Dürtal du Porn Yourself Festival : « Si tu penses que c’est important, fais-le ! »
Début avril, on apprenait qu’un nouvel événement cul allait voir le jour à Paris, le Porn Yourself Festival. Créé par Dürtal, féministe et trans installé à Berlin depuis trois ans, ce rendez-vous de la communauté meufs / gouines / personnes trans et inter fêtera la culture du porno « do it yourself » du 18 au 21 mai à La Mutinerie. Ateliers ludiques du type « Fabrique ton sextoy », projos de courts-métrages parisiens, berlinois et barcelonais, performances érotiques, discussions et soirées… On a demandé à Dürtal de nous en dire plus sur sa démarche positive et engagée.
Comment est né le Porn Yourself Festival ?
Le Pornfilmfestival de Berlin, où je me rends tous les ans, m’a inspiré. J’aime leurs courts-métrages queer, lesbiens, fetish… C’est hyper varié et joyeux. J’avais envie de monter mon propre événement pour retrouver cette énergie. Tout est parti d’une discussion avec mon ami Ju, le fondateur de La Mutinerie, un bar parisien féministe à part, géré collectivement, où des ateliers et des projections sont souvent organisés. Le Porn Yourself ne pourrait pas exister sans lui ! Dans notre tandem, je m’occupe de la programmation des films, des guests, de la plupart des ateliers, et Ju de la logistique, de quelques ateliers et des soirées.
Quel est le concept ?
Il s’agit d’un festival de films do it yourself, depuis la vidéo faite tout.e seul.e avec son smartphone, jusqu’à la production avec des moyens techniques semi-professionnels et une plus grosse équipe. Il s’adresse aux cis comme aux trans. Notre leitmotiv : « Viens voir ce que les autres font et viens faire tes films toi-même ! » Moi, j’ai participé à mon premier court DIY en 2013, réalisé par Ben Berlin. C’était une nuit d’été, il faisait trente degrés, on était trois. Ben aime beaucoup les friches industrielles et nous avait emmenés sur un chantier désaffecté. On a tourné quelques heures, jusqu’au lever du soleil. On était très contents du moment vécu, qui a donné lieu à un court-métrage de sept minutes. Avec le Porn Yourself, on souhaite transmettre l’idée selon laquelle quand on est bien entouré, même en très peu de temps, on peut réaliser une vidéo dont on sera fier. Par ailleurs, on ne va pas fixer de prix à l’entrée, ce sera libre. Évidemment, on espère que les gens vont mettre des deux et des cinq euros ! C’est une autre forme d’inclusivité, un principe dur. On ne veut pas que le public s’inquiète de sa classe sociale.
En quoi le porn DIY (do it yourself) et l’amateur diffèrent-ils ?
Je ne suis pas familier du porno amateur, si ce n’est de la dichotomie – parfois artificiellement entretenue par des sites comme Pornhub ou Jacquie et Michel… – entre des vidéos avec des hardeurs pro payé.e.s, et des vidéos mettant en scène des personnes non pro se filmant ou se laissant filmer à l’occasion, avec ou sans compensation financière. Les films présentés au Porn Yourself Festival ne rentrent pas dans ces démarches.
Comment définiriez-vous le DIY ?
Le porno que je fais et qui m’intéresse est difficilement vendable parce qu’il ne remplit pas des critères bandants pour le mainstream. Oui, il montre des corps et des pratiques, en quoi on est désirant et désiré.e, comment on baise et comment on fait du BDSM, il y a souvent du cul, du génital, des fluides, des corps qui s’imbriquent et peu de dialogues… Mais ce porno est do it yourself parce qu’il part toujours de la nécessité de faire les choses nous-mêmes. On peut le paraphraser par »Si tu penses que c’est important, fais-le ». Ce parti pris est politique, et nous le trouvons excitant parce que c’est de l’empowerment à l’état pur. La conséquence de cette démarche délibérée et engagée de mise en scène de notre propre culture sexuelle, de nos communautés de désir, de nos fantasmes, c’est que le/la réalisateur.ice a tout contrôle sur son film, sa diffusion et son public. Dans le cadre du Porn Yourself, ni la Mutinerie, ni moi n’en possédons les droits.
