Christopher Mallick est-il le plus grand escroc du porno ?
Les membres de l’industrie pornographique ne parlent pas toujours d’une même voix. Certains personnages font débat ; certains sujets n’en finissent plus de susciter des controverses. Malgré ces différences, il semble que tous les pornographes s’accordent à dire que Christopher Mallick est l’escroc numéro 1 du X. Depuis 2010, cet entrepreneur spécialisé dans les services de paiement en ligne dans le milieu adulte est accusé d’avoir volé plusieurs dizaines de millions de dollars à des milliers de sites X. Mais est-il vraiment coupable ?
Un homme d’affaires médiocre
John Christopher Mallick est né au Texas en février 1959. Son père, George Mallick, était un authentique self-made man qui avait fait fortune dans le pétrole et l’immobilier ; en 1989, son “empire commercial” était évalué à 10 millions de dollars. A l’époque, ce père prodige était également suspecté d’avoir couvert de cadeaux son meilleur ami Jim Wright, alors président de la Chambre des Représentants, en échange de quelques faveurs politiques. Pendant qu’il se défendait maladroitement contre ces accusations, son fils accumulait les procédures judiciaires.
Au milieu des années 80, le jeune entrepreneur Christopher Mallick était déjà un habitué des tribunaux. Il a été poursuivi au Texas, en Californie et dans l’Etat de New York pour rupture abusive de contrat, harcèlement, fraude… Malgré la tutelle de son grand-père et de son père, un magnat de la viande, il manquait visiblement de compétence : les disputes financières et les banqueroutes se multipliaient dans son sillage. S’il n’avait pas lâché les études à 15 ans pour se lancer dans les affaires, il aurait peut-être pu s’épargner ces galères – et toutes les suivantes.
Premiers pas dans le biz
Tous ces problèmes ne l’ont pas empêché d’être embauché en tant que consultant par le processeur de paiement Paycom en 1999 [désormais Epoch, plus gros PSP adulte, ndlr]. A l’époque, cette entreprise spécialisée dans la gestion des transactions entre internautes, sites pornographiques et établissements bancaires était en pleine santé. Trois ans après sa création par le programmeur Joel Hall et le développeur web Clay Andrews, elle employait déjà 170 personnes. Le meilleur restait à venir : en 2000, seuls 6,8% de la population mondiale avaient accès à Internet.
Mallick n’a pas tardé à atteindre le grade de PDG de Paycom. En 2005, il avait accumulé assez de parts pour être considéré comme le troisième propriétaire de l’entreprise. Malheureusement, ses relations avec Joel Hall et Clay Andrews étaient devenues si conflictuelles qu’il a été mis à la porte avant la fin de l’année. Dans une plainte déposée suite à cette séparation brutale, Paycom affirme que Mallick complotait en vue de prendre le contrôle du service. Il aurait essayé d’embaucher des proches et d’exploiter les problèmes d’alcool d’Andrews pour le faire licencier.
L’homme d’affaires douteux n’est pas parti de Paycom les mains vides. Ses indemnités de licenciement comprenaient ePassporte, un processeur de paiement qu’il avait lui-même lancé en 2003. Les pornographes s’étaient vite entichés de cette plate-forme, notamment parce qu’elle permettait d’effectuer des transactions rapides et discrètes. Elle était également simple d’accès et facile à utiliser : après avoir envoyé ses fonds vers un compte bancaire ouvert par ePassporte à la St. Kitts-Nevis-Anguilla National Bank (SKNA), chaque nouveau client recevait une carte de paiement Visa. Grâce à elle, il pouvait disposer de son argent à tout moment. En théorie, au moins.
Poker et porno
Les pornographes n’étaient pas les seuls fidèles d’ePassporte. En fait, ils étaient même loin d’être ses clients les plus juteux. Au milieu des années 2000, la mode du poker a poussé de nombreux sites de jeu vers le service de Christopher Mallick. L’argent des commissions coulait à flot quand le Congrès des Etats-Unis a décidé d’interdire les paris en ligne en adoptant l’Unlawful Internet Gambling Enforcement Act en septembre 2006. Malgré les risques de poursuites, deux processeurs de paiement ont continué à travailler dans le secteur : eWalletXpress et ePassporte, bien sûr.
Pendant un temps, cette décision a permis à la plate-forme de gagner encore plus d’argent. Les affaires n’avaient jamais été aussi bonnes. Et puis, en avril 2008, Christopher Mallick a décidé d’abandonner le marché du poker sur Internet après que le FBI lui a signalé qu’un procureur fédéral avait lancé une enquête sur les paris en ligne. “Ca représentait quelque chose comme 75% de nos revenus, a-t-il déclaré au journaliste Sanjiv Bhattacharya en 2011. Ca nous a coûté une fortune d’abandonner ce business. Et je suis convaincu que nous n’aurions pas eu de problème légal si nous avions persisté”.
ePassporte n’a fait parvenir aucun avertissement aux joueurs avant de les abandonner. Aucun de ses responsables n’a jugé bon de les prévenir, ni même d’avertir le service d’assistance. “Pourquoi ne pas avoir laissé un peu de temps à vos clients (…) pour qu’ils retirent leurs fonds des sites de poker ? s’était alors indigné l’administrateur du blog Poker King. Ça n’aurait pas fait de mal. A la place, nous avons eu droit à la fermeture sans préavis, à la mauvaise communication et au chaos général. Si j’avais encore de l’argent dans un compte ePassporte, je n’attendrais pas trop. Retirez votre argent tant que vous le pouvez encore”. Dans l’industrie du X, ces événements n’ont malheureusement pas inquiété.
