Le 11e PornFilmFestival Berlin : liberté, égalité, porno indé

Le clap de fin a retenti sur la 11e édition du Porn Film Festival de Berlin. Organisé du 26 au 30 octobre dernier dans un petit cinéma du quartier de Kreuzberg, il a une nouvelle fois dépassé le record de l’année précédente en termes de quantité, qualité et fréquentation. Retour sur cinq jours très hauts en couleurs dans le monde quasi-fantastique des indépendants du sexe en vidéo.

Un cinéma indépendant d’habitude plutôt discret

Une banale avenue berlinoise, avec ses épiceries et ses restaurants. Coincé entre un primeur et un casino cheap, le cinéma du quartier se contente d’un pas de porte discret, tant et si bien qu’on pourrait tout à fait passer à côté sans avoir la moindre idée de ce qui se passe à l’intérieur. En haut de l’escalier, un guichet, un café, une douce odeur de pop-corn. Mais ne vous y trompez pas, sous ses airs de petit cinéma intellectuel classique, le Moviemento s’apprête à accueillir le plus grand rassemblement de célébrités du porno indépendant en Europe. Elles sont venues applaudir leurs pairs, présenter leur travail, ou simplement se rencontrer : bienvenue au 11ème Porn Film Festival Berlin.

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Plus de 100 projections vont s’enchaîner pendant cinq jours. La curation réalisée par l’équipe du Festival est pointue, riche et variée. On peut bien sûr visionner des films érotiques et pornographiques, ou des œuvres sans aucune scène de sexe explicite ; des documentaires sur des problématiques sociétales précises, sur des fétichismes ou sur des personnalités ; des conférences et des ateliers sont également proposés. On ne sait où donner de la tête tant le programme est alléchant. Le temps de décider (très difficilement) des projections que l’on visionnera cette semaine qu’il est déjà temps de s’installer dans la salle obscure.

Des films forts et engagés

Le film sélectionné pour ouvrir le festival donne le ton : The Bedroom d’Anna Brownfield enchaîne six scènes explicites qui prennent place dans la même chambre, à travers six décennies. Chacune correspond à une date importante dans l’évolution sexuelle de la société australienne. Pas de doute, on assiste à la projection d’un film porno résolument engagé, hors des sentiers du mainstream. Une première scène hétéro se déroule dans les années 60, il y est question de mariage et de contraception. Elle est rapidement suivie d’un solo féministe très seventies avec une protagoniste qui prend son plaisir en main. Vient ensuite un couple mixte gay préoccupé par le SIDA sur fond de décor kitsch plaçant la scène dans les années 80, puis un couple lesbien fluo qui semble tout droit sorti d’une rave party des 90’s pour un duo particulièrement intense qui prône le safe sex avec digue dentaire et gants pour le fist.

Les années 2000 mettent l’accent sur les sextoys et le sexe virtuel par webcam, pour laisser place au point culminant du film censé se dérouler à notre époque : un personnage queer, tantôt homme tantôt femme, crâne rasé, musculature puissante, robe en léopard rose et toujours du sexe, pur, réel, intense. C’est un parfait résumé de la teneur de ce festival : féministe, queer, ouvert, engagé contre le SIDA et pour la diversité. À la fin de la projection, Anna Brownfield plaisante sur les craintes qu’elle avait ressenti avant de venir pour la première fois au festival, en 2009 : « J’avais peur de ne trouver que des gens louches en imperméable, mais en fait tout le monde était normal, j’étais contente ! Finalement, je me suis fait de véritables amis. C’était super de rencontrer les gens du métier ! »

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Paulita Pappel

Paulita Pappel, performeuse, réalisatrice et productrice de films et scènes porno (notamment pour Ersties), est aujourd’hui directrice et curatrice du PornFilmFestival Berlin. Elle nous a confirmé que la volonté du rassemblement était de mettre en avant tous ces thèmes. Elle ajoute : « Il est important pour nous de montrer une diversité de corps, de sexualités, de pratiques, de genres… Il faut savoir aussi que 50% des films sont réalisés par des femmes, c’est un critère très important dans notre sélection. Mais cette année, nous avons décidé de faire un focus sur la représentation de la diversité, et donc d’aller chercher activement plus de films réalisés ou joués par des personnes non-blanches, ainsi que sur le sida qui malheureusement revient dans l’actualité ». Elle aussi aura l’occasion de présenter deux de ses scènes tournées pour la collection XConfessions de Erika Lust : « Elle est géniale. Elle fait un travail très important. Grâce à son projet, j’ai pu réaliser une scène narrative avec une grosse équipe, et j’ai pris du plaisir à garder son esthétique très soignée mais en inversant les clichés de genre. » (ndlr : dans Female Ejaculation, c’est Jesse Stryder qui reçoit une faciale de Sadie Luna)

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Jesse et Sadie dans Female Ejaculation

Un public captivé et concerné

Durant les séances, l’audience est étonnamment captivée par chacun des films qui lui sont proposés. Les gens rient beaucoup, pleurent parfois, applaudissent et sifflent. On les sent parfois très « tendus » par l’intensité érotique des scènes projetées. Un des réels avantages du festival est qu’il se déroule en présence des personnes qui ont travaillé sur les scènes, devant ou derrière la caméra. À chaque fin de séance, les réalisateurs et performers sont invités à  se présenter devant le public. L’occasion pour la salle de poser des questions parfois techniques concernant le nombre ou le type de caméras utilisées, ou bien de déclarer sa flamme à l’un des acteurs (j’ai personnellement beaucoup hésité entre le susnommé Jesse Stryder ou Parker Marx, ci-dessous).

