1+eux+moi
Au détour des tubes, le sopalin à portée de jet, on croise toujours des tags franchement #fap, mais aussi d’autres bien #flip, voire carrémment #freak. Alors quand je veux éviter les risques et finir ma petite pignole arrive toujours un moment où je vais chercher dans la quantité plus que la qualité. L’orgasme n’attend pas le nombre des années, mais j’ai longtemps été persuadé qu’il est souvent lié au nombre des hardeurs. Constante du porn, il en faut toujours plus, plus gros, plus plein, plus nombreux.
Par réflexe, et pour ne pas me perdre mon jus dans le flot (les partouzes désincarnées aussi bandantes qu’un gode de Myazaki, merci) j’enchaîne des tags spécialisés : #gangbang, #abattage et autres plaisirs collectifs en mode 1+beaucoup, je cherche des synonymes (un gros lol sur la page gang bang du wiktionaire qui te balance «viol en réunion» agrémenté d’un exemple d’une douce ironie), mais je me concentre sur un seul objectif : trouver mon objet individuel du désir soumis au collectif.
Pourquoi ai-je besoin de voir autant d’hommes pour un si petit trou, fut-il béant ? Le résultat est pourtant souvent bien en-deçà des attentes. La bande de papas qui mettent la raclée à tonton me remet vite les idées en place, la lignée de crétins attendant qu’on appelle leur numéro me décroche un sourire mais pas une goutte au bout de la queue. Bernardo déguisé en zorro, bandana sur la tête et couilles en bandoulière, m’achève. Avec un peu de sourire et un peu de plaisir, ça commence à mieux passer, apparemment, mais ce n’est pas toujours ça. Qu’est-ce qu’il peut y avoir d’excitant à mater un mec se faire passer dessus par la totalité d’une équipe de douchebags américains (ce que les yankees peuvent manquer de finesse, franchement) ?
Je peux aisément deviner le plaisir du soumis, offert à tout va, cherchant dans le plus grand nombre ce que je ne pourrais lui donner seul, endurance, performance, et des mètres accumulés bien au-delà du raisonnable (mieux qu’un 5 à 7, se prendre un 20×5 nous fait quand même au final un bon mètre de queue, même en kit ça te fait rêver, avoue). Il suffit de se balader sur quelques sites de petites annonces pour voir à quel point ça en titille jusque dans les caves d’Argenteuil. Mais en face, il cherche quoi ?
Dans la masse des clones piloneurs, on a du mal à croire à la franche camaraderie partageuse. En tête des motivations, la fierté bien placée du mâle à montrer ce qu’il a, ambiance CM2 dans les cabines de douche, concours de quequette sans risquer de se faire chopper par l’instit’ à la fin de la partie. Ici, étape supérieure, on a vu assez de bites pour ne plus se les comparer mais on joue à celui qui va la mettre la plus loin. Du «t’as vu ma bite», on passe à «t’as vu ce que je lui mets». On devine aussi le petit plaisir sadique enfin assumé, la continuité de sa propre bite dans le chibre de l’autre, la mienne n’étant que le dernier maillon, celui qui ne rentre pas, pas de bol. J’ai envie de voir le suivant achever ce que le premier a commencé (en l’occurrence, toi), se démultiplier pour pénétrer, bifler, fesser et se faire sucer en même temps, capacité d’omniscience pour donner à son partenaire un plaisir qui n’a de limite que la loi naturelle d’élasticité de sa prostate. Et moi, dans tout ça ? Quel plaisir, trouve-je à te mater, petit minet, à te faire exploser par six éphèbes, si ce n’est celui d’être à la place de l’un d’eux. Quand tu y prends du plaisir et qu’il y a un minimum de complicité, ça peut suffire au fap (là, ou là) les soirs sans Grindr. Mais pourquoi, alors, avoir besoin des autres ? Un tête-à-tête – même s’il finit à queue – suffirait.
C’est parce que je veux être l’unité et la masse, chacun d’entre eux individuellement mais aussi collectivement, que le groupe prend tout son intérêt. Comme dirait un célèbre chanteur aphone, je veux être toi, plus moi, plus eux, plus tous ceux qui le veulent. Dans ma petite culture abreuvée de porn par tous les pores, je ne peux a priori plus trouver ma petite giclée dans un banal duo que n’importe qui peut reproduire entre deux portes. C’est la quantité qui finit par faire la qualité – que celui qui n’a jamais ouvert trois vidéos à la fois zappant de la main gauche pendant que la droite bute sous le bureau me slap en premier. Stakhanovistes du cul (who’s next ?), performers cocaïnés sous anabolysant à t’en faire suinter une infirmière du tour de France, la concurrence est si énorme (cette fois, quantitativement mais aussi qualitativement) que l’orgasme ne vient que par la démultiplication. Et je me surprends à aimer te voir, centre de toutes les attentions, souillé, écrasé sous le nombre. Fussent-ils 10, 20 ou 30 face à toi (et souvent derrière), tu es au final le seul – avec moi – à avoir accompli un geste onaniste et égoïste ultime, te donnant tant et partagé par tous que tu t’es installé au centre du monde sans aucune concurrence. Suis-je en train de chercher à être à ta place ? Quelque part, oui. Tu es le gagnant de l’affaire, et c’est la place la plus enviable. Etre eux tous, c’est aussi être toi, recevoir et donner, #cumeater et #cumgiver. Ravi, repu, rempli, regardant goulument la caméra, tu as fait le job. Et là, comme un con, tu me regardes. Moi. Individu, éloigné du groupe. Parce que te voir de l’autre côté de l’écran sans avoir ma place dans la ligne de queues, c’est m’autoriser à un rapport individuel. Ce qui ne serait qu’une performance de queutard sans intérêt («oh, pourquoi pas QUE moi ? !») prend un sens. Entre toi et moi. Ta soumission au groupe ne peut se conclure que par ce regard face caméra. Pendant tout ce temps, par toutes ces coups de rein, je n’étais qu’un à te prendre, les autres n’étaient là que pour démultiplier l’acte, le faire durer, le rendre plus fort, plus long, plus intense. La scène ne trouve son intérêt qu’au moment où on a l’impression que tout ce don de toi était pour moi. Toi + moi, sans passer par la case Grégoire, direct du #fap au #wad. Je laisse tomber les tags, je reprends les maths.
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