Chronologie : Comment le Royaume-Uni tue le porno à petit feu
Cela fait plusieurs années déjà que Le Tag Parfait s’efforce de suivre les tribulations anti-pornographiques des Conservateurs britanniques. Les derniers développements de l’aventure, plus compliqués et redondants que jamais, nous ont convaincu qu’il fallait mettre les choses à plat, chronologiquement. Prêts pour la balade ? Elle risque de ne pas vous plaire : Reporters sans frontières considère le Royaume-Uni comme un pays ennemi d’Internet, au même titre que la Chine ou l’Arabie Saoudite. Ses mesures contre le X sont à la mesure de cette médaille.
Décembre 2012 : La version numérique du Daily Mail publie une tribune de David Cameron délicatement titrée Rien ne compte plus qu’assurer la sécurité de nos enfants. Le Premier ministre libéral-conservateur y explique qu’il a l’intention de mettre en place un système de blocage des sites web violents et pornographiques. “Ce n’est pas seulement à propos d’Internet, ou de la technologie moderne, explique-t-il. C’est à propos de l’enfance. Ces années devraient être uniques et précieuses, pleines de sécurité et d’amour, loin des inquiétudes et des vicissitudes de l’âge adulte.”
Avril 2013 : Alors qu’il fait campagne pour les élections locales, David Cameron prononce un discours dans lequel il affirme qu’il a l’intention de faire bloquer les sites pornographiques sur les réseaux wifi publics. Il assure que cela permettra aux parents de laisser leurs enfants se balader sur Internet en toute confiance, sans crainte qu’ils “voient des choses qu’ils ne devraient pas voir”.
Juillet 2013 : David Cameron annonce des mesures concrètes contre la pornographie en ligne lors d’un discours à la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (NSPCC). Un système de filtrage des contenus pour adulte sera installé dans chaque nouveau smartphone, la croissance de l’industrie du X passe sous le contrôle du bureau des télécommunications, la possession d’images simulant un viol devient un crime passible de trois années de prison. Surtout, tous les FAI du pays devront désormais proposer le bloquage des sites “adultes” à leurs 20 millions de clients. Wired relève que cela implique bien plus que les pages pornographiques : sont également visés les contenus violents, “liés à l’extrémisme”, aux désordres alimentaires, au suicide, à l’alcool, au tabagisme, au “matériel ésotérique”, aux forums et, bien sûr, aux “outils de contournement du blocage du web”.
Novembre 2013 : TalkTalk et Sky, deux des plus grands fournisseurs d’accès à Internet du Royaume-Uni, commencent à demander à leurs nouveaux abonnés s’ils souhaitent désactiver le filtre anti-pornographie ; lors de l’installation, l’option est activée par défaut. Pour la première fois, l’Authority for Television On Demand (ATVOD) ordonne la fermeture d’un site pornographique au motif qu’il a échoué à garder son contenu hors de portée des enfants.
Décembre 2013 : Le fournisseur d’accès British Telecom (BT) lance son système de filtrage.
Février 2014 : Le fournisseur d’accès Virgin Media lance son système de filtrage.
Juillet 2014 : Les législateurs du Royaume-Uni envisagent de mettre en place un système de licences annuelles pour les entreprises qui souhaitent vendre des contenus pornographiques aux sujets de la Reine. L’idée n’aura pas de suite. L’Open Rights Group, une ONG de défense des droits des internautes, révèle que 20% des 100 000 sites les plus visités du monde sont bloqués par au moins un des filtres Internet proposés aux Britanniques.
Décembre 2014 : Les Audiovisual Media Services Regulations 2014 adoptées par le Parlement au cours du mois de novembre précédent sont appliquées. Par amendement au Communications Act de 2003, les images X produites au Royaume-Uni et diffusées en ligne sont désormais soumises aux mêmes restrictions que les DVD. Cela signifie qu’une dizaine de pratiques sont mises hors de portée des pornographes du web britannique : adieu les fessées, le caning, les coups de fouets “agressifs”, les pénétrations avec des objets “associés à la violence”, les violences physiques et verbales consenties, l’urologie, le roleplay de personnes mineures, l’immobilisation, l’humiliation, l’éjaculation féminine, la strangulation, le facesitting et le fisting. Les manifestations n’y changent rien.
Janvier 2015 : Le fournisseur d’accès Sky contacte tous les clients qui l’ont rejoint avant novembre 2013 pour leur demander s’ils souhaitent activer son système de filtrage. Le bloquage est activé par défaut chez ceux qui ne répondent pas.
Février 2015 : Un peu de positif : le Parlement britannique décide de criminaliser le revenge porn. Les tristes sires qui diffusent des images érotiques, pornographiques ou de nu sur Internet à des fins de vengeance s’exposent désormais à deux années de prison.
