Le tag a tué mon fap
C’était le bon vieux temps, au début du tag, au réveil du porn, quand l’écran était plus profond que large, que les claviers avaient des fils, le sopalin une seule couche. La masturbation était une découverte entre potes, le soir devant l’ordi, lumières éteintes, de liens foireux en vidéos étranges. Depuis, le #tag a ruiné mon #porn en traçant un chemin unique et obligatoire, pas dans les tubes, mais dans LE tube, celui, bien droit, qui m’emmène directement à mon #fap fantasmé, voulu, recherché, mais réducteur. Affadie, ma petite giclée, oublié, le plaisir de la surprise. Trop de tags a tué le cul.
Car oui, il fut un temps, pas si lointain (j’y draguais sur le chat « entre mecs » de Voila et, n’étant pas farouche, je finissais par te laisser mon Caramail) où mon tag se résumait à #sexe #gay dans une barre de recherche Lycos. Va chercher. Je me laissais alors glisser sur les pentes doucereuses de mon modem 56k, ma mère gueulait parce que la ligne téléphonique était coupée, mais doucement, lentement, vers l’inconnu, je découvrais (au ralenti) de nouveaux plaisirs inattendus, traçant ma voie (lactée) sur un coin de bureau. Le travail manuel durait, parce qu’il fallait fouiller, chercher, sur les quelques sites spécialisés où tout était en vrac. Du cul sur la toile plutôt que sur la commode, c’était si nouveau que nous n’avions pas l’audace d’être exigeant.
Et puis est arrivée « la niche ». Pas encore le dogtraining, à quatre pattes bois dans ta gamelle et viens prendre ton coup de martinet, mais « le site de niche », quand le magma du porno Internet est devenu purulent et que l’internaute s’est permis de demander son fantasme immédiat. Il était – à l’époque – même prêt à payer pour ça. La génération Y est devenue la génération steak haché, sans préliminaire, prémâchée, parce qu’on savait ce qu’on voulait : tout, tout de suite, y compris en termes de porn. On fapait chacun dans sa catégorie. Comme à la boxe, il y avait du léger, du super léger et du poids lourd, on ne mélangeait pas les torchons et les tapettes.
Que l’internaute veuille du #bear, du #minet, du #twink ou de la #GymQueen, il voulait pouvoir choisir, commander son fantasme immédiat. Si ce soir, je voulais un minet, je l’avais. Le lendemain, il aurait peut-être la tête de François Sagat, mais là, tout de suite, je savais que je pouvais le trouver. Avec une simple addition dans Google ou un menu déroulant assez complet.
Puis le tag s’est précisé. Le minet ne suffisait pas, je voulais du minet gourmand. Imberbe. Dans un #threesome. Et aujourd’hui, le minet (tiens, avec une #crête pour changer) imberbe qui se fait remplir #bareback comme une outre, si je le veux, je le trouve. Il ne faut que mon désir, Google Translate et une seule main pour taper sur le clavier. Le plaisir est évident. Immédiat. Simple et sans surprise. Un petit tour sur GayMaleTube me propose pas moins de 800 catégories. Du plombier sous l’évier (tu la veux ma clef de 12, hein, tu la veux) au plan médieval (cheap) et – pourquoi s’embarrasser d’une éthique – un bon vieux plan clodo. Du gangbang de teuton à queue de cheval ? Il n’y a qu’à demander. Et même, pourquoi pas, des vidéos taguées pizza (sauce blanche) et gynéco. Les pieds sur l’étrier, on frôle l’hétérosexualité refoulée. Viens voir le docteur non n’ai pas peur, me dit l’écran de mon iPhone quand je veux me la cogner contre le lavabo.
D’ailleurs, même si perso un mec qui se fait crapahuter sur un coin de lavabo pourrait me titiller le pistil, l’ultracatégorisation n’est pas encore complète. Si je préfère qu’il soit filmé cradingue par la caméra d’un voyeur plutôt que par un (mauvais) réal de porno, je n’ai qu’à cocher une case de plus. #Voyeur + #toilet + #FastFuck, emballez c’est giclé. Et c’est mon grand drame ma bonne dame. Finies les découvertes surprenantes, les bonnes poilades entre couilles sur d’étonnants phénomènes de foire, et le suspens de la petite vidéo qui se charge sans savoir si elle sera celle qui nous déchargera.
Catégorisé, classifié, mon orgasme se fait sans surprise, par cases, sans ce petit frisson inhérent au doute qu’entretenait chaque loading de page. J’ai eu mes premiers émois ainsi, parce que je découvrais, oh miracle, que oui, ça pouvait se faire #outdoor, en #jogging ou en #jockstrap, menottes aux poignets et deux mecs à trimer, sans même savoir que ça pouvait exister. Mais le retour en arrière est impossible, mes signets sont enregistrés, mes catégories préférées mises en avant. Et chaque soir où je cherche un plan #abattage, je passe à côte de mille paisirs simples et inconnus, juste parce que je n’aurais pas pensé à taper #cute #gay.
Lycos, tu me manques.
Superbe article, nous consommateur de sexe par video avons crée un monstre, par l’intermédiaire des sites . Au final nous avons enlevé toute excitation.. Ca résume bien la frustration de la recherche de cette petite pépite .