçants à la place de la grande distribution. Le contenu n’est pas révolutionnaire mais on s’y attache plus, il semble différent. Lâcher 15 dollars pour une seule vidéo alors qu’on refuse de mettre le même prix pour un abonnement illimité au site d’un studio n’est pas un acte anodin. La vidéo qui se retrouve sur notre ordinateur, on l’aime, on en profite comme à l’époque où le porn n’était pas si abondant et gratuit. On retrouve le temps de la sentir, d’en apprécier les subtilités, de se l’approprier. Il se créé un lien bien plus fort avec une actrice indépendante qui tourne dans sa chambre et spécialement pour ses fans, que la énième scène montée par un studio gonzo.
La (nouvelle) révolution
L’industrie du porno pleure mais paradoxalement ses clients potentiels n’ont jamais été aussi nombreux. Elle n’a surtout pas saisi le glissement qui s’est opéré entre l’offre et la demande, entre porno pro et besoin des consommateurs. Les tubes ont redistribué violemment les cartes et les premiers à en souffrir sont les producteurs car ils ne sont plus indispensables pour les acteurs, actrices ou modèles. Ni pour leurs carrières, ni pour le public en recherche de vérité qui se détourne des studios.
Les grands gagnants de la mutation du marché sont en priorité les intermédiaires (les fameux “Middle Men” comme au début du business porno en ligne, comme décrits dans le film du même nom) puis tous les modèles qui trouvent de nouvelles sources de revenu sans avoir à passer par un producteur, ni à mettre un pied dans l’univers compliqué du porno.
Le gros gâteau du porno est en train de se morceler en des millions de petites parts et c’est finalement la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Dans cet éclatement, le consommateur se retrouve avec une offre nouvelle, plus proche de ses attentes (amateur, intime, retour à l’idée de possession, sensation d’être privilégié, vidéo à la carte….) et de ses habitudes (tube porno, offre freemium via les sites de cam, offre adaptée au mobile…).
De l’indépendance dans le porno émerge du contenu et une offre diversifiée. Tous les fantasmes et toutes les envies sont représentés, du fétichisme le plus pointu aux show créatifs des stars de la cam. Le mouvement amorcé n’en est qu’à ses débuts ; il va s’accélérer dans le futur avec de nouvelles plateformes, de nouveaux sites, de nouvelles idées.
Le porno n’est pas mort, le pouvoir est juste en train changer de camp. Les intermédiaires supplantent les producteurs et les futures stars sont vraiment devenues les voisines de palier, en train de streamer leur cam ou de préparer leur nouvelle vidéo dans leur chambre.
L’indépendance est une petite révolution qui profite à de nouvelles personnes mais avant tout à ceux qui prennent un risque en exposant leur intimité pour nous exciter : les actrices, les acteurs, les modèles, les couples, qu’ils soient amateurs ou professionnels.
Image en une : Cherry Crush
« Zero Theorem » (Terry Gilliam) pourrait ne pas être loin de ce que sera le marché de la webcam et du sexe virtuel dans un avenir pas si lointain… #JDCJDR ^^
Faut que je regarde ça alors