Le porno est-il vraiment dangereux ?
C’est une question qui pèse ou a pesé ne serait-ce qu’un instant sur le coeur de tout fappeur : peut-on regarder trop de porno, c’est-à-dire assez pour bouleverser sa sexualité ? Certains soutiennent que le X dérègle le cerveau en le noyant sous les stimuli, qu’il entraîne les hommes à l’agression, qu’il cause des problèmes psychologiques allant du trouble obsessionnel compulsif à la dépression. Face à eux, ceux qui martèlent qu’un bon film de fesse n’a jamais fait de mal à personne tiennent bon. Les deux camps bataillent à coups d’études plus ou moins scientifiques depuis de longues années sans que personne ne semble en mesure de les départager pour de bon. Heureusement, la journaliste Maria Konnikova a décidé de s’y coller dans un long essai publié par le magazine en ligne Aeon. Elle y confirme ce que nous défendons depuis toujours : le X n’est pas néfaste.
L’exposé de Maria Konnikova commence par l’étude du cas danois. En 1969, le Danemark est devenu le premier pays a légaliser la pornographie. Vingt ans plus tard, un chercheur de l’Université de Copenhague a rendu ses conclusions : les données disponibles à l’échelle du pays “sembleraient exclure, au-delà du doute raisonnable, que la disponibilité de la pornographie ait eu la moindre conséquence néfaste dans le sens d’une augmentation des violences sexuelles.” Au contraire, les taux de crimes sexuels non-violents rapportés à la police a diminué au Danemark entre 1969 et 1991. Si cette corrélation ne prouve rien, elle a également été observée aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Asie et dans d’autres pays d’Europe.
Certains arguments pro-porno dépassent la simple corrélation. Nicole Prause, la directrice de l’Affective Neuroscience Lab de l’Université de Californie, étudie les effets de la pornographie sur le cerveau à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique, la tomoscintigraphie par émission et l’électroencéphalographie. Ses travaux lui ont permis de conclure que le X n’était pas différent d’un film d’horreur ou d’un tour de montagnes russes. La chercheuse affirme que pour les individus à l’appétit sexuel moindre, les images pornographiques font le même effet sur le cerveau que du chocolat, “dans des zones similaires”. “L’idée générale veut que le porno soit spécial ou unique pour le cerveau, affirme-t-elle. Mais franchement, il n’est pas si différent d’autres récompenses.”
Autre argument de poids formulé par Nicole Prause et le psychologue James Pfaus : contrairement à ce que voudraient faire croire les anti-porno, souvent friands de parallèles avec la drogue, le X n’entraîne ni tolérance, ni désensibilisation. Au contraire, leurs travaux ont montré que consommer du matériel explicite rendait plus sensible à des images moins frontales et attisait le désir de relation sexuelle IRL. Convaincue par ses découvertes, Nicole Prause a écrit que l’addiction à la pornographie était comparable à un empereur nu : tout le monde dit qu’il existe, même si rien ne le prouve. En compagnie du psychologue Cameron Staley, la chercheuse a également montré en 2013 que les individus impliqués dans une relation amoureuse voyaient leur désir de retrouver leur partenaire galvanisé par les images X.
Maria Konnikova cite ensuite une étude suisse réalisée en 2002 sur plus de 7 500 individus âgés de 16 à 20 ans. Leurs réponses à des questions portant sur la pornographie en ligne ont permis à des chercheurs de décréter qu’aucun lien n’existait entre consommation d’images explicites et comportements à risque. Une méta-étude datée de 2012 est venue renforcer ces conclusions en montrant qu’aucune preuve n’étayait l’argument selon lequel le porno propage des “croyances sexuelles irréalistes”. La journaliste mentionne tout de même une enquête menée en 2013 sur 4 600 néerlandais âgés de 15 à 25 ans par un psychologue. D’après elle, la consommation régulière de matériel pornographique peut influencer les comportements sexuels. “Cependant, une fois d’autres paramètres contrôlés, comme les facteurs socio-culturels, la tendance aux conduites à risque et les relations sociales, [le X] n’explique plus que 0,3 à 4% de l’impact”, conclut-elle.
