JESUISVENU.COM : ça emballe à Montréal
Jesuisvenu.com est, selon ses auteurs, « un site web de nouvelles érotiques mises en image par des illustrateurs de la relève. C’pas de la porn, des fois c’est doux, des fois c’est trash, des fois c’est juste sexy, mais c’est toujours bandant. » Depuis son lancement le 15 novembre, le site propose déjà quinze nouvelles écrites par onze auteurs différents et la parité, six filles et cinq garçons, semble de rigueur. Ce collectif d’auteurs et d’illustrateurs est dirigé par les Québécois Sophie Dupuis, 27 ans, et Eric K. Boulianne, 28 ans, et la Franco-Québécoise Marie Salvado, 34 ans.
Scénaristes de formation, ils se lancent un soir de party le défi d’écrire des nouvelles érotiques. L’idée est née, celle d’un autre temps d’écriture que celui du cinéma qui met en branle une machine longue et fastidieuse, celle aussi de proposer des textes dans lesquels chacun se retrouverait, sans le côté fake du porno habituel, avec cette valeur