Entretien avec Gérard Kikoïne, pionnier du X français
Un de mes premiers articles sur le Tag était dédié à « Dans la chaleur de Saint-Tropez« , un film porno vintage hors-norme. Truculence des dialogues, doublages en roue libre, scènes totalement atypiques, casting dantesque, ce film de genre avait tout pour plaire et j’ai découvert avec stupéfaction que je n’étais pas le seul à connaître ce film et qu’un noyau dur de fans vouait un véritable culte à cet ovni filmique d’un autre temps.
L’été dernier, j’ai rencontré Gérard Kikoïne, réalisateur-producteur du film, un des pionniers du X en France ayant également féraillé aux USA dans le cinéma traditionnel mais aussi dans la pub et pour la télé. Gérard est à l’image de ses films d’amour (comme il aime à les appeler), un personnage extrêmement avenant, accueillant et généreux. Nous sommes revenus avec lui pendant près de 2 heures sur son rapport au cinéma traditionnel ou non, sur sa carrière et sa vision du porn.
Tu as voué ta vie au cinéma, quels films t’ont le plus marqué ?
J’ai eu la chance de vivre une partie de ma jeunesse en plein Pigalle, rue de la Bruyère, avec 24 cinémas entre Anvers et la place de Clichy. Je voyais 120/130 films par an, dans tous les genres, western, comédie, etc… On n’avait pas la télé, donc j’allais au cinéma. Quand mes copains de classe regardaient des feuilletons, moi j’allais voir 20.000 lieues sous les mers. Un de mes plus grands chocs, c’est Metropolis que j’ai vu par hasard un soir en rentrant de chez une copine. C’était dans le cadre d’un cycle sur le cinéma expressionniste allemand, en une semaine j’ai vu M le Maudit, Docteur Mabuse, Le cabinet du docteur Caligari… Ca marque. Sinon évidemment Blow-up, Easy rider, Duel, les films de Fellini, de Kubrick. La colline des hommes perdus de Sidney Lumet. Citizen Kane, c’est le summum d’un point de vue technique et scénaristique. Welles avait dit lors d’une conférence à des étudiants en cinéma : « Pour faire un film, il faut une caméra. Si vous n’avez pas les moyens d’en acheter une, volez-là ».
Mon père avait la seule boîte de sous-titrages en France, un jour il m’appelle pour me dire qu’il avait la copie de contrôle d’un film qui pourrait m’intéresser. Ce film c’était 2001 l’odyssée de l’espace, on était 4 dans une petite salle à découvrir ce film avant tout le monde. Je suis retourné à ma salle de montage, j’étais bouleversé. J’ai découvert Jaws aussi comme ça, on avait dégoté une copie du film qui traînait dans les couloirs de la boîte, j’ai soudoyé un projectionniste et on s’est fait ça dans une salle de projo avec une dizaine de copains. C’était de l’avant-avant-première ! J’ai aussi travaillé un an avec Abel Gance en tant qu’assistant monteur, il venait aux studios tous les jours le papy, avec la gitane maïs au bec, la chapka et les pieds dans des cartons à chaussures. J’ai été évidemment influencé par tout ça, même si on est loin du hard.
Cela dit, on faisait du cinéma, pornographique certes mais c’était du cinéma, avec les problématiques de cadrage, de montage, de dialogue, etc, qui vont avec. Il y avait la censure aussi , pour garder les droits, on devait bidouiller, on avait des titres spéciaux par exemple, Octobre à Paris pour « Bourgeoise et Pute », Cache cœur pour « Chaudes Adolescentes », je peux le dire maintenant parce qu’il y a prescription. Je bossais avec des magiciens (Etienne Jourdan, un de mes chefs electro, le genre de mec qui s’est construit un hélicoptère tout seul pour ne citer que lui). Mes films étaient projetés en salle, avec un spectateur captif, à qui on doit retenir l’attention. C’est ce qu’on a perdu avec la vidéo où tu peux faire ce que tu veux pendant que tu regardes un film.
Dans le X, le travail avec les comédiens doit quand même être différent , non ?
Pour moi, tout le monde est comédien. Même si pour certains ça coinçait au niveau des dialogues. C’est là que le doublage intervient. Je tournais à l’italienne, sans le son. On n’était pas gêné par le bruit. C’était assez directif. J’avais mon film découpé plan par plan. 80% des plans que tu vois à l’écran étaient écrit dans le détail. Regarde Fellini, avec ses coproductions internationales, il avait à faire avec des acteurs qui ne se comprenaient pas entre eux, alors il donnait ses indications et il les faisait compter dans leur langue respective, tout se faisait ensuite au doublage. Moi je ne les faisais pas compter, mais je m’adaptais à la capacité de mes acteurs à jouer la comédie
Quelles différences vois-tu entre le porn actuel et celui de ton époque ?