Middle Men : sur, par et pour Christopher Mallick
Ce revers n’a pas abattu les rêves de Christopher Mallick. En fait, les affaires ne l’intéressaient pas vraiment ; son plus vieux rêve, c’était le cinéma. “Je m’étais mis en tête de travailler pour ne plus avoir à travailler, a-t-il expliqué à Sanjiv Bhattacharya. De faire en sorte qu’ePassporte puisse tourner tout seul. Parce qu’en réalité, j’ai toujours voulu faire des films. (…) Je suis un écrivain frustré. J’ai des idées créatives”. C’est pour cette raison qu’il a créé la société de production Oxymoron Entertainment en 2005, quelques semaines après s’être fait virer de Paycom.
En 2006, alors que son entreprise empochait des millions de dollars grâce au poker, Christopher Mallick avait chargé son ami Andy Weiss d’écrire un scénario basé sur sa vie. George Gallo, l’auteur de Bad Boys et Midnight Run, s’était joint au projet peu de temps après.
Andy Weiss concevait Middle Men (« les intermédiaires ») comme une série pour la chaîne privée HBO. George Gallo l’a transformé en film dont il serait le réalisateur. Ensemble, ils ont imaginé l’histoire de Jack Harris, un homme d’affaire entraîné dans l’industrie du X par Wayne Beering et Buck Dolby, les inventeurs drogués et irresponsables du premier processeur de paiement de l’histoire – on vous laisse deviner qui est inspiré de qui. Pendant qu’ils écrivaient, Christopher Mallick délaissait ePassporte pour écumer Hollywood à la recherche d’acteurs. Tout se présentait bien.
Le début des ennuis
Le tournage de Middle Men a pris fin en décembre 2008. Le rôle de Jack Harris avait été confié à Duke Wilson (La famille Tenenbaum, 3h10 pour Yuma). Giovanni Ribisi (Il faut sauver le soldat Ryan, Lost in Translation) incarnait Wayne Beering et Gabriel Macht (En territoire ennemi, La recrue) Buck Dolby. Le film a été diffusé à des spectateurs-testeurs au printemps 2009. Leurs notes étaient excellentes et les grands distributeurs commençaient à se montrer intéressés. Mallick était aux anges. En tant que seul producteur du projet, il avait déboursé 31 millions de dollars. Le retour sur investissement s’annonçait généreux.
En mai 2009, l’homme d’affaire, les trois acteurs principaux de Middle Men et une dizaine de membres de l’équipe de tournage se sont rendus à Cannes pour présenter leur travail, grosse soirée à l’appui. Malheureusement, le film n’a convaincu aucun acheteur potentiel. Il a fallu attendre le mois de mars 2010 pour qu’un contrat de distribution soit signé avec Paramount. Entre temps, Christopher Mallick a été visé par deux plaintes : la première accusait le prochain long-métrage d’Oxymoron Entertainment de viol de droits d’auteur, la seconde de rupture de contrat oral et de fraude dans une affaire de technologie 3D.
Middle Men est sorti en salles aux Etats-Unis en août 2010. Le bide a été immédiat. Les 250 salles qui ont projeté le film lors du premier week-end d’exploitation n’ont généré que 325 000$ de recettes malgré les bonnes critiques. Christopher Mallick, cloué au lit après s’être brisé le genou en tombant dans des escaliers quelques semaines plus tôt, n’a pu que constater l’ampleur des dégâts. Même romancée, sa vie n’intéressait personne. Il était temps de prendre des vacances. La vraie catastrophe approchait.
Fiasco
Cabo San Lucas, sur la côte Pacifique du Mexique, est une destination de stars. John Travolta, Oprah Winfrey et Cindy Crawford y ont leurs habitudes, Arnold Schwarzenegger s’y est fait construire une villa. En septembre 2010, Christopher Mallick pensait y trouver le calme après le fiasco de son film. Malheureusement, quelques minutes après l’atterrissage de son jet privé, son téléphone s’est mis à sonner sans relâche. ePassporte avait un problème majeur : Visa International avait décidé de rompre ses relations commerciales avec la St. Kitts-Nevis-Anguilla National Bank. Sans l’entreprise financière, son service de paiement en ligne ne pouvait pas fonctionner. Les comptes de ses 100 000 clients étaient désormais gelés. Plus aucun achat ou retrait d’argent n’était possible.
Cette fois, ePassporte s’est empressé de joindre ses clients par mail : “Ce 2 septembre 2010 à minuit, heure du Pacifique, nous avons été avertis que Visa International avait suspendu le programme qui le liait à notre banque partenaire (St. Kitts Nevis Anguilla National Bank). (…) Nous ignorons encore pourquoi Visa a pris une mesure aussi drastique. (…) Nous vous recontacterons dès que nous en saurons plus. D’ici là, soyez assurés que vos fonds sont en sécurité”.