Avril 2015 : Le Parti conservateur promet qu’il mettra en place des “vérifications d’âge efficaces” à l’entrée des sites pornographiques s’il remporte les élections législatives du 7 mai suivant.“Si nous n’agissons pas, les choses que les enfants voient sur ces sites ont toutes les chances d’être perçues comme “normales” par les prochaines générations, explique Sajid Javid, alors Secrétaire d’État à la Culture, aux Médias et au Sport, dans le long post Facebook qui présente l’initiative. Ce n’est pas le genre de société que je veux voir, et encore moins le genre de société dans lequel je veux que mes enfants vivent.”
Mai 2015 : Le Parti conservateur remporte 330 des 650 sièges de la Chambre des communes, la majorité absolue. L’industrie pornographique britannique prend part aux recherches préliminaires à la création d’un nouveau système de vérification d’âge. Les premières rumeurs parlent de contrôles par informations bancaires ou par consultation des services liés à une adresse mail. La création d’une carte d’identité électronique est également envisagée. Mais quoi qu’il arrive, “personne au Royaume-Uni ne veut de base de données d’identité centralisée”, assure l’experte en protection de l’enfance sur Internet Rachel O’Connell.
Octobre 2015 : L’Union européenne adopte une nouvelle loi qui force tous les fournisseurs d’accès à “traiter tous les trafics également, sans discrimination, restriction ou interférence” et ce quelque soit “le contenu consulté ou distribué”. Ce grand pas en direction de la neutralité du réseau rend illégaux les filtres anti-contenus pour adulte britanniques. Les euro-sceptiques en font un problème de souveraineté, David Cameron s’insurge et négocie avec Bruxelles. Il obtient gain de cause.
Février 2016 : Le gouvernement britannique lance un référendum sur l’implémentation du “système de vérification d’âge efficace” qu’il avait promis à l’aube des élections générales de 2015. Le Département de la Culture, des Médias et des Sports rédige et diffuse un document supposé aider les citoyens à faire leur choix, Child Safety Online : Age Verification for Pornography. Le petit guide soutient que le X perturbe le développement du cerveau, qu’il est source de détresse psychologique, qu’il propage des stéréotypes dangereux et qu’il encourage les jeunes à pratiquer la sodomie.
Juin 2016 : Victoire du Brexit. David Cameron démissionne.
Juillet 2016 : La secrétaire d’Etat à l’Intérieur de David Cameron, Theresa May, devient Premier ministre. Les résultats du référendum du mois de février soit dévoilés. 43% des votants se sont montrés favorables à une nouvelle loi qui rendrait la vérification d’âge obligatoire à l’entrée des sites pornographiques. 44% ont rejeté l’idée. Les Conservateurs choisissent d’ignorer le résultat. Le projet de loi sur le numérique Digital Economy Bill 2016-17 est présenté au Parlement.
Novembre 2016 : La Digital Economy Bill 2016-17 est votée par la chambre basse du Parlement britannique. C’est le pompon, en attendant pire. A moins que la Chambre des lords ne trouve quelque chose à redire, tous les sites web qui contiennent du contenu pornographique devront désormais adopter un système de vérification d’âge. On ignore encore lequel et comment, mais qu’importe : ceux qui refusent seront bloqués par les fournisseurs d’accès ou privés de leur système de paiement par les organismes bancaires. Pire, les pratiques qui ont été interdites aux pornographes britanniques en décembre 2014 seront bientôt illégales quelque soit leur provenance. Que va-t-il advenir de Twitter et de ses comptes porno, de Reddit et de ses sous-catégories fétichistes ? Sans oublier les tubes pornos, qui drainent actuellement 95% de la consommation porno ?
Bien sûr, n’importe quel internaute un peu averti saura contourner ces mesures avec facilité. Il y a Tor, les VPN. Même les anti-porno les plus optimistes savent que contrôler Internet, c’est compliqué. Ce qui nous attriste, c’est surtout le sens de toute cette campagne. Il faut beaucoup d’assurance mal placée pour décider que telle ou telle pratique mérite de ne plus jamais être vue, que la sexualité « conventionnelle » fait loi. C’est bien plus inquiétant que l’argumentaire traditionnel des adversaires du X, celui des études qui prouvent que, des sondages qui montrent que.
Le message que lance le Royaume-Uni est limpide pour les amateurs de squirt et de fist : vous n’êtes pas normaux. Pour les producteurs non vanille : changez de métier ou disparraissez. Pour les autres : le porno est dangereux, nous sommes là pour vous en protéger. Alors que le Canada, la Suède et les Etats-Unis s’orientent plus ou moins doucement sur la piste de la lutte contre la pornographie, le Royaume-Uni ressemble de plus en plus à un pionnier. Si des mesures similaires arrivent en France, qui se lèvera pour défendre nos libertés ?
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