Au gré des vents
Fichtre.
Ou devrais-je dire “Doux Jésus”. Ou plutôt “Juste Ciel”. Enfin je n’en sais rien, je ne sais pas trop ce que je devrais dire, je suis un peu décontenancé.
Internet est une jungle sans pitié. Un écosystème cruel où l’on n’est jamais à l’abri de découvrir la plus terrifiante des créatures au détour d’un buisson empoisonné. Et quand on est comme moi, c’est-à-dire curieux et un peu sale, on a vite tendance à jouer les explorateurs. Chapeau de missionnaire sur la tête, machette à la taille, je suis toujours prêt à affronter la faune et la flore sauvage de l’interweb, avançant vaillamment sur les sentiers escarpés tel un James Cook des temps modernes. Mais je vous avoue que, malgré mon courage et mon désir inébranlable de vous rapporter de mes voyages les épices les plus parfumées, j’ai parfois bien peur que, comme le capitaine, ces journées passées sur le bastingage avec ma longue vue dans la main ne finissent par avoir ma peau. « I see London ! I see France ! I can see your underpants ! » me suis-je bien souvent écrié quand, après de longues heures de navigation passées à m’imaginer accoster sur la terre promise, je voyais enfin une côte se dessiner sur l’horizon. Mais parfois, ces continents inconnus vous amènent sur des chemins sinueux et, au contact des moeurs impies de certaines tribus reculées, il vous arrive de voir des choses qui s’imprimeront à jamais dans un recoin sombre de votre esprit, provoquant à chaque réminiscence un malaise accompagné d’une incontrôlable hilarité nerveuse, signe d’un mécanisme de défense de votre inconscient troublé. Nombreux furent les récits qui nous contèrent les singularités du Nouveau Monde, de la barbarie des Mayas à ces curieux petits hommes noirs qui vénèrent les ornithorynques. Et malgré un évident désir de faire connaître au monde ces pratiques étranges, on pouvait toujours y lire la stupeur de l’auteur face à ces actes qui dépassent l’entendement. Ce qui nous ramène donc à ma première affirmation :
Fichtre.
Car je suis prêt à vous parier mon navire, et même toute la flotte de l’Empire, que ce mot est le premier qui vous viendra à l’esprit quand les vents porteront votre vaisseau vers les contrées malodorantes du tag #fart.
Oui, #fart. Ou #prout, dans notre langue châtiée. Le premier contact s’est fait par hasard, alors que je croyais voguer vers les Indes, au détour d’un lien posté innocemment par un contact sur Twitter, l’astrolabe de mes soirées d’ennui. C’est ainsi que j’ai aperçu pour la première fois cet extrait du site fartdomination.com (dont le nom se passe de commentaire), qui présentait Rebecca Blue en train de maltraiter un jeune homme qui avait l’air de n’y croire qu’à moitié. Rebecca Blue, une délicieuse petite blonde avec qui je m’imaginerais faire tellement d’autres choses qu’un concours de pets… Voilà qui aiguisait déjà ma curiosité. Afin de m’assurer que je n’avais pas attrapé la berlue à force de scruter l’océan, je me tournai vers ma fidèle vigie Xvidéos qui, au vu des bizarreries qu’elle nous propose récemment en page d’accueil, pouvait sûrement en savoir un peu plus. En effet la homepage du site, tel un Omar Shariff des grands jours, s’est mis en tête que le cheval était notre dada et nous gratifie de vidéos chevalines du plus mauvais effet. Si elle était capable de nous montrer aussi crûment l’amour entre et un homme et son destrier, elle aurait bien des archives de la sorte. C’est donc fébrilement que je tape le tag interdit, et voilà que cet improbable spectacle se déroule devant mes yeux.
Ce n’était pas un mirage. (NSFW)
Je dois vous dire, nous n’avons pas énormément de consignes de rédaction au Tag Parfait, je crois que nos écrits parlent d’eux-mêmes sur ce point. Mais quand il s’agit d’aborder une pratique marginale, le Boss est très clair : « On n’est pas là pour faire la leçon. Même si c’est crade, faut jamais oublier qu’il y a des gens qui kiffent. ». Vous comprenez donc l’enjeu délicat de cette expédition, puisque j’étais amené à m’immerger de la manière la plus neutre possible dans l’univers de la flatulophilie. Et je ne pouvais pas laisser mes émotions me submerger, car après tout c’est pour la science et l’avenir de l’humanité que nous écrivons.
C’est donc l’esprit ouvert et le cœur plein de bonnes intentions que je viens à toi, ami renifleur. Non, je ne suis pas là pour te juger. Certes, le fait que je ne sois pas moi-même particulièrement excité à l’idée de laisser une brésilienne me lâcher des ruines en plein visage peut donner l’impression que des océans nous séparent, mais après tout, ne sommes-nous pas que des Hommes ? Toi à qui l’Internet a donné une voix en élargissant l’Univers, tu fais aussi partie de ma race, même si les plus puritains d’entre nous iront nier l’existence de ton âme. Mais au diable les prélats de Valladolid, ici tu es en sécurité. Et même si je ne vais pas t’ouvrir mes bras (tu sais, par souci d’hygiène), je suis néanmoins désireux de te comprendre. Bien sûr, je ne t’inviterais pas non plus à manger un couscous, trop effrayé que je serais de te voir te gaver de pois-chiches. Mais je veux tout de même savoir ce qui t’a donné l’envie de franchir le pas du simple four hollandais afin d’aller chercher le nectar à la source, tels les fondateurs de Rome au pis de la louve qui les a jadis recueillis. Car oui, c’est une véritable communauté dont tu fais partie, d’un empire décadent dont les sujets – probablement des gens parfaitement insoupçonnables à la ville – se réunissent dans des lieux sombres pour partager ensemble leurs rêves les plus fous, comme celui de respirer les gaz des augustes séants de Monica Bellucci ou Carla Bruni (fantasmes dans lesquels, à mon grand désarroi, ni Nicolas Sarkozy ni Vincent Cassel n’ont été mentionnés). Oh, je ne dis pas que cela te rend moins respectable une fois la nuit tombée, mais tu me concèderas le fait que je ne soupçonne pas au premier abord Georges, mon assureur, quarantenaire et père de famille, d’avoir une propension à fantasmer sur les odeurs fétides provenant du derrière de sa femme une fois que les enfants sont couchés et que celle-ci s’est endormie devant Laurent Ruquier. Je dis juste que tu pourrais être n’importe qui, que je t’ai peut-être déjà croisé dans la rue, ou même serré la main au travail. Diable, tu pourrais même être ce voisin sodomite que j’entends jouir à longueur de journée.
