Livreur de malice
Bientôt vingt-deux heures. Je devrais peut-être enlever ma montre. Et ma culotte. J’attends. Une avant-dernière vérification dans le miroir du salon. Mes cheveux courts et ma nuisette en dentelle noire me donnent des airs de Louise Brooks. (Chut.) J’attends quelqu’un.
Ah ! On toque à la porte. Une dernière vérification dans le miroir du salon. Ma frange n’a pas bougé. Impatiente. J’ouvre. (Ah.) J’attendais quelqu’un d’autre. Face à moi, un homme avec un blouson, un nez et une casquette rouges. Il me tend une pizza en m’adressant un grand sourire. Je comprends vite que le grand sourire n’a rien d’une stratégie commerciale. (Je hais ma nuisette en dentelle noire. Je hais encore plus Louise Brooks. Et je n’ai pas commandé cette putain de quatre saisons !) C’est l’étage du dessus, Monsieur. Au revoir.
Petit con. Maintenant, j’ai faim. J’ai faim, j’attends. Et surtout, je m’ennuie… Internet sera le parfait amuse-gueule. Sur le chemin qui me sépare de mon ordinateur, j’échafaude une théorie de pacotille – d’habitude, je préfère divaguer sous la douche, mais bon. L’Homme est foutrement affamé. Animal, il pourrait ne vivre que de bouffe et de baise. Bonnes ou mauvaises. D’ailleurs, l’un et l’autre s’acoquinent souvent – doux Jésus, si mon ancien prof de philo m’entendait… Peu importe, ma thèse se vérifie ! Glisser un concombre entre ses cuisses. Inviter un tapin à dîner dans l’espoir de le goûter au dessert. Appeler son restaurant Zizzi. Se goinfrer d’huîtres aphrodisiaques. Réaliser des recettes de cuisine au sperme. Caresser des seins en forme de poire. Lécher un corps badigeonné de chocolat. Prendre son épouse sur la table à manger. Frapper ses fesses à l’aide d’un ustensile souple et pratique – dernier cadeau de la belle-doche. Puis savourer du poisson cru pour se remettre de l’effort…
J’interromps ma liste d’exemples et de jeux de mots douteux quand, influencée par mon accidentelle rencontre, j’ose taper « Pizza sex » dans Google. Jackpot ! Plus de six millions de résultats. Deux catégories sortent du lot. Primo, une série de sites se consacrant à une blague qui a fait rage l’an dernier, aux États-Unis et en Europe, et dont la toile a gardé de rares stigmates. Le principe : une fille se filme en train d’accueillir un pizzaman… complètement nue. Humour potache et sexy qui a dû éveiller quelques vocations de livreur, et qui me permet de relativiser – en comparaison, comme dirait ma mère, ma récente expérience, « c’est du pipi de chat ». Deusio, des plateformes de porno streaming s’emparant de ce délire, faisant de la pizza un sex toy, et décrivant un phénomène marginal dont le site Big Sausage Pizza s’avère le leader.
J’ai très envie de cliquer sur ce… Zut, mon portable sonne ! Sans surprise, « Quelqu’un » arrivera en retard. Quel dommage. N’ai-je d’autre choix que d’approfondir ma malicieuse enquête ? (Espiègle.) Je devrais peut-être remettre mes lunettes. Et ma culotte.
Sur la home page, un logo super kitsch avec une saucisse qui ferait pâlir plus d’une Strasbourgeoise. On me demande de certifier que j’ai au moins dix-huit ans. Il n’y a pas de raison, mais je marque un temps d’hésitation. (Un temps d’hésitation.) Certifié ! Dans le bandeau principal, une blonde aux gros seins suce un mec en m’implorant du regard : soit elle déteste ça, soit elle espère que je lui achète une calzone. En dessous, la présentation pêchue des dernières vidéos disponibles – et payantes. Les titres et les photogrammes choisis offrent un florilège de calembours. La viande devient l’avatar de la chair, le fromage, celui du sperme ; la température des ébats est réglée sur celle de la pâte ; et chaque épisode a le droit à son pitch bien gras.
Kayla Page is hungry for the meat stick !
Kayla Page didn’t quite realize how hungry she was until the delivery guy popped in. She takes one look at the pizza and can’t get the goodness down her throat fast enough !
Big Sausage Pizza se destine davantage à un public masculin, voire aux aficionados de teenage movie type American Pie, mais ne me laisse pas indifférente. Comme beaucoup, je nourris en effet le fantasme de coucher avec un inconnu. Un inconnu qui serait miraculeusement venu s’échouer devant chez moi. Hélas, j’adhère un peu moins aux scènes impliquant – entre autres – des anchois. Affaire de goût. Il faut aussi avouer que les vidéos seraient plus crédibles et ragoûtantes si les livreurs avaient l’air de jeunes étudiants en mal d’argent de poche, plutôt que de pervers sur le retour. Au final, ce concept a tout de même le mérite d’exciter, si ce ne sont les papilles, le rire…
Bientôt vingt-trois heures.
On toque à la porte.
J’ouvre.
N. B. – Par essence, la pizza est un plat qui se #partage. Alors voilà, bon appétit avec Stoya dans Jack’s POV 13, la crème de la crème, cadeau du patron.
C’est salaud ! tu me donnes super faim là
C’était pas une bonne journée pour arrêter la colle… Thanks Patron…