Les acteurs mecs aujourd’hui sont des gladiateurs, avec des manches de pioche, des corps bodybuildés huilés, tatoués, rasés, ils sont là parce qu’ils arrivent à bander. Il n’y a pas de réelle incarnation des personnages. Ils prennent des acteurs avec un regard de bœuf et ils t’en font un PDG. Jean-Pierre Armand, je n’en aurai jamais fait un PDG ! Un marin, un pompiste, là oui ! A mon époque y’avait de la place pour les rouquins, les petits bedonnants… Et puis on faisait beaucoup de scènes « habillées », pantalons sur les chevilles, petites culottes écartées, etc. Aujourd’hui les acteurs sont toujours à poil. Les filles aujourd’hui se font vraiment défoncer. C’est très violent. Il y a même des triples pénétrations ! Une fille comme Liza Del Sierra est magnifique, malgré tout elle m’apparaît gâchée. Les filles ont vite compris qu’elles étaient leur propre fonds de commerce, Brigitte Lahaie a d’ailleurs été une pionnière dans ce domaine, mais ça pousse à la surenchère… Le porno de mon époque était un tout petit milieu, Alban Cerray a du faire 150 scène avec Brigitte par exemple ! Il n’y avait pas autant de jolies filles que maintenant mais on n’avait beaucoup plus de liberté sur le casting, on faisait les films en fonction des acteurs, ils pouvaient incarner de vrais personnages.
Donc tu regardes du porno « contemporain » ?
Très peu en fait. J’aime beaucoup ce que fait B. Root, même si l’état d’esprit par rapport à ce que je faisais a changé. On sent qu’il y a une intention chez lui de proposer un vrai scénario, mais pour ça il faut avoir un casting solide. Moi je privilégiais toujours les personnages au scénario. On créait. Il y avait un 1er degré (le cul), un second degré laissé à l’appréciation du public mais aussi un troisième degré avec des clés. Il y avait de vraies thématiques. Les femmes n’étaient pas soumises, elles avaient un vrai rôle à jouer. Il y a souvent des insertions d’objet dans mes films, c’est mon petit truc. La plupart du temps il s’agit d’objets ménagers (aspirateur, manche à balai, etc.), ce n’est pas anodin, c’est une façon d’érotiser l’objet et de voir les femmes prendre leur revanche.
Tu aurais voulu continuer à tourner des films X ?
Je suis arrivé dans les films de genre par pur hasard mais je me disais qu’un jour, les gens voyant mon boulot, on me donnerait ma chance dans le cinéma traditionnel et c’est ce qui s’est passé avec Lady Libertine, mon premier film non porno, un film d’époque, tourné en anglais avec un gros budget. Et il y en a eu d’autres après. J’ai seulement appliqué ce que j’avais appris dans le porno, à une autre échelle, avec des équipes de 80 personnes, des stars (Oliver Reed, Anthony Perkins, etc.).
Le porno ne t’a pas posé de problème dans la suite de ta carrière ?
Du point de vue relationnel, le porno n’a jamais été un frein, mais professionnellement c’est autre chose, ça m’a bien emmerdé dans les années 90. Fin 81, je voulais faire de la pub, on m’avait proposé un spot pour des protège-slips, personne ne voulait y toucher donc là aucun souci, j’ai même pu prendre des gens de mon équipe avec moi. J’ai ensuite tourné quelques pornos jusqu’en 82 puis après j’ai voulu faire autre chose et là ça a été dur. J’étais marqué au fer rouge en France. Ensuite je suis parti chez les Ricains jusqu’en 89. Avec eux aucun problème. Je suis revenu en France pour tourner un épisode du Commissaire Moulin, et même si ça rigolait sous cape, j’étais respecté sur les plateaux. J’ai quand même ramé, ça m’a gêné quand j’ai voulu faire aboutir des projets personnels en France, des trucs pour la télé par exemple mais sans succès.
Là où ça m’a aidé par contre, c’est dans mon rapport avec les mecs. Il y a un vrai respect du fait de ma carrière dans la direction de films porno. Et par rapport aux filles, ça a pu susciter quelques fantasmagories chez certaines.
Notre génération a connu la fin des supports « solides » et l’avènement de la dématérialisation avec le net. Toi tu as connu le passage du cinéma à la VHS, comment ça s’est passé ?
Jusqu’en 82, mes films sortaient en salle. Un Hongrois est venu me voir un jour pour acheter les droits de mes films pour la vidéo, le mec voulait monter une boutique de VHS sur les Champs. Je l’ai pris pour un allumé. C’était vraiment le début de la vidéo. Si tu voulais voir du porno, tu allais au cinéma, mais bien sûr tu ne disais à personne que c’était pour voir des films de boules. Aujourd’hui avec les dvd, la vod et internet, ça s’est tellement démocratisé. En soirée, les gens qui savent qui je suis viennent me voir et me parlent de mes films porno très librement, à chaque fois je me demande même s’il n’y a pas une caméra cachée quelque part !
