L’insoutenable légèreté de l’être – Milan Kundera
Aujourd’hui, S. nous ouvre les portes de sa Bibliothèque Rose pour revenir sur une scène marquante du roman de Kundera.
Personne ne s’attendrait à trouver au fin fond d’un pavé slave de quoi faire saliver l’étudiante. Quand on ouvre l’Insoutenable légèreté de l’être, on est accueilli par Nietzsche et la révolution française. Je sais que sur le Tag, on est très ouvert aux lubies les plus spéciales, mais je ne suis pas certaine de vouloir rencontrer celui ou celle qui bande en lisant le Crépuscule des Idoles.
Très vite on comprend le topo, un type qui balance entre une amoureuse pesante et chiante et une amante légère, légère. Là encore, pas de quoi se polir le calisson plus que ça. Voire même encore moins que ça, quand l’adultère vous laisse un goût de sperme amer. Bien sûr, on hoche la tête sagement en acquiesçant aux leçons ultras théoriques « d’amitié érotiques » : « Il faut observer la règle de trois. On peut voir la même femme à des intervalles très rapprochés, mais alors jamais plus de trois fois. Ou bien on peut la fréquenter pendant de longues années, mais à condition seulement de laisser passer au moins trois semaines entre chaque rendez-vous. ». Joli manuel moderne du gentleman. Précis exhaustif sur l’amour et la passion. Mais en soi pas de quoi rougir en sortant un Kundera dans le métro. Au mieux on crâne en murmurant à la lecture d’un « au royaume du kitch s’exerce la dictature du cœur. »
Au-delà de la lutte entre l’âme et le corps, des phrases bien moulées, ce que je retiendrai reste ce motif irremplaçable du chapeau de l’amante, Sabina. Introduit à plusieurs reprises comme pour apprivoiser un lecteur non averti, l’accessoire devient un véritable symbole du plaisir coupable.
« Sabina resta seule. De nouveau, elle se campa devant le miroir. Elle était toujours en sous-vêtements. Elle remit le chapeau melon et s’examina longuement. Elle s’étonnait, après tout ce temps, d’être encore poursuivie par le même instant perdu.
Quand Tomas, voici des années, était venu chez elle, le chapeau melon l’avait captivé. Il l’avait mis et s’était contemplé dans le grand miroir qui était alors appuyé comme ici contre un mur du studio pragois de Sabina. Il voulait voir quelle figure il aurait eue en maire d’une petite ville du siècle dernier. Puis, quand Sabina commença à se déshabiller lentement, il lui posa le chapeau melon sur la tête. Ils étaient debout devant le miroir (ils étaient toujours ainsi quand elle se déshabillait) et épiaient leur image. Elle était en sous-vêtements et coiffée du chapeau melon. Puis elle comprit soudain que ce tableau les excitait tous les deux.
Comment était-ce possible ? Un instant auparavant, le chapeau melon qu’elle avait sur la tête lui faisait l’effet d’une blague. Du comique à l’excitant, n’y aurait-il qu’un pas ?
Oui. En se regardant dans le miroir, elle ne vit d’abord qu’une situation drôle. Mais ensuite, le comique fut noyé sous l’excitation : le chapeau melon n’était plus un gag, il signifiait la violence ; la violence faite à Sabina, à sa dignité de femme. Elle se voyait, les jambes dénudées, avec un slip mince à travers lequel apparaissait le pubis. Les sous-vêtements soulignaient le charme de sa féminité, et le chapeau d’homme en feutre rigide la niait, la violait, la ridiculisait. Tomas était à côté d’elle, tout habillé, d’où il ressortait que l’essence de ce qu’ils voyaient n’était pas la blague (il aurait été lui aussi en sous-vêtements et coiffé d’un chapeau melon), mais l’humiliation. Au lieu de refuser cette humiliation, elle l’exhibait, provocante et fière, comme si elle s’était laissé violer de bon gré et publiquement, et finalement, n’en pouvant plus, elle renversa Tomas. Le chapeau melon roula sous la table ; leurs corps se tordaient sur le tapis au pied du miroir. »
Pas de quoi fouetter un chat. Là je dois vous avouer penaude que j’ai triché. Une fois n’est pas coutume, j’ai vu le film avant de lire le livre et c’est en ayant les images déjà en tête que j’ai découvert ce passage.
