Aufgang : « Ce mélange hybride, c’est ce qui nous représente »
Les gars d’Aufgang, trio réunissant les pianistes Francesco Tristano, Rami Khalifé et le batteur Aymeric Westrich, viennent de sortir leur second album Istiklaliya chez InFiné. Cassant les codes du classique, plongeant la tête dans l’électronique, tout en se donnant plus de liberté en studio, Aufgang revient avec un album plus organique, plus vivant et théâtral. Pour réaliser le clip de Kyrie, ils ont fait appel à John B. Root, c’était donc le bon moment pour nous d’aller rencontrer Rami et Aymeric autour d’un café et leur parler de porn.
Vous sortez le clip de Kyrie, vous pouvez nous en dire plus ?
Aymeric Westrich : On a fait ce clip avec John B. Root, on avait envie d’une espèce de messe. John voulait faire autre chose que du porno, et nous on voulait quelque chose d’un peu moins sage que ce qu’on fait d’habitude ; je pense que l’équilibre est assez bien trouvé.
Rami Khalifé : On n’avait pas vraiment la main mise sur les derniers clips qu’on a fait, on n’avait pas vraiment notre mot à dire. Ça c’est notre projet.
A : Au départ, on voulait un truc à la Blade Runner, un peu mégalo, avec 30 gonzesses autour de nous, mais John a estimé le budget à 600 000 €, donc ça n’a pas pu se faire. Mais il a pu avoir toutes ces filles : Jasmine Arabia, Paloma, Angell Summers, Electre… On se disait qu’en arrivant sur le tournage on allait faire ci et ça, puis on est arrivé surtout en disant « bonjour madame ». Le X n’est pas vraiment notre milieu, mais les filles sont toutes super cool, donc on s’est un peu détendu par la suite et c’était une super expérience.
J’ai rencontré John par Jérôme, notre manager, qui le connaissait. Dès le premier rencard ça a été un coup de cœur : c’est un mec cultivé, qui écoute plein de trucs, et ce qui nous a décidé c’est qu’il connaissait Aufgang et qu’il avait vraiment envie de faire quelque chose avec nous.
Le porno, c’est un sujet qui vous intéresse ?
A : Franchement, je ne sais pas. On connaît les sites, mais c’est plus du domaine du « hub » : PornHub, YouPorn, NudeVista… On a des potes à Brooklyn qui sont très très pointus niveau porno, et c’est eux qui nous donnent les adresses. Il y avait aussi un autre site, SnakesWorld, une espèce d’agrégateur qui t’envoie vers d’autres sites, les Tube8 et compagnie.
Qu’est-ce que vous regardez, du coup ?
A : Quand j’en regarde, c’est souvent Rocco, c’est un tueur. La dernière vidéo que j’ai vue : il est comme d’hab’ à Saint Petersbourg et il amène deux nanas chez deux autres mecs, des bourrins – c’est assez effrayant. Ce que j’aime bien aussi, c’est les femmes seules, la masturbation féminine. Je crois ne jamais avoir vu un film porno en entier : ce que j’aime, c’est les premières scènes, les préliminaires, le contexte. Je ne crois pas être fan de porno, mais je suis un consommateur plus ou moins régulier, suivant si je suis en tournée ou pas, si je suis avec ma femme.
C’est difficile de parler librement du porno, c’est très intime.
Et le fait de faire un clip avec des actrices qui viennent du X, il y a encore un côté subversif ?
R : On avait des clips qui étaient plutôt sages, mais un peu contre notre gré puisque broyés par la machine qu’il y a autour de nous. On a plus de liberté artistique et je pense que c’est aussi un rapport à notre image : deux pianos, une batterie, pour les gens « ordinaires », c’est pas forcément une formule qui va plaire tout de suite. Le piano est un instrument qui a 300 ans, il porte tout un héritage, cette image de grosse bête imposante qu’il y a dans le salon, qu’on peut difficilement apprivoiser.
