Une semaine sur un tournage porno avec Jack Tyler
C’était fin juin, il faisait beau et chaud, les filles sentaient bon et j’étais bien loin de m’imaginer que l’hiver allait entreprendre son terrible travail à l’autre bout du calendrier quelques mois plus tard. J’étais sur le tournage du prochain film de Jack Tyler : Jamais sans toi, première expérience concrète sur un tournage porno, à l’ancienne, avec scénario, avec une vraie équipe, comme si on s’accrochait à une traînée de comète, celle des années 90s et des pornos sur Canal.
Le pitch est celui d’une envie de threesome qui dérape en triangle amoureux, la classique frontière entre sexe et amour. Un porno filmé en plan moyen, sans artifices, ni performance, avec Jack Tyler en lointain cousin de Rohmer dans sa version explicite.
Il n’est pas mort le soleil
J’avais déjà rencontré Jack Tyler, réalisateur en marge du porn français qui considère le porno comme du cinéma de genre à part entière, qui ne diffère du cinéma traditionnel que par le côté explicite de la sexualité qu’il filme. Un type sympa, simple mais un peu décontenancé par la triste réalité de l’économie du X et par ses obligations (le titre sera finalement changé par Canal pour Jeux vicieux — très éloigné de la réalité du scénario). L’objectif étant ici est de faire un long métrage avec les moyens d’un court.
L’histoire avait assez mal commencé avec le désistement quelques heures avant le tournage de l’acteur principal, le genre de folie impossible dans le cinéma traditionnel mais qui arrive quand même dans le porno français, même pour un film diffusé le premier samedi du mois (rare vitrine porno à la télé, hors chaînes spécialisées). Attitude bien étonnante dans un climat économique plus que morose, avec un milieu passé du tapis rouge des Hot D’or à l’artisanat en une petite vingtaine d’années. Titof, en bon mercenaire qu’il est avec ses 15 ans de carrière est alors appelé à la barre pour remplacer au pied levé le déserteur dont on taira le nom.
Désistement encore plus malheureux quand on sait que tous les jours de tournage sont prévus depuis un bout de temps et le découpage précis. On a tendance à oublier que le porn ne résume pas qu’à du gonzo tourné sur un canapé avec deux mandarines posées à l’arrache. Malgré ce grain de sable dans l’engrenage, l’équipe de Jack est prête à tourner. Elle est composée de Jack Tyler à la réalisation et de Nina Roberts qui co-écrit et co-réalise le film avec lui ; d’un chef op (et seconde caméra) ; Patrick David, directeur de production et couteau suisse du porn français depuis 17 ans ; un preneur de son, qui n’est autre que le fils du Jack (qui compose également la musique de ses films depuis deux ans sous le pseudo Jeff Monheim) et une maquilleuse. En actrices, on retrouve Tiffany Doll (rôle principal), Sabrina Sweet, Lana Fever, Diogène, Arella Empusa et en acteur principal Titof. Le reste de la distribution se répartit en petits rôles de comédie et figurants, piochés dans le milieu X ou affiliés (on retrouve Rash — le mari de Nina, Rico Simmons, Rick Angel, un ancien stagiaire du Tag et moi-même si vous ouvrez bien les yeux).
« Le porno n’est pas sa priorité »
Une partie de l’équipe part à Quend plage, non pas pour le festival du film Grolandais mais pour tourner des scènes de comédie sur la promenade qui mène à la plage, où le ciel a décidé d’avoir ses humeurs, poussant à l’improvisation Jack et son chef op dans la relative bonne humeur. Titof se balade en slip, coca zéro à la main en parlant de son nouveau rôle de grand-père, Nina Roberts fait des pauses yoga et vérifie le script, Patrick arrondie les angles et ajuste les tirs depuis sa pornmobile (le van affrété pour conduire tout ce petit monde en Picardie), ça se maquille, on se promène, les filles connaissent leur texte (ce qui semble étonner le principal intéressé) et les badauds s’amusent des décolletés plongeants sans trop poser de questions. Une journée ordinaire de tournage dans un cadre tranquille, les éclaircies nous réchauffent la nuque, Tiffany et Lana marchent en maillot sur la plage, on les regarde passer au loin.