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En ce qui concerne les projections explicites, les courts métrages ont été regroupés par thèmes (Fun, Pain, Liquid…). Certains longs métrages ont dû être coupés afin de pouvoir proposer plus de variété pendant le festival. C’est ainsi que nous avons assisté à une version raccourcie mais non moins intéressante de Heartbreaker vs Obscura un délice lesbien de superhéroïnes à ambiance rétro, réalisé là encore par une femme : Lily Cade. Un film très drôle, plein de second degré et terriblement hot, avec une scène de trio où Lily prend un malin plaisir à faire leur fête à deux actrices habituées au mainstream. À la fin de la projection, comme elle se prête elle aussi au jeu des questions-réponses, quelqu’un demande ce qui a été coupé au montage pour la version présentée ce jour. Elle répond de sa voix éraillée, abîmée dit-elle, par 8 ans passés à simuler des orgasmes : « Trois heures de baise ! Mais qui voudrait voir ça ? » Puis, lorsqu’on l’interroge sur l’éventualité d’une suite au film : « Et bien achetez ce putain de film comme ça on pourra peut-être ! » C’est d’ailleurs un motto qui reviendra souvent pendant cette semaine : payez votre porno !

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Lily Cade alias Heartbreaker en train de vaincre Obscura

Mais parfois, les questions sont plus pointues. Ainsi à la fin d’Enactone réalisé par Sky Deep, quelqu’un demande de but en blanc : « Comment avez-vous développé une confiance suffisante pour faire une scène où vous êtes attachée, [par une femme blanche, ndlr] surtout dans le contexte controversé du SM pour les personnes de couleur, et le thème de l’esclavage que vous évoquez au début du film ? »

Pour re-situer le contexte, Enactone est un film porno de vampires queer lesbiennes, et le personnage principal est une vampire noire originaire de Louisiane qui a plus de 100 ans. A la base, Sky Deep voulait simplement raconter une histoire de vampires, parce qu’elle-même se définit comme une « nerd de base fan de vampires qui voulait jouer le rôle d’un vampire. Mais voilà, il n’y a pas beaucoup de visages comme le mien dans les films alors, il a fallu que je fasse le mien.

« Quand j’ai fait les recherches de costume pour mon personnage, je cherchais bêtement des photos de personnes noires aux Etats-Unis dans les années 1900. C’est là que je suis tombée sur une image de femme pendue à un arbre, qui m’a fait rechercher plus profondément le sujet des groupes politiques qui se battaient pour que lynchage soit interdit. Je ne pouvais pas laisser passer ça, même si c’était sujet à controverse, il fallait que l’histoire soit dite. Alors oui, il y a des cordes dans le film. C’était la seule fois où j’ai été attachée et j’ai beaucoup aimé, je trouve que le shibari est un art magnifique. »  Aucun doute, on entendra à nouveau parler d’elle, tant son premier film est une réussite, tant dans la réalisation, que dans l’intensité des scènes de sexe, notamment celle qu’elle partage avec Indigo Rayne, une icône queer à ne pas perdre de vue.

Salle comble pour Four Chambers

Au fur et à mesure de la semaine, le cinéma se remplit de plus en plus. Les projections se font à guichet fermé, de 11h du matin à minuit. La cadence est parfois difficile à suivre, même pour les projectionnistes, l’un d’entre eux a mélangé ses fichiers et lancé un court-métrage gay très explicite à une salle remplie à 99% de femmes venues regarder du porno lesbien ! La projection du vendredi soir est réservée au collectif Four Chambers. Tous ses membres sont là en tant qu’invités d’honneur, dont la réalisatrice Vex qui ne cache pas sa joie d’être présente et de pouvoir croiser tous ses collègues : « C’est vraiment chouette de pouvoir parler ensemble honnêtement et ouvertement. Ce qui est formidable avec Berlin, en comparaison avec les autres événements mondiaux comme les AVN, c’est qu’ici c’est le porn bizarre qui est mis à l’honneur. Les gens qui viennent sont ceux qui tournent du porn déviant, expérimental, punk, fait maison. C’est une communauté de gens résolument étranges ». Quatre scènes seront projetées et décortiquées par Vex devant un public de fans déjà acquis à sa cause.

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Entre deux projections, spectateurs et performeurs se croisent dans le lounge.  On constate que, logiquement, la période du festival est propice aux tournages. Tout le monde est sur place, les idées fusent, les caméras tournent. Ainsi, Four Chambers a travaillé sur de nouveaux projets en collaboration avec Blath, Valentine et Jiz Lee.