Le 7 septembre 2010, le spécialiste de la cybersécurité Brian Krebs a publié un billet de blog dans lequel il montre que Visa International a cessé de collaborer avec ePassporte à la demande de la SKNA. L’entreprise financière lui a affirmé que la St. Kitts Nevis Anguilla National Bank attendait de cette rupture qu’elle “règle certaines déficiences”. Elle a ajouté : “Il est important de noter que les propriétaires de cartes prépayées SKNA sont toujours en mesure d’accéder à leurs fonds au travers de la SKNA ou de l’agent de la SKNA, ePassporte.com ».
Des millions dans la nature
ePassporte accusait Visa International, Visa International accusait la SKNA. La SKNA, elle, refusait de faire le moindre commentaire sur la situation. Pendant ce temps, les forums fréquentés par les webmasters porno s’enflammaient. Certains d’entre eux avaient entreposé de grosses sommes chez ePassporte, jusqu’à 250 000$. Entre 20 et 100 millions de dollars étaient retenus par le processeur de paiement. Certaines personnes ont supposé que tout ceci n’était qu’un coup de pub pour Middle Men. Leur thèse a été balayée par le passage du temps : les semaines s’écoulaient et personne ne parvenait à récupérer son argent.
Christopher Mallick a d’abord tenté de calmer la foule en publiant un message rassurant sur Go Fuck Yourself, l’un des forums de référence pour les professionnels du X en ligne : “Soyez assuré que quand nous saurons, vous saurez et que vous serez tous satisfaits par les résultats. Une fois de plus, votre argent est en sécurité”. Bien sûr, cela n’a pas convaincu grand-monde. Finalement, ePassporte a annoncé sa fermeture en octobre 2010.
Déjà très remontés, les professionnels du X se sont déchaînés après la mort d’ePassporte. Le compte Facebook de Christopher Mallick a été piraté, des menaces ont été envoyées à ses amis. Un groupe Facebook créé en 2011, Christopher Chris Mallick Hate Club, affirme qu’il s’est accaparé les fonds de ses clients pour créer un système pyramidal. Le compte Twitter Chris Mallick Scam l’affuble d’un masque de voleur. Les noms de domaine christophermallick.net et jchristophermallick.com ont été achetés et remplis de textes accusateurs par des webmasters rancuniers.
Et si ce n’était pas une arnaque ?
Plus de six ans après, difficile de dire si quiconque est jamais parvenu à récupérer ses fonds. Après tout, Christopher Mallick a déclaré en 2011 : “95% des gens qui réclament leur argent sont des menteurs”. Les forums français, américain et roumains s’énervent dès qu’il est évoqué. En Anglais, “Mallick” est devenu synonyme d’arnaque. Ne dites plus “I got ripped off” mais “I got mallicked”.
Les causes de l’effondrement d’ePassporte restent mystérieuses. Bien que cette hypothèse passe pour la plus vraisemblable, Christopher Mallick s’est-il vraiment enfui avec l’argent de ses clients ? Difficile de savoir ce qu’il est advenu de lui ; l’homme d’affaires semble avoir disparu d’Internet. Sur des blogs décrépits, ses détracteurs affirment qu’il devait être jugé en 2015. Nous n’avons pas trouvé de trace de son procès. L’autre hypothèse, c’est que Visa International ne répondait pas vraiment à une demande de la SKNA.
Comme Mastercard, Visa a souvent été accusée d’être responsable de la censure économique qui frappe parfois les sites X. Ces deux entreprises financières essentielles au traitement des transactions en ligne auraient des règles strictes concernant le contenu hébergé par leurs partenaires. En janvier dernier, le réseau social Fetlife a fait disparaître des centaines de groupes et des milliers de fétichismes de sa base de données pour contenter ses processeurs de paiement, qui auraient réclamé cette censure pour se plier aux directives de « l’une des deux sociétés de cartes bancaires ». Les fétichismes concernés étaient taxés d’« immoraux ».
Visa a-t-elle mis un terme à sa collaboration avec ePassporte pour se débarrasser des pornographes ? Depuis qu’elle s’est installée sur Internet, l’industrie est considérée comme une source de problèmes par les services de paiement. Nous y reviendrons dans un article plus approfondi à paraître bientôt.
Update : Christopher Mallick semble avoir lâché le porno mais il est toujours en affaires du côté d’Hollywood. Si le communiqué publié par Sony Pictures Entertainement le 24 mars dernier dit vrai, l’entrepreneur s’est trouvé une place de producteur exécutif sur le plateau de White Boy Rick. Le tournage de ce long-métrage basé sur le destin tragique de l’informateur Richard Wershe Jr. vient de commencer. Le metteur en scène Yann Demange (71′) est en charge de la réalisation. A l’écran, on retrouvera notamment Matthew McConaughey, Jennifer Jason Leigh et le débutant Richie Merritt dans le rôle principal. Date de sortie annoncée : 12 janvier 2018.
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