Les jours suivants mélangeront scènes explicites et comédies dans des banlieues pavillonnaires, sous des faux airs de vacances, barbecue à la bonne franquette et toujours dans un calme olympien qu’impose par sa présence Jack Tyler. La maquilleuse – dont c’est le premier tournage avec le réalisateur, mais pas avec l’équipe – me dira plus tard que c’est bien la première fois qu’elle voit une équipe aussi disciplinée et ponctuelle et Jack “devrait faire du tradi, le porn n’est pas sa priorité”. Il faut dire qu’il peut-être assez distant, quand je lui demande s’il les dirige, il répond simplement : “non, soit elles aiment le porn, soit tant pis”. Il a une relation assez personnelle avec les actrices, pas dans le sens pervers, mais une vraie relation amoureuse et platonique, elles l’inspirent ou non, et ça se ressent sur le plateau. Quand il ne se passe rien, il est en est presque absent mais quand la scène prend, il nous demande de partir.
Passer de l’autre côté de l’écran
C’était la première fois que j’allais sur un tournage porno, que ce soit dans un cadre libertin ou sur un plateau de ciné, voir des corps se pénétrer ne m’attire pas plus que ça, peut-être par timidité, ou à cause de l’ambiguïté de se retrouver à côté de bites et de chattes d’inconnus sans l’idée d’en faire quelque chose avec. Également la peur de passer pour un voyeur – ce que je ne suis pas – bien que me retrouver dans des endroits interlopes fasse partie de mes petites excitations.
Mais à cause de ma gueule du type qui se demande ce qu’il va bien pouvoir se passer dans la seconde qui suit et lorsque la première scène hard s’apprête à être tournée, la séduisante Nina Roberts vient me voir et m’explique un peu comment ça va se passer. “Au début tu vas trouver ça un peu étrange, puis très vite ça va devenir naturel, c’est assez chirurgical le porn, pas du tout excitant” et effectivement, passées les 5 premières minutes d’étonnement, on s’y fait très vite, on baille presque. A moins d’être un sacré pervers, ou d’être un fanatique de porno comme on peut encore en croiser dans les salons érotiques ou au rayon pique-assiette des rares rendez-vous porno français, il est tout bonnement impossible d’être excité sur un plateau de tournage. C’est à la fois ce qu’il y a de plus sexuel et cru et de moins excitant.
Le film est scénarisé, filmé à deux caméras, on s’arrête tout le temps pour changer d’axe, pour diriger, pour ajuster, pour plein de petits détails qui font que pour une scène de 15 minutes à l’écran, il faut en moyenne 3-4h de tournage. Sans oublier la version soft (souvent une affaire d’angle de vue) vendue aux autres chaînes du groupe Canal qui doit être tournée en parallèle. C’est long ; surtout quand on est simple spectateur, même si les blagues de Titof, les seins de Sabrina, les anecdotes de Nina et la bonne humeur de Tiffany font passer le temps.
Ainsi se profile à l’horizon la hantise du journaliste en dehors du cyber-terrain : se retrouver face à la normalité, sans anecdote, sans personne qui s’engueule, défonce le plateau ou fasse une overdose entre deux prises. Pas de piqûre, pas de Viagra, pas de De La Villardière ; du travail manuel, du lub et des capotes XL à qui on donne un coup de dents avant de la mettre pour éviter que la base sert trop. Sinon, je suis allé chercher en caisse le vibro de Tiffany Doll chez elle… Hey, cool story bro’.
Le porno est un film comme les autres
Quand on passe plusieurs jours sur un tournage porno, on s’interroge beaucoup sur le porno en lui-même, la notion d’excitation et la façon d’en tourner. Tout paraît trop maîtrisé pour être véritablement excitant, ces galoches à distance qui taisent la passion, ces prises qui durent rarement plus de 5 minutes et aussi cette décontraction des acteurs et actrices qui – dès qu’ils peuvent – déconnent entre deux prises. Le porno se résume-t-il à filmer des rapports sexuels ? Je me rappelle cette interview de Katsuni où elle me disait qu’un bon porno devait faire bander les techniciens. De mon côté, pas le moindre début d’érection, l’escargot bien rangé dans sa coquille. Est-ce l’effet d’un mauvais porno ? Non, juste une vision différente de la pornographie, plus un genre qu’un effet, où la psychologie joue plus que le rapport sexuel en lui-même.
