L’art de parler de porn sans en montrer
Qui a dit que le porno était déviant ? Quelques clics vous prouveront rapidement le contraire : de plus en plus de médias s’en font les relais, sans pour autant en montrer un seul extrait. Il n’est plus l’apanage d’un secteur longtemps considéré comme subversif. Vice, Les Inrocks, Cosmopolitan, Buzzfeed… les médias mainstream de tous bords en font régulièrement la promotion. Un bon point pour la visibilité d’une pratique quasi-universelle, un mauvais pour son traitement ultra-rapide – voire inexistant. Si on parle de porno, c’est avant tout parce qu’il génère du traffic.
Auparavant, les médias dits « sérieux » ne touchaient pas à cet objet sale qu’est la pornographie. Elle restait le monopole de la presse spécialiséé. Les années 2000 ont changé la donne : à l’heure du tout numérique, les médias font la part belle au porno.
L’initiative ne saurait nous déplaire : parler de porno, c’est rendre compte d’une réalité omniprésente dans notre société. Pour autant, ces médias doivent se plier aux règles commerciales et publicitaires qui leur permettent de se promouvoir : celles-ci ne verraient pas d’un bon oeil une affiliation au porno. Et plus généralement aux règles des plateformes d’hébergements, impossible en effet de montrer ne serait-ce qu’un seul téton sur Youtube – même si on s’appelle Buzzfeed.
Parade ultime pour contrer cette réalité : montrer l’envers du décor. L’instigateur de cette tendance est un jeune youtubeur répondant au doux nom de Davey Wavey. Se définissant comme un « globe-trotter gay », il a publié en 2013 une première vidéo intitulée « Straight Guys React to Gay Porn » et a lancé par la même occasion une tendance aujourd’hui généralisée.
Fort du succès de cette première vidéo, Davey Wavey a d’ailleurs enquillé sur une autre vidéo avec de (vraies) lesbiennes réagissant à du porno lesbien. Avec sept millions de vues au compteur, c’est la vidéo la plus regardée de sa chaîne Youtube.
Le topo est simple : montrer du porno à des gens et filmer leurs réactions. Le concept est brillant et on ne s’empêche pas de rire devant certaines, notamment lorsqu’une étudiante britannique propose à quelques collègues de classe de le faire avec leurs meilleurs potes. Par moment c’est incroyablement gênant et à d’autres on se permet de rigoler grassement.
Ce type de vidéos s’est multiplié depuis un certain temps. On en trouve littéralement pour tous les goûts. Buzzfeed – à qui on ne la fait pas – en a carrément fait une série, ne se privant pas de mettre des couples « face à face au porn » :
Ou des meufs qui matent du porn pour « la première fois » (quasiment 12 millions de vues) :
Ainsi qu’un joli combo stars du porno + leurs propres films + un mec lambda qui a sûrement déjà du fapper dessus (14 millions de vues) :
On ne va pas vous faire toute la liste, elle est longue comme les pénis que vous ne verrez pas dans ces vidéos.
Chez Complex.com, on aime aussi la viralité SFW et on choisit la même astuce pour faire tester du porno VR à des novices. Bon, comme ça bouffe la moitié du visage, il n’est pas facile de voir quelle émotion sort de ce visionnage mais la gestuelle de certains en dit long.
L’idée a tellement bien marché qu’ils ont évidemment continué avec d’autres personnes, faisant tester ledit casque à la classe d’âge supérieure (8 millions de vues) :
Et même des rappeurs (presque 2 millions de vues)
Ils auraient pu continuer longtemps comme Buzzfeed mais ont eu la bonne idée de s’arrêter là. Ce qui n’a pas empêché d’autres de reprendre le flambeau et faire péter leur tour leur compteur Youtube.
C’est le cas de la chaîne MooMoo TV qui s’est fait maître dans la confrontation des citoyens coréens face à l’Occident. L’idée générale est de les faire réagir à la culture pop américaine (du rap, des clips, des pranks…) et donc bien sûr au porn. Vous avez sûrement dû la voir passer, puisqu’elle a totalisé déjà plus de 2 millions de vues (dix fois plus que leurs vidéos habituelles) et a fait le bonheur des médias spécialisés dans le « buzz ».
La vidéo est marrante mais on oublie d’expliquer que les Coréens n’ont pas du tout la même culture porno que la nôtre, puisque le porno est strictement interdit là-bas (et passible de plusieurs années d’emprisonnement). Bien sûr, on rigole, mais cette simple indication permet tout de même de mieux comprendre des réactions qu’on pourrait juger excessives au premier abord. Ces hommes voient un porno dont ils n’ont pas idée, qu’ils n’ont peut être jamais imaginé. Si on connaît un peu le porno japonais (le seul autorisé…), on peut comprendre leur comportement. Il est dommage que cette tendance, si drôle et redondante soit-elle, oublie de contextualiser les attitudes qu’elle diffuse.
On apprécierait sûrement beaucoup mieux ces vidéos en sachant ce que ces braves gens regardent. Certaines dévoilent quelques scènes – en les floutant – certains participants décrivent ce qu’ils voient, donnent quelques catégories… Mais on en reste là, censure oblige…
Face à toutes ces vidéos virales, on le sentiment que l’objet pornographique est traité encore une fois comme un simple appeau à clic, un élément de foire uniforme. A l’étiquetter comme « un » et unique porno, elles réduisent ses variétés, ses formes, ses perspectives… Et c’est bien dommage.
Franchement, je trouve ces vidéos très intéressantes, ne serait-ce que d´un point de vue psychologique et sociologique. En particulier celle des hommes coréens qui voient pour la première fois un porno occidental. On voit dans leur yeux le « jamais vu », la transition du « jamais vu » au « vu », c´est quelque chose de très troublant je trouve.