Toi et tes confrères je vous ai lus, je vous ai regardés, je vous ai observés et je vous ai analysés. Vous m’avez beaucoup fait rire, vous m’avez souvent dégoûté, mais vous m’avez surtout intrigué. D’où vous venait cette inclination pour les flatulences ? Moi qui vous prenais pour des scatophiles cérébraux qui préfèrent sentir l’odeur des cuisines plutôt que de goûter les plats, je me suis bien fourvoyé. Car plus qu’un simple fétichisme des excréments, le pet est chez vous une extension du domaine de la domination féminine. Car c’est bien trop facile de se faire insulter, de recevoir de grandes claques sur les testicules, de se faire ligoter la verge ou de se faire brûler les tétons par la flamme d’un candélabre. Non, l’humiliation ultime vient de l’œil interdit, de cet endroit tabou qui inspira Verlaine. Car du « tube où descend la céleste praline » viennent aussi ces bruits et ces odeurs que personne n’assume, ceux qui en société vous rendent infréquentable. Ce sont ceux-là même qui symbolisent l’avilissement, et les recevoir directement sur le visage frôle pour vous la soumission ultime. Je dois avouer que je vous comprends sur ce point. Vous savez, j’ai moi-même passé quelques années en internat, dans ces lieux de déchaînement potache où le pet furtif sur le visage de celui qui dort ou qui fait ses devoirs était une des farces les plus humiliantes pour le pauvre bougre qui en était la victime. Mais de là à en faire un fantasme, il y a un pas que nous n’avons jamais franchi.
Ce sont donc toutes ces douceurs exotiques qui sont traitées par le tag #fart, votre tatouage tribal à vous. Que ce soit sur Fart Domination, sur Fart Fantasy, sur The Fart Girls, et sur tant d’autres plateformes aux relents fétides que vous partagez. Mais pas uniquement. Non, ce fétiche est poussé jusqu’à la simple observation des faits, et votre adoration pour le méthane crée des merveilles surréalistes comme le « toilet seat pov farting » (big up au preneur de son), les vidéos de pets enflammés, ou une minette qui pète dans un sac. Cependant, perchés dans vos arbres bien au delà de la civilisation, votre pornographie reste marginale. Si ce n’est les quelques résultats sur Xvidéos (le seul endroit ou ils sont notés en positif), les autres tubes sont plus réticents. Alors pour conquérir vos terres sauvages il faudra sortir le Paypal, car les fiers guerriers pétomanes n’abandonneront pas si facilement leur royaume. Pas de grands studios non plus, tout ça reste dans l’artisanal maladroit, un peu comme ces verroteries que les péruviens nous vendent dans les rues de Paris. Mais ne vous inquiétez pas, personne n’ira vous blâmer de rester dans l’amateurisme. Je ne suis pas là pour vous évangéliser, car votre place est bel et bien là, dans ces contrées reculées où vous pouvez vivre libres comme l’air.
C’est donc légèrement suffoquant que je levais l’ancre de l’Île aux Prouts, et je laissais la brise me guider vers d’autres horizons. Et même si je n’ai pas eu le courage de passer leur rituel d’admission, mes amis largueurs de caisses et moi nous sommes quittés en bon termes. Le voyage aura certes été éprouvant, mais certainement pas vain. Qui sait, un jour tout cela sera peut-être exposé au Museum d’Histoire Naturelle, entre les dinosaures et les moutons à 2 têtes.
le travail d’enquête a du être aussi drôle que plein de surprises.
good job écrire un article plein de subtilité(s) et drôle là dessus.
j’ai rigolé (et dégouté mes puritains d’amis)
Non mais quelle plume !
Alors que lâcher une caisse en société sans y foutre le feu est plutôt mal vu, je me suis rendu compte que ça pouvait être marrant d’enflammer ses loufs, notamment dans le noir pendant une soirée d’anniversaire. Les commentaires et les rires fusaient (!) : « Oh la belle bleue (c’est du méthane) », « Oh dis-donc, elle est orange, celle-là ».
Ca changeait des : « Gros porc », « Gros dégueu » ou tous les autres « Gros » du genre.
Mais de là à foutre le tricotin, tout de même.
Même avec la plus bombasse de toutes les bombasses, impossible.
haha article très bien écrit !!
Mais mon dieu, en effet ça fait peur !
(L’affiche de film m’a donné un ptit frisson de dégout bien involontaire)
Mais comme tu dis, au porno, on ne juge pas ! 😉