Beaucoup d’autres études citées par Maria Konnikova montrent que le X ne peut être tenu pour responsable des maux que lui prêtent ses détracteurs. Une étude de 2013 a conclu qu’il existait un lien entre comportements négatifs envers les femmes et consommation de pornographie – “mais seulement si la personne concernée était déjà mal notée sur l’échelle de l’amabilité”, indique la journaliste. L’année précédente, une autre étude avait remarqué que ceux qui associent la consommation de pornographie à une quelconque forme d’apologie de la violence envers les femmes étaient des individus “prédisposés à l’agression sexuelle”. En clair, le X n’est sans doute pas une cause, mais un symptôme. Une thèse corroborée par les conclusions de Linda Muusses ; d’après cette psychologue, la consommation de pornographie est un bon indicateur de la santé d’un couple. Plus un homme est heureux dans sa relation, moins il regarde de porno et inversement. Linda Muusses remarque également qu’une consommation intensive de porn au début d’une relation n’aura pas d’incidence sur la vie sexuelle des personnes impliquées.
Comme Marilyn Manson et les jeux de tir à la première personne en leur temps, le porno fait partie des entités culturelles présumées coupables. Malgré la foule d’études qui montrent qu’il n’est la source d’aucun problème, le X reste en garde à vue. Pourquoi ? Comment peut-on avoir une gueule assez suspecte pour être traité ainsi ? Pour Maria Konnikova, la situation tient d’abord à ce que le grand nombre entend par “pornographie”. Parce qu’il ne permet pas de différencier la délicate Erika Lust du tonitruant Brazzers, ce terme occulte la diversité de l’industrie. Sa béance engloutit tout ce qui différencie I Feel Myself de Bangbus. C’est un peu comme si l’on oubliait que Le Baltringue et Rashomon n’ont pas grand chose à voir en parlant de cinéma.
Ce problème de généralisation éclabousse aussi les professionnels de l’industrie. Pour beaucoup, les différences entre Max Hardcore et Manuel Ferrara n’existent pas : il n’y a que des pornographes, des types forcément douteux. Les tristes salauds qui salissent l’industrie finissent dans le même sac que les performeurs au comportement irréprochable. Pourtant, “tous les gens qui travaillent dans la finance ne sont pas Bernard Madoff, relève un responsable de sexshop de San Francisco. Dans le porno, c’est pareil. Tous ceux qui sont dans l’industrie ne sont pas des mauvaises personnes.” La preuve : le porno éthique et féministe est de plus en plus recherché.
Le porno est plus facile à discréditer à l’aide d’arguments pseudo-scientifiques lorsqu’il est réduit à une masse de gros plans explicites et de vilains professionnels. Percevoir le X à sa juste diversité réclame un peu de discernement – une qualité dont manquent les plus réactionnaires, mais aussi les plus jeunes. Nous avons tous cliqué sur le “Oui” sans être majeur, pour voir. Le risque est de laisser le porn devenir un professeur. “Le problème n’est pas le X en lui-même, écrit Maria Konnikova. C’est plutôt une histoire d’absence de script concurrent, de quelque chose qui le contextualise comme une expérience fantastique, différente de la vie réelle.” La solution est simple : prendre la fesse à bras-le-corps et proposer des cours d’éducation sexuelle qui n’ont pas peur d’eux-mêmes. “Nous devons donner la permission aux gens d’apprécier le sexe, explique la psychologue Zhana Vrangalova. Jusqu’à ce que nous le faisions, ils frapperont à la porte du porno. Parce qu’on ne peut pas tuer la curiosité.”
La morale de l’histoire est toujours la même : s’en prendre au bouc porno, c’est à la fois se tromper de cible et dévoiler ses propres défaillances. Un peu d’ouverture d’esprit et de raison suffiraient à dépasser tout ça.
Petite faute je crois.
« Jusqu’à ce que nous le fassions »