Par notre musique, on a essayé de casser tout ça, de montrer aux gens qu’on pouvait être au goût du jour, faire une musique très neuve, presque rebelle, voire révolutionnaire par rapport à l’esthétique de notre formation. La pop, c’est juste une influence : on n’a pas l’envie de plaire, mais de populariser nos instruments, montrer d’où on vient. On s’est connus au Conservatoire, endroit on ne peut plus fermé. Cependant, même au Conservatoire, on était déjà les aliens du cursus, et Aufgang est un peu l’extension de tout ça.
Faire un clip avec 18 filles à poil et y voir des pianos, je ne crois pas que ça a déjà été fait. C’est quelque chose de très nouveau et ça nous plaît, comme tout ce qui est nouveau et différent. Il y a d’autres aspects que le sexe : il y a un truc sexuel, mais on touche aussi à la religion, à la messe, à plein de choses. Ce mélange hybride, c’est ce qui nous représente.
Dans l’album, il y a un côté théâtral, épique. Vous aimeriez travailler davantage l’image, ce côté cinématographique ?
A : On adorerait. Il y a un morceau, Abusement Ride, pour lequel on avait la base mais pas la structure. On l’a fait en s’imaginant un scénario : un petit garçon qui irait sur un manège ; on a construit le morceau à partir d’images. Aujourd’hui, l’image, c’est quelque chose de très fort : il y a des groupes dont je ne citerai pas le nom qui ont une image extrêmement forte mais leur musique ne l’est pas. Les gens les adulent pour l’image plus que pour leur musique. Quand je dis que l’image est importante pour nous, ça va au-delà de la musique à l’image, ça va au-delà de la musique de pub pour la dernière Renault ; ce qu’a eu la chance de faire Kavinsky pour Drive, ce genre d’atmosphère.
Et faire de la musique pour un porno ? Sans parler d’un film entier, mais une scène ?
A : Ça serait plus du domaine de la synchro. Si John nous demande par exemple de prendre un bout de quelque chose pour un de ses films, je pense qu’on dirait oui, mais pour n’importe qui, non. Ou alors un porno-chic, comme 9 Songs, qui sur le papier avait l’air bien (seulement sur le papier, ndlr). Ce qui est incroyable avec le porno, c’est que je suis sûr et certain que j’en regardais plus quand ça m’était interdit que maintenant. La différence, c’est l’interdit.
R : Aujourd’hui tu as Internet : avant tu devais attendre minuit, là tu vas sur n’importe quel site, tu cherches ta vidéo et tu l’as, il n’y a plus ce danger, cette quête.
A : Chez moi, je n’avais pas Canal +. Je me souviens que j’allais chez un pote, qu’on mettait une K7 qu’on programmait en faisant attention à ce que ça ne fasse pas de bruit et quand on regardait le lendemain on se rendait compte qu’on avait enregistré le basket. Ou alors on se levait tout doucement la nuit, mais c’était vraiment l’itinéraire du combattant. Si tu te faisais griller, c’était la scène de la chaussette dans American Pie !
C’était doublement, triplement plus excitant que d’aller chercher un truc sur Internet. Ce que j’aime dans le porno, c’est cette nostalgie, celle du danger d’aller chercher le truc.
On ne peut pas retrouver ce danger dans certaines scènes, des fantasmes que tu n’aurais pas forcément essayé ?
A : Les trucs latex, cuir, les mecs qui se mettent des trucs, je ne supporte pas. Ce qui passe le malsain me dérange vraiment et du coup je ne regarde pas, parce que ce n’est pas ce que je recherche quand j’en regarde. Je préfère voir une belle fille, un truc un peu érotique, un peu sensuel, où tu peux encore t’imaginer des choses. Quand tout est imaginé, tout est montré, l’effet est moindre. Je préfère avoir ce côté, comme dans un livre avec lequel tu te crées plus d’images qu’en allant voir l’adaptation au cinéma.
R : Personnellement j’ai toujours préféré l’érotique au porno.
A : C’est pour ça que je dis que je préfère le début des scènes. Après il y a Rocco, mais c’est vraiment le plus extrême et en fait, c’est pas plus excitant que ça.
Photos par Aksel Varichon
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