Corps étranger
J’ai croisé mon premier orgasme clitoridien à l’âge de treize ans, par hasard, au bord d’un lit double fraîchement hérité de ma tante, qui me donnait l’impression d’être « une grande ». Bien sûr, j’avais déjà lu la rubrique sexo de Biba, regardé le téléfilm érotique de M6 – enregistré la veille sur le magnéto familial, en toute discrétion –, et joué au docteur avec des camarades de classe… Mais le plaisir provoqué par cette couette en plumes d’oie que j’avais un peu trop serrée entre mes cuisses, a aussitôt balayé mes certitudes d’ado rebelle.
Obsédée par ma découverte, j’ai emprunté le iMac turquoise de ma mère pour lancer « des recherches très sérieuses » sur Internet, veillant à souvent effacer l’historique. Précisions : la démocratisation du Web dans les foyers français commençait à peine, et j’habitais en province. Ces deux facteurs sous-tendaient un piètre débit, un risque élevé de bugs inopportuns, et pour ma part, une tension (sexuelle) extrême. Après avoir comparé malgré moi diverses épilations et couleurs de pubis, j’ai atterri sur un forum très open où les internautes détaillaient des tactiques de masturbation, parlant de fétichisme et d’autres notions folkloriques qui, à mon grand dam, n’apparaissaient pas dans le Petit Robert.
Guidée par une curiosité presque scientifique, je suis passée de la théorie à l’expérimentation. J’ai essayé de jouir à nouveau, plusieurs fois de suite, dans d’autres positions, en pensant à des garçons. J’en ai débattu avec ma meilleure amie qui, elle, venait de faire connaissance avec son bâton de colle UHU et me conseillait de sauter le pas.
Moyennement convaincue et ignorant l’existence des vibromasseurs du catalogue 3 Suisses, j’ai envisagé « l’option légume », élaborant un plan machiavélique pour subtiliser une carotte dans le compartiment spécifique du frigo (plan analogue à celui qui m’avait un jour permis de tirer une clope dans le paquet de ma mère et des pièces d’un franc dans le porte-monnaie de mon père). Coïncidence bienheureuse : la prof de sciences nat avait distribué des préservatifs lors du dernier cours d’éducation sexuelle… Je me suis ainsi retrouvée à enfiler le latex sur l’apiacée et, après ce ridicule et dur labeur, à m’avouer que je méprisais trop la campagne pour qu’elle me pénètre, que de toute façon, l’insertion d’un corps étranger dans mon vagin était inutile et abjecte.
Les bonnes résolutions s’envolent avec les orgasmes vaginaux. Au final, le bio ne m’a jamais tentée, mais, tout en conservant (nostalgie oblige) un penchant pour la technique du tissu sensuel, j’ai accepté et appris l’art de l’artificiel…
L’ironie du sort a en effet voulu que je dîne à la table du fondateur de Sexy Avenue, l’un des plus gros sites de vente de sextoys et de lingerie coquine, dans un cabaret, il y a quelques années, et qu’il me propose un bon de réduction personnalisé de 20 % sur le rayon virtuel des godes.
-Il est très hot.
-Macar?Hot?
J’aime faire des jeux de mots.
Approved !
J’aime bien les végétariennes.