Pourquoi l’organiser à Paris, et pas à Berlin ou Barcelone par exemple ?
J’ai vécu sept ans à Paris, et traîné dans le milieu associatif LGBT. C’est mon petit retour. La capitale m’énerve, mais il y a aussi des gens très bien, des projets qui se montent, une émulation. La communauté s’est agrandie depuis 2010. Je suis curieux, je veux voir ce qui se passe. Paris et Berlin sont des villes très différentes en termes de conditions de tournage, la première étant bien plus stricte et sécuritaire que la seconde… Ce dont les Parisiens ne se rendent pas forcément compte. En filigrane de ce festival, on pose d’ailleurs cette question : qu’est-ce que l’on peut faire à Paris ? Et puis la culture locale est imprégnée de machisme. L’espace urbain est occupé par les hommes. Le mot « féministe » est perçu comme une insulte, quelque chose de vénère. On l’associe à une femme mal baisée. À Berlin, la scène queer au sens large est en place depuis longtemps, plus visible, plus cool. On est tranquille. En soirée, on ne se fait pas toucher le cul quand on porte un jockstrap !
Comment avez-vous mis au point la programmation ?
J’ai choisi de mettre en avant des gens que je connais et que j’aime, ou dont j’avais repéré le travail au Pornfilmfestival de Berlin. C’est une grosse organisation, un vrai bordel. J’ai réuni les vidéos pour en sortir des sujets sympathiques, comme « Outdoor fuckers », des courts-métrages dans lesquels on occupe l’espace et on montre notre cul dans des lieux publics. Chaque séance sera suivie d’une session de questions / réponses avec les réalisateur.ices et acteur.ices… qui sont des petits choux d’amour ! L’idée est aussi d’aller boire des coups avec eux.
Quels sont les « immanquables » du festival ?
Le programme est riche et qualitatif, je ne peux que conseiller aux spectateurs de le lire pour se mettre en appétit ! Parmi les films présentés, il y a une majorité de réalisateur.ices et acteur.ices féministes, trans, queer ou post-porn. Dans le top, on a Neurosex Pornoia, Episode 2 d’Erix Llavelles et Abigail Gnash, avec Ze Royale : de la SF un peu geeky, un genre de Matrix avec des personnes queer. Nous sommes également fiers d’accueillir la pornstar Misungui, et de projeter Hello Titty de Skyler Braeden Fox.
Il y aura un marketplace…
Je suis artisan cuir, je vends des accessoires sur-mesure fabriqués en Europe. Je vis de mon métier, mais pas de ma marque Kink Syndicate, qui est avant tout un collectif d’artisans, tou.te.s féministes et kinky, basé.e.s à Berlin et Paris. À mes côtés, on trouve donc une couturière-corsetière ; la couturière spécialiste des accessoires en chambre à air recyclée Regine Shehata ; une artiste-graphiste, Maïc Batmane, également conceptrice de notre logo, du visuel du Porn Yourself Festival et de celui du What The Fuck Fest ; une brodeuse ; et peut-être bientôt des couteaux, des fouets en cuir tressé… Nos produits seront en vente à La Mutinerie pendant le Porn Yourself.
Pourquoi l’atelier « Fais ton propre Porno / DIY Porn » et la Sex party sont-ils réservés aux meufs / gouines / trans / inter ?
Le festival est ouvert à tous, mais nous allons favoriser un maximum le confort des meufs / gouines / trans / inter. Voilà pourquoi le dernier atelier et la sex party seront non mixtes. C’est le bouquet final, on veut une explosion de cyprine ! Avec « Fais ton porno », nous voulons offrir à la communauté la possibilité de tourner ensemble pendant quatre heures, dans un espace relax et familier. C’est plus rassurant de se retrouver avec des personnes qui partagent la même culture sexuelle que soi, loin du regard des hommes cis qui peut mettre mal à l’aise. Notre décision est pratique. L’objectif de Porn Yourself est maximaliste, mais minimaliste en termes d’inclusion. Il s’agit de privilégier celles et ceux qui habituellement ne le sont pas.
Crédits : illustration – Maïc Batmane / photos – Flo & Victor dans « Hasenheide » ; Skyler Braeden Fox dans « Hello Titty » ; Kink Syndicate Berlin.
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