La Démangeaison – Lorette Nobécourt

J’ai passé quelques heures de mes cours de lycéenne et d’étudiante dans les couloirs. Et plus particulièrement dans les toilettes. Peu importe le genre. Je me déshabillais. À l’abri des regards. Afin d’assouvir le plaisir douloureux engendré par le grattement de mes plaies. Des plaies tantôt sèches. Tantôt suintantes. Il m’était souvent impossible de suivre un cours en entier tellement la peau piquait. Et quel bonheur quand enfin mes ongles arrachaient la moindre parcelle de peau clignotante. Orgasme. Et puis, à l’occasion, j’ai découvert sur l’étagère d’une bibliothèque universitaire un livre qui me semblait destiné. La démangeaison de Lorette Nobécourt. Je l’ai lu d’une traite. Et la découverte fût double.

Lorette Nobécourt

Coucou

Il y eut, bien sûr, l’effet miroir. Celui qui me fit me reconnaître dans cette jeune femme. L’autobiographie qu’elle me présentait ici, me renvoyait à mes propres plaies. À la psychologie de comptoir. À la cortisone. Aux rituels de grattage. Le plaisir quasi jouissif d’écorcher chaque épiderme qui démange. Plaisir interdit. Bah ouais, « arrête de te gratter ».

Mais au delà de ce rapprochement. Ce qui, à mon plus grand étonnement, me bouscula, fût cette étrange scène de sexe. Étrange mais finalement pas étrangère. Enfin cette auteure mettait des mots sur une sensation presque taboue. Enfin, quelqu’un réunissait plaisir de la démangeaison et plaisir sexuel. Qui oserait dire « Gratte moi pendant que tu me pénètres. Gratte moi, gratte moi jusqu’au sang » ?
Je ne saurai dire si cette scène de sexe qui sonne comme une libération m’a excitée plus qu’elle ne m’a fascinée. Au delà de l’excitation provoquée par une démangeaison assouvie – Oh oui, plus fort, plus fort ! – ce n’est pas la comparaison qui a été importante. Non, ça je le savais déjà. Non c’est l’alliance de ces deux plaisirs qui remua en moi une sensation inconnue. Il arrive souvent que mes amantes me gratte. Il arrive souvent que j’exulte lorsqu’elles s’exécutent. Et elles aiment « faire du bien ». Assouvir une envie. Me faire jouir, épidermiquement parlant. C’est arrivé, qu’un massage tout ongle dehors se termine en sexe ardent. Mais jamais, jamais je n’ai osé demander « gratte moi de l’autre main, mon amour. » Et lorsque devant la télé, je pars à me gratter, seule ma colocataire et amie pourra interrompre cette masturbation eczémateuse. Comme à l’enfant auquel on dit : « Ce n’est pas bien de se toucher le zizi, hein ! ».

Lorette Nobécourt la Démangeaison

« Un soir je lui ordonnai de me gratter. L’excitation de ma peau était à son comble. Il se sentit timide puis s’approcha de moi pour me déshabiller. Enfin il commença de frotter mes plaies doucement. Je murmurai :
– Plus fort, plus fort…
[…] je cognais ma tête contre le plancher, dans un bruit sourd et mat, lui s’appuyait sur moi, fonçait sur mon ventre par dessus mes flancs, une sorte de rage dans ses yeux, que j’apercevais sous mes paupières ouvertes… Il pénétra ma peau et mon sexe ensemble, il frappait et grattait à la fois, écorchant ma blessure d’entre mes lèvres douces, arrachant l’épiderme de coups secs et pointus. Tout en perdant imperceptiblement le contrôle de ses membres, il continuait ainsi de me saigner durement. Il prenait du plaisir à racler dans ma couenne, à foncer droit devant au creux du ventre ouvert, dessous le sexe, dessus la peau en sang, les chairs du dessous emmêlées avec lui sous l’étoffe du dessus, je devenais muqueuse affolée, mes veines sans sursis, et mes muscles assaillis de secousses, la carnation toute de couleur vêtue… Il opérait dans mes chairs profondes, m’amputait de mes squames, travaillait mes bouffissures toutes en érections glorieuses, mes plaies, mon étoffe désarmée, déchiquetée de plaisir et de joie… ».

Et ce déversement libérateur et agaçant continue jusqu’à l’orgasme. Pour la plupart, une scène pareille paraitra immonde. Sale. Mais pour moi ce fût le plaisir de la chair mise à vif. L’éclatement de la croûte devenu pressant, lié au plaisir presque bestial de la jouissance. Une jouissance brutale précipitée. Si je me levais du pupitre pour assouvir mon désir brutal, celui-là même déclenché dans la partie du dos que votre main n’atteint jamais, alors peut-être qu’un élève s’est levé un jour pour une bonne partie de branlette dans les chiottes du bahut. Pour assouvir un désir soudain.
Et si la comparaison semble douteuse, je la maintiens. Qui n’a jamais basculé la tête en arrière en se grattant un (tout petit) bouton de moustique. Cet enculé ne m’a pas loupé. Si à l’époque, Lorette Nobécourt a réveillé un plaisir inassouvi, elle m’a également touchée par la vérité de ses mots. Allier le plaisir du frottement des plaques à celui du frottement du sexe.

J’ai découvert il y a peu, un lien entre eczéma et régulation hormonale. Seulement pour 135 euros. Et le phytothérapeute consulté me posa cette question : comment va votre peau après l’orgasme ?

Bien. Elle va bien, merci. Mon sexe a joui. Ma peau aussi.

Par Camicam

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  • Eczema et Sexe dans un article ici, improbable, et pourtant quand l’envie du grattage prend c’est vrai que sa devient frénétique. je ne verrais plus mes envies comme avant. 😉

    Tres bon texte Camicam

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