Chill et activités connexes

Au fond de la salle lounge du cinéma, une petite porte a attiré mon attention. Je finis par aller lire l’affiche collée dessus : « Peep-show tous les après-midi, 1€ la minute. » Je fouille mes poches, trouve une pièce et me range dans la file d’attente pour voir de quoi il retourne. On m’assoit dans une cabine sombre et on m’indique une fente où insérer la pièce. Un rideau s’ouvre sur une toute petite fenêtre. Devant moi une jeune femme, très belle, avec des trous découpés dans sa robe juste au niveau des seins. Elle me regarde et me fait un spectacle à base de léchage de fruits exotiques en gros plan. Je ressors quelque peu émoustillée de ces soixante secondes hors du temps et retourne m’assoir pour une énième projection.

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Après trois jours de festival, de cinéma et de fête, l’ambiance est plus calme. Les séances sont toujours aussi remplies dès le matin. C’est le moment propice pour assister aux conférences proposées par l’équipe, sur la parentalité sex-positive par exemple, ou bien celle, très importante, sur la représentation des minorités dans le porno. Pourquoi ne pas se rendre à l’exposition érotique arty organisée quelques rues plus loin ? On peut également tester gratuitement la VR, grande nouveauté 2016, avec les casques prêtés par Ersties.

Certains participants se dirigent vers les ateliers pour lesquels ils ont posé leur réservation des semaines à l’avance : au programme, du shibari, de la danse et un apprentissage de l’uro. Pour les nostalgiques, il est également possible d’assister à des projections de films allemands érotiques des années 70, dont certains sont projetés pour dénoncer expressément la culture du viol dont ils sont directement issus. Un rassemblement est également prévu pour les professionnels, afin qu’ils puissent se rencontrer et discuter des problématiques du métier.

Valentine Von Bettie, performeuse queer, parmi ses pairs

Quant à moi, j’ai préféré me diriger vers les documentaires, ayant déjà vu pas mal de scènes porno. C’est là que je suis tombée sur Owen Gray, qui assiste pour la première fois au PornFilmFestival : « Le festival est super. Tout est complet ou presque, je n’ai pas pu voir tout ce que je voulais ! Mais j’ai vu des choses que j’ai beaucoup aimées, et j’ai surtout eu l’occasion de rencontrer des personnes avec qui je discute beaucoup en ligne. La communauté est très différente ici, cela se voit. Quelque part, cela me fait penser un peu à San Francisco. » Il est également ravi que Vex et Four Chambers aient été mis à l’honneur et apprécie le travail qu’elle a accompli depuis la première scène tournée avec elle, jusqu’à aujourd’hui : « Ils ont vraiment grandi artistiquement, ils sont arrivés loin ! Je suis si content pour elle. » Owen n’a pas perdu son temps à Berlin lui non plus et s’il dit être venu pour profiter du festival et voir des amis, il en a profité pour tourner avec Lucie Blush ainsi que pour les Xconfessions d’Erika Lust.

Clap et cocktail de fin

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La dernière projection à laquelle j’assiste est celle du film de clôture : The Love Witch, de Anna Biller, un film inspiré de l’esthétique des années 60, esthétiquement parfait, très drôle, avec des punchlines féministes à n’en plus finir et qui vire franchement misandre à mesure que l’intrigue se déroule. Rien à dire, la sélection de l’équipe a été parfaite jusqu’au bout et le public sort de la salle l’air très enthousiaste, prêt à se rendre à la soirée de clôture où l’on saura quels réalisateurs remporteront les prix du jury.

Direction Südblock, quelques rues plus loin, où les festivaliers et les organisateurs sont invités à se retrouver autour d’un dernier verre. Entre deux cocktails, je croise Jochen Werner, un des membres de l’équipe, qui semble très heureux des résultats de cette année. Et il y a de quoi : plus 9 000 places de cinéma ont été vendues et des projections ont dû être rajoutées pour les berlinois dans la semaine qui vient. « Tous les ans c’est de plus en plus rempli… Ça a toujours été un moment extatique, c’est sûr, mais depuis 4 ou 5 ans ça a vraiment explosé. »

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Les prix du jury sont remis et sans surprise, c’est Enactone de Sky Deep qui remporte le prix du meilleur film. La France est bien représentée avec la victoire de Être cheval de Jérome CW, un magnifique documentaire sur le pony play dont vous entendrez encore parler. C’est une locale, Francy Fabritz, qui remporte le prix de la meilleure scène avec Étage X, un moment intime entre deux femmes d’âge mur, pissing et spanking inclus.

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Voilà, c’est terminé. On se regarde tous l’air hagard et hébété réalisant que oui, la bulle de liberté a éclaté et qu’il faut prendre le chemin du retour, déjà excités à l’idée de revenir l’année prochaine.

Retrouvez l’intégralité du programme du festival 2016 ici.
Prochainement, plus de détails sur deux films particulièrement marquants : « Être cheval » et « Fuck Them All ».

Photos prises par mes soins.

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