Ronald, roi du porn
S’il n’y avait pas cette mode récente du burger – non non, pas le hamburger, dites juste « burger – beaucoup d’entre nous, qui ont pour certains une culture culinaire moyenne (et je reste poli) se figureraient encore que le sandwich rond est une invention du Roi-malgré-lui de l’obésité morbide, Ronald Mc Donald. Car oui : il a beau avoir repeint ses enseignes en vert et mis des portions de fruits dans ses « Repas contents » (traduction libre) pour enfants, c’est toujours lui et ses petits camarades qu’on accuse de faire grossir nos adolescents, en plus de les installer dans une inculture de la gastronomie.
Mais bref, foin de cette acrimonie.
Ronald est pas con. Ronald aime les internets, il s’y promène avec délice, il y cache malicieusement des pubs (mais hé, tout le monde le fait), il scrute la tendance. Et quand il en flaire une bonne, juste assez mainstream mais pas trop quand même, il s’engouffre dans la brèche. Ronald, l’air de rien, f(r)appe un grand coup : même si David Leclabard, directeur général de TBWA Paris, qui a conçu cette campagne de publicité, expliquait pudiquement dans le Figaro que « nous nous sommes aperçus que ces produits font à eux seuls office de signature », les amateurs du genre ont parfaitement l’essence même du FoodPorn : du gras, du dégoulinant, du trop-près ; on y est.
Tout a commencé au début de l’été par une maligne campagne d’affichage. En gros, en grand, des strates de burger vues de très près, mais sans les explications chiantes d’un musée de géologie. Plus loin et parsemé de pralin, l’érection glacée d’un sundae (rappel flou d’un autre vestige marketing, la vraie-fausse glace dite « à l’italienne » mais fabriquée dans la Somme).
Plus tard, c’est dans les magazines qu’on s’est à mis à découvrir, en pleines pages, des gros plans plus photoshopés qu’une actrice de seconde zone promouvant de l’antirides. Des frites si massives, si énormes qu’on ne sait plus si elles doivent inspirer, via l’excès qu’on connaît au Food Porn et qui nous est si cher à son évocation, une supposée gourmandise ou le génie français de Colbert créant une futaie de chênes à Tronçais pour fournir l’industrie navale.
Pour conclure, la pub télé qui boucle la boucle : un con feuillette un magazine, tombe sur la publicité papier, et finit par se lécher les doigts – avènement du goinfre qui n’est plus un gourmand et qu’on a privé de fourchette, de serviette et d’éducation.
Ronnie fait tout cela sans logo, sans marque, sans nom, avec une triple-cible.
Il y a d’abord ceux qui connaissent et donc, reconnaissent – un faux Vuitton d’un vrai, la vanille de l’arôme vanille,… et donc, un burger en particulier plutôt qu’un archétype général. Il y a fort à parier que ces gros plans ont affolé les amateurs de la marque, ou les ont conforté dans leur choix de longue date.
Il y a ceux qui honnissent la marque et ses produits – au hasard, moi – qui savent pertinemment, sans être consommateur, de quoi il retourne : alors donc, à ceux qui connaissent, le plaisir (ou le dégoût) de reconnaître ; à ceux qui ne savent pas, la surprise d’aller découvrir – avec toujours le risque de la déception d’une campagne publicitaire quelque peu mensongère.
Troisième cible : ceux qui s’en foutent, mais qui ne sont pas dupes. MacDo fait du porno alimentaire en nous montrant du manger supposément immédiatement appétissant, mais il n’y a que ceux qui savent depuis longtemps ce qu’est le foodporn pour voir le lent écoulement des internets vers le mainstream : le geek n’est toujours pas chic, pour paraphraser Anna Wintour, mais il fait vendre à ceux qui ne le connaissaient pas encore cette manœuvre. Ou comment, alors qu’on léchait l’écran devant un tournedos Rossini luisant de foie gras, on tente de nous coller à une affiche de crème glacée aux additifs.
Bien tenté, Ronnie. Mais tu ne m’auras pas.
Vous avez remarqué ce rocher en forme de pénis sur le panneau publicitaire de la troisième pub vidéo ? C’est pour ça qu’il ferme la bouche ? 😉