Tu penses donc que la vision des gens sur le porno a changé ?
Le rapport du public à la pornographie a vraiment évolué. Depuis 10 ans, c’est validé, on est loin des années 80 où des journalistes venaient me demander si les acteurs éjaculaient vraiment dans mes films… J’ai même découvert au fil du temps que j’avais une fanbase, des gens qui apprécient vraiment ce qu’a fait Gérard Kikoïne, je me mets à parler comme Delon, tiens ! En tout cas mes films sont appréciés !
Ton meilleur souvenir de tournage ?
Ca a été un tel bonheur de tourner que j’ai du mal à isoler un meilleur moment, on se marrait tellement. Mais ce serait sans doute le tournage à Saint-Tropez, en particulier la scène où on est sur les bateaux cigarettes – NDLR : une des scènes-phare du film avec deux scènes porno en simultané sur deux bateaux lancés à pleine vitesse dans la Baie des Canoubiers. La vitesse du bateau a démultiplié l’énergie, c’était le pied, il y avait vraiment quelque chose d’excitatoire (sic) à être sur ces formule 1. A la base on avait prévu cette scène car mon régisseur m’avait promis qu’il dégoterait des bateaux mais on n’avait pas du tout le budget, ces trucs font 1.000 chevaux et bouffent énormément. Finalement le proprio d’un bateau cigarette a accepté, en échange il voulait juste avoir une des actrices (Marilyn Jess) à ses côtés, il a contacté un de ses amis qui avait lui aussi un bateau, et tout ça s’est fait à l’œil.
Et forcément ton pire souvenir ?
Je n’ai jamais eu de vraie galère. Les tournages, c’était la guerre, donc le moindre chieur giclait, il fallait qu’il y ait le plaisir de bosser ensemble, on était une famille, s’il y avait des soucis je savais que je pouvais compter sur mon équipe d’acier. Mon pire souvenir ça reste cette actrice qui est arrivée avec son ticket de métro, là on s’est regardé, on était catastrophé. Je lui ai dit « mais comment veux-tu qu’on fasse un plan sur ta chatte ?! », elle avait vu ça dans un film américain, mais moi je m’en foutais de l’Amérique ! C’est la seule fois où j’ai tourné avec une fille rasée. Désormais, les mecs se rasent aussi !
Comment expliques-tu que « Dans la chaleur de Saint-Tropez » soit devenu un film culte ?
Alban Cerray m’a dit que le film était devenu une référence à Saint-Tropez. Le premier plan du film avec la fille enterrée a beaucoup marqué, c’est d’autant plus drôle que ça a été complètement improvisé. On cherchait un truc de ouf avec Pitof pour démarrer le film. Vu que le film passait au cinéma, il ne fallait pas que le spectateur ait l’impression de s’être trompé de salle. J’ai pas toujours respecté la règle selon laquelle il fallait commencer directement par une scène de cul. Il y a même un de mes films où les premières dix minutes sont totalement safe, avec de la comédie, de l’installation de personnages, c’était particulièrement gonflé de ma part.
Ca devait être n’importe quoi les séances de doublage ?
On se pissait dessus de rire. C’était souvent de l’impro surtout quand le personnage doublé était hors du cadre, c’est dans ces moments-là qu’on a sorti les phrases les plus invraisemblables. Je récupérai des trucs du tournage, des vieilles expressions que je connaissais, tout y passait. Pour Dans la chaleur…, il y avait tellement ce côté « film de vacances », on a vraiment pu délirer.
Où en es-tu de ton projet de livre ? Peux-tu nous en dire un peu plus ?
J’ai mis au point un big book type « ma vie, mon œuvre ». Il se compose de texte et de photos. Actuellement la maquette fait 690 pages, avec près de 1000 photos, dont 350 de plateau. J’ai eu la chance d’avoir des assistants qui prenaient des photos de tournages, il y en a de vraiment géniales. Dans ce big book , j’essaye de retracer le coté complètement atypique ma carrière cinématographique, d’Abel Gance, Arrabal, Gina Lollobrigida à Alban Cerray, Marylin Jess, Sophie Favier ! Puis Oliver Reed, Anthony Perkins, Donald Pleasance et tous les autres ! J’y aborde aussi l’aspect hyper technique, commercial (j’étais producteur de 80% de mes films). L’ensemble est illustré par une superbe iconographie. Le titre actuel c’est : « Le Kiko Book » ou ‘ »Kiko X Book' » avec en baseline : Le livre CULte de Gérard Kikoïne. Je l’ai présenté à un premier « gros » éditeur qui doit me donner une réponse très vite.
Filmographie (non-exhaustive)
Photos de Gérard Kikoïne par Alice Pinta, août 2012.
bonjour
que de bon souvenir avec gerard