Le lancinement des hanches de Lena Olin, le regard parfaitement maîtrisé de son compagnon et surtout le déplacement stratégique du miroir au sol se répercutèrent à chaque syllabe du chapitre. Bien sûr, j’aurais pu aller plus vite, sortir un bouquin de cul de dessous mon lit, ou une scène de gonzo de mes marques pages… Cependant, la subtilité d’une scène de fiction mainstream, c’est tout le charme de l’interdit et le goût délicieux d’un réel qui n’est peut-être pas si fantasmé que ça. Depuis, chaque fois que je vois un chapeau melon, la vieille batterie de réflexes pavloviens revient me tourmenter : mes jambes se contractent douloureusement, j’ai du mal à déglutir et je crève d’envie de me mettre à quatre pattes. Comme si ça ne suffisait pas, ce même chapeau sera aussi prétexte à une séance photo subtilement cruelle, où l’amante et l’amoureuse se prennent tour à tour en un jeu de soumission alternative.
« L’appareil servait à Tereza d’œil mécanique pour observer la maîtresse de Tomas et de voile pour lui dissimuler son visage. Il fallut un bon moment à Sabina pour se résoudre à ôter le peignoir. La situation était plus difficile qu’elle ne l’avait cru. Après avoir posé quelques minutes, elle s’approcha de Tereza et dit : « Maintenant, c’est à mon tourde te photographier. Déshabille-toi ! » Ces mots « déshabille-toi », que Sabina avait entendu bien des fois de la bouche de Tomas, s’étaient gravés dans sa mémoire. C’était donc l’ordre de Tomas que la maîtresse adressait maintenant à l’épouse. Les deux femmes étaient ainsi reliées par la même phrase magique. C’était sa façon à lui de faire surgir d’une conversation anodine une situation érotique : pas par des caresses, des frôlements, des compliments, des prières, mais par un ordre qu’il proférait soudainement, à l’improviste, d’une voix douce bien qu’énergique et autoritaire, et à distance. À ce moment-là, jamais il ne touchait celle à qui il s’adressait. Même à Tereza, il disait souvent, exactement sur le même ton : « Déshabille-toi ! » Et quoiqu’il dît cela doucement, quoiqu’il ne fit que chuchoter, c’était un ordre, et elle se sentait toujours excitée rien que de lui obéir. Or, elle venait d’entendre les mêmes mots et son désir de se soumettre était d’autant plus grand que c’est pure folie d’obéir à quelqu’un d’étranger, folie en l’occurrence d’autant plus belle que l’ordre n’était pas proféré par un homme, mais par une femme. Sabina lui saisit l’appareil des mains pour qu’elle déshabille. Tereza était debout, nue et désarmée devant elle. Littéralement désarmée parce que privée de l’appareil dont elle s’était servie pour dissimuler son visage et qu’elle pointait à l’instant sur Sabina. Elle était à la merci de la maîtresse de Tomas. Cette belle docilité la grisait. Puissent ces secondes où elle est nue devant Sabina ne s’achever jamais ! Je pense que Sabina sentit aussi le charme insolite de cette situation où elle avait devant elle la femme de son amant, étrangement docile et timide. »
Le fessier poupin de Juliette Binoche rend une nouvelle fois indispensable l’illustration vidéo de la scène.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=wMdJV5G1y0U[/youtube]En revanche, interdiction formelle de reluquer plus d’une fois, c’est juste pour saupoudrer votre lecture d’un je-ne-sais-quoi qui vous donnera envie d’arracher les petites culottes et de courir sur ebay pour vous acheter un melon.
PS : N’oubliez-pas de m’envoyer la photo.
S.
Après la rubrique sexo, voici la rubrique Littéraire (observons la majuscule) du tag Farpait. Youpi, donc.
Merci d’avoir publié mon petit papier! Si ça a plu, j’en ai pleins d’autres dans mon sac à pyjamas.
Wahou! Je vais acheter le livre, le dévorer d’une seule main et regarder le film après! Une review très écrite et qui donne des envies littéraires et érotiques! j’adhère!
Le passage où les cheveux de Thomas sentent la cyprine de Sabina est torride aussi…
Merci pour cet article qui donne envie de relire Kundera.