Le Parfum – Patrick Süskind
On continue notre exploration de vos bibliothèques roses, et c’est au tour de Cheyenne qui se livre à bel exercice en nous racontant sa rencontre avec Le Parfum, de Patrick Süskind.
Mon cher petit secret. Mon cher amour des mots. Dans mon enfance, je n’ai pas tout découvert par les livres, mais beaucoup tout de même, et lorsque je découvrais des choses dans le monde, les livres me le rendaient bien, trahissant nos liaisons dangereuses. Classe de troisième, les lectures sont au choix. Je prends un titre, presque au hasard, d’instinct. Un titre d’une sobriété presque alarmante : Le Parfum. Les pages filent ; cela fait longtemps que je n’ai pas connu cette fébrilité de lire. À cause de l’impression médiocre sur un papier trop épais, l’encre me reste sur les doigts. À deux cents pages du début, le livre a déjà été retourné, corné, maltraité, il a vécu avec moi.
L’histoire de Grenouille est célèbre depuis qu’elle a été incarnée dans un mauvais film : en plein XVIIIème siècle, un pouilleux parmi les pouilleux, mais doté d’un « nez » absolu, se met à tuer des jeunes filles belles et blanches, sans aucun autre motif que de vouloir littéralement capturer leur odeur.
« Il ouvrit le sac de voyage, en tira le tissu de lin, la pommade et la spatule, déploya le linge sur la couverture où il s’était étendu, et commença à l’enduire de pâte grasse. C’était un travail qui demandait du temps, car il importait que la couche de graisse fût plus épaisse à certains endroits et plus mince à d’autres, selon la partie du corps avec laquelle elle serait en contact. La bouche et les aisselles, les seins, le sexe et les pieds fourniraient plus d’éléments odorants que par exemple les tibias, le dos ou les coudes ; les paumes des mains, plus que leur dos ; les sourcils, plus que les paupières, etc., il fallait donc les doter plus généreusement de graisse. Grenouille modela donc sur le linge une sorte de diagramme olfactif du corps à traiter, et cette partie du travail était en vérité la plus satisfaisante, car il s’agissait d’une technique artistique mettant en jeu à parts égales les sens, l’imagination et les mains, tout en anticipant de surcroît, idéalement, sur la jouissance que procurerait le résultat final. »
Le sentiment coupable qui monte. Non, je ne peux pas prendre de plaisir à ça. Un plaisir qui provient de la même sensation que les longues inspirations prises au primaire avec la colle Cléopâtre ou, moins mièvre, au-dessus d’un aliment un peu rance et dégoûtant dont l’odeur serait trop entêtante pour qu’on s’empêche de renifler. Je ne comprends pas ce qui est près de moi, pourquoi je relis des pages entières sans même prendre le temps de comprendre ce qui se passe ; pourquoi je veux refermer le livre et sentir réellement les sécrétions corporelles couler sur les chairs.
Et plus haut : « Ses seins n’étaient que des boutons, infiniment tendres et à peine odorants, piquetés de taches de rousseur, et qui commençaient à se gonfler peut-être depuis quelques jours seulement, peut-être seulement depuis quelques heures… »
Plus que culpabilité, confusion. Je n’ai qu’à étendre la main pour confirmer, d’un pincement des doigts, que l’adolescente pubère dont la pointe des seins bourgeonne, c’est moi ; et pourtant, la projection n’est pas à cet endroit, car c’est la place de l’homme que je veux. Mon nez, c’est mon organe. Eros, Thanatos, à ce stade-là on s’en fout, il y a là un pur plaisir de déviance, une localisation inconvenante du désir. Le coup de génie de Süskind consiste à plonger la face de son lecteur dans son pot-pourri personnel, à s’en remplir comme d’une drogue. Effet de présence incroyable : où l’on découvre que lire, c’est sentir, et par conséquent, c’est déjà faire l’amour. Un an plus tôt, j’étais tombée amoureuse d’un garçon plus âgé, qui me prêtait des cassettes vidéo – contenant des films qui au passage auront changé ma vie –. Les cassettes et leur jaquette retenaient son parfum, une odeur de déodorant masculin encore inconnue, quelque chose de boisé et de volontairement un peu élégant, des années avant « l’effet Axe » et autres hameçons odoriférants. Avant de glisser la cassette dans le magnétoscope, j’essayais de humer le bristol de la jaquette, pour retenir l’odeur, qui avait même envahi le plastique noir entourant la bande de la VHS. Au bout de deux passages dans l’appareil, les cassettes avaient perdu la senteur originelle. Il en fallait de nouvelles.
Un mot, une odeur ; Süskind fait de moi une fétichiste de la sensation olfactive. Des années plus tard, c’est peut-être Grenouille qui, derrière mon épaule, me regarde respirer les vêtements tombés du lit quand l’autre dort encore. Etrangement, les images répugnent à ce genre d’arôme. Chez les classiques, il n’y a guère que John Waters pour avoir testé l’Odorama – et David Lynch pour la scène de Blue Velvet où Dennis Hopper respire à travers un masque le secret pubien d’Isabella Rossellini. Sous le fap, rien de nouveau. Les vidéos mettent évidemment l’accent sur le goût. Au moins, ce qui transite par les papilles, c’est concret, ça dégouline, la consistance est bien réelle, il y a du liquide et du visqueux, tout de suite les fluides s’emballent. L’immatériel des effluves corporels n’est visuellement pas très enivrant. Comme si pour exister, l’odeur des autres nécessitait qu’on ferme les yeux un moment, en réfrénant la pulsion scopique. Sur les tubes, #sniff a toujours un parfum de scandale. Des postérieurs posés sur un visage comblé, des doigts de pied qui agitent leur fumet devant des naseaux grand ouverts, ce ne sont pas réellement l’idée que je me fais de mon désir olfactif. Pas la peine de la rechercher, je sais qu’elle ne sera pas à l’écran. Tant pis : il y a encore des pages pour faire tenir l’utopie.
Cheyenne.
Le vrai problème de Le parfum, c’est que la scène d’orgie finale n’est pas précisée sur la jaquette. Je l’aurais lu beaucoup plus tôt si j’avais su.
Attention TROLL.
Je comprends que Le Parfum t’ait fait découvrir une puissance olfactive, mais je trouve qu’il y a un problème dans l’écriture.
C’est marrant que tu parles d’odeurs de VHS, parce que typiquement, on est face à un livre fait pour devenir un film.
A la lecture du livre, je voyais des décors hollywoodiens, et le style des autres littéralités me semblait bien trop maniéré pour être honnête.
Je m’y étais pas trop trompé en googlant la chose, Le Parfum se trouve être un pur produit 80’s. Ça ne regarde que moi, mais c’est un peu un Jean Des Esseintes du pauvre dans une quête de jeu vidéo avec des décors carte-postales + une orgie à la fin pour appâter le chaland…
Mais OUI, ça a pu te faire découvrir que les odeurs sont encore plus enregistreuses que des bandes VHS. Bien vu !
Premiers émois, tout simplement.
Même âge, même livre, mêmes émois. Et c’est drôle comme depuis, le sexe me semble toujours meilleur quand j’éprouve un, oh si léger, sentiment de culpabilité.