Délimitations

Reprenons.
Qu’est-ce que la pornographie ? c’est la « représentation (sous forme d’écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.) de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées » ; ou encore, le « caractère obscène d’une oeuvre d’art ou littéraire. » [Source : Trésor de la Langue Française]

La nourriture est quant à elle au sens large « ce qui entretient la vie d’un organisme ». Bien sûr il peut s’agir de nourriture intellectuelle, ça nous arrange.
Donc FoodPorn serait littéralement et en condensé « la représentation obscène de ce qui entretient notre organisme ».
La métaphore, si on veut la conserver, nous permettrait de faire évoluer la conception qu’on a non pas d’un porno mais de plusieurs pornos ; car ainsi qu’on me le faisait remarquer dans mon premier article : « Si on suit la logique jusqu’au bout, les burgers gras sont du gonzo ? » (C’est de cette remarque que je me suis interrogé sur quelle forme de comparaison convenait le mieux.)
Ainsi donc je vous propose la hiérarchie suivante :

Plaisant, non ?
Et pourtant non.
GRAVE ERREUR.

Postulat qu’on en déduit : aussi vrai que la pornographie nourrit le fantasme sexuel, (souvent) sans préoccupations artistiques – internet permet, mieux que jamais, d’isoler les scènes de sexe seules sans considération pour un scénario ou même un pitch : on veut les voir baiser et comment ils baisent ; qu’ils baisent donc ! – le porno alimentaire nourrirait un fantasme alimentaire en nous montrant de la bouffe immédiatement appétissante.
Du coup, constat : on écarte la littérature, on écarte la vidéo. Pas de bouquins de porno-cuisine car ce serait la recette à lire qui éveillerait l’excitation. Pas de vidéo de Robuchon en train de fouetter avec vigueur sa célèbre purée constituée de 50% de patate et 50% de beurre. On recherche l’immédiateté : quoi de mieux que l’image, sa multiplicité et sa répétition ?

J’ai écrit « porno alimentaire » parce que je n’arrive pas à me décider : si c’est pornfood, c’est de la nourriture considéré comme du porno, si c’est foodporn, c’est une intuition pornographique éveillée par la nourriture.

Coffee Glazed Donuts © whitsamusebouche.com

Le temps passant, je sens qu’on s’approche de plus en plus du foodporn, en ce sens que la visualisation appelle la visualisation : plus j’en vois, plus je veux en voir. Le voyeurisme du porno se décline parfaitement comme n’importe quelle autre obsession de voir, observer, constater passivement une chose qui nous émoustille, voire, qui nous choque, mais dont le choc est justement recherché.
Pourquoi ai-je adverbé « passivement » ? Relisez ; « voir, observer, constater passivement » : tout simplement parce qu’on s’excite du regard mais sans passer à l’acte. Si voir du porno nous file assez facilement la gaule, ce n’est pas pour autant qu’on se tire sur l’élastique à chaque fois ; de la même manière, si le rédacteur en chef du Tag Parfait s’affiche plein écran des bourriches d’huîtres, il n’a pas de raccourci dans son portable à Ecailler du Bistrot pour s’en faire livrer une à chaque envie.

Kumamoto Oysters © Jorge Travino

Et nous voilà ainsi le regard brûlant de désir scopophile à scroller des pages et des pages, à dérouler des kilomètres de tumblr à la recherche d’une image qui s’imprègnera plus durablement que toutes les autres dans notre mémoire. L’adjectif « scopophile » désigne en psychanalyse le plaisir de regarder (Freud parle de « pulsion scopique »). Il est employé par Norman Bryson dans The Gaze in the Expanded Field qui le distingue du « voyeurisme », qui revêt selon lui une dimension sexuelle. Il y a un parallélisme de conception entre le porn et le foodporn ; la discipline justifie donc son nom.
Il y a dans le foodporn un désir non de manger la nourriture qui apparaît mais de voir la nourriture, et de sentir naître un désir pour elle, de la même manière que le premier puceau venu serait bien embêté si une actrice spécialisée venait sonner à sa porte pour lui dire : « on fait tout comme dans la vidéo que tu viens de mater. »

« Louise », entremets © Jean Mathat-Christol

Ainsi délimité, la foodporn permet de se sous-catégoriser, car chaque fantasme requiert un certain type d’images. N’importe quel site de vidéos pornos a son onglet « catégories ». Il y en a pour tout le monde, tous les goûts, toutes les sexualités. Et comme n’importe quel site de vente de vêtements, on peut additionner les critères entre eux : « gros seins » + « blondes » + « creampie » + « HD » ? C’est possible. « gay » + « interracial » + « in public » + « facial » ? Dude, just ask!

Idem pour le foodporn : on peut se laisser guider quotidiennement foodporn.net ou chercher dans le détail foodporndaily.com/?s=oyster.

L’expérience du foodporn commence doucement : la mosaïque de f-o-o-d-p-o-r-n.tumblr.com, le foodporn facile de thisiswhyyourefat.tumblr.com

Pourquoi le film érotique de M6 n’est-il plus programmé ? parce qu’il n’en montrait pas assez. L’avenir nous montrera que le foodporn n’est pas qu’une histoire de pâtisseries plantureuses dans des décors vaporeux…

Bacon + Tomato + Lettuce = BLT. BLT + Turkey + Mayo + Red Onion + Cheese = A BLT Club Sandwich.

Image en une par kitchenrunway.com

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  • Pour moi, le porno c’est le contenu duquel on se désintéresse après l’orgasme masturbatoire, et l’érotisme les belles images sur lesquelles on ne se masturbe pas.
    Le foodporn serait donc du food-erotica, et ne deviendrait pornographique uniquement lorsque je regarde les photos ou les plats dans un restaurant (souvent chez le livreur de sushi ou au traiteur, mais aussi lorsqu’on demande à son voisin de table ce qu’il a commandé dans un restau traditionnel. Et dans une pâtisserie bien sur.)

  • je m’intéresse pas vraiment à la gastronomie et au foodporn, mais le terme de pulsion scopique que tu viens de me faire découvrir m’intéresse énormément.

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