Mais tant que nous ne sommes pas à la place du réa, difficile de se faire une idée objective du résultat, nous ne sommes finalement que témoin de la scène et non spectateur du premier samedi du mois. Puis le cinéma de Jack Tyler, n’est pas à proprement parler du porno comme on en a l’habitude d’en voir, pas de gros plan, pas de cumshot, juste des corps qui s’aiment dans un contexte scénaristique logique — on est très loin d’un porno simplement masturbatoire.
Alors je me balade, je discute, j’écoute, j’essaye de comprendre cette machine qui au final nous amène à jouir. Une chose qui me marque rapidement est l’idée de famille autour du x français. Tout le monde se connaît, semble s’apprécier (ce qui n’empêche pas la méfiance et les ragots, avec Facebook comme café du commerce) et se retrouve ensemble pour manger, dans une ambiance conviviale proche de celle d’amis en vacances avec un meneur de troupe en la personne de Patrick David, directeur de prod à l’efficacité redoutable et à la maîtrise de la cuisson de la côté de boeuf indéniable.
Une famille regroupée autour d’un Jack Tyler distant car concentré sur son film et ses détails, sur son travail de réalisateur, autant concerné par la comédie que par les scènes explicites, avec un oeil attendri qui ne cherche pas la perversité, mais les rapports amoureux dans l’artificiel. Qu’est-ce qui différencie un tournage porno d’un tournage classique ? Rien, si ce n’est de temps en temps un sexe qui se trimballe, une actrice qui joue avec son dildo entre les scènes et des phrases comme : “bon bah je vais faire mon lavement à l’eau froide, c’est pas grave” qui s’échappent de la chambre d’un particulier improvisée en loge. Parfois, une scène marque plus qu’une autre, ce fut le cas avec Diogène (lectrice du Tag pour l’anecdote), comédienne se lançant dans le porn avec sa fraîcheur et son innocence, la touche amat’ qui bouscule le ronron d’une scène porno ; ce paramètre du réel si important dans l’excitation.
On s’habitue aux faits divers, on oublie la normalité
Témoigner de la normalité d’un tournage porno n’est pas une chose aisée, l’envers du décor étant seulement constitué de professionnels, de câbles et de contrats à signer. Mais aussi de rires, de textes répétés, d’anecdotes qui n’ont pas d’importance, de discussions sympathiques et enrichissantes avec Nina Roberts en apôtre de la méditation, ou Titof aux mille histoires racontées avec cynisme. Voici le porno français – du moins sous l’influence de Jack Tyler – une petite famille, des artisans qui font leur travail simplement, proprement, sans faire de vagues, avec sérieux et respect.
Loin d’un gonzo où le besoin obsédant de réalité s’affranchit le plus souvent de réalisation (puisque c’est l’absence de scénario qui crée le genre et non sa supposée violence), le cinéma de Jack est alternatif et n’existe finalement qu’à travers son regard. A mi-chemin entre le cinéma érotique où il a fait ses classes et le porno qui l’attire sans vouloir s’y contraindre, Jack Tyler propose une pornographie différente, plus distante et sensuelle. Une pornographie qui se regarde sans agripper son sexe, à contre-courant.
Jeux vicieux sera diffusé samedi 6 avril sur Canal + à minuit après le Journal du Hard.
Photos (hors Instagram) par © Guilhem Malissen
Y a qu’un seul mec à la caméra, c’est ce qui m’attriste le plus. Si on prenait le temps de chiader l’image, on ferait tout monter d’un cran.
Non ils sont deux, relis le début héhé (il veut juste pas être pris en photo).
le soundcloud de jeff monheim se laisse tranquillement écouter.
bonjour
l’acteur principal qui ce désiste il faut le laisser chez lui la prochaine fois
ça aurait était inconcevable sur mes tournages.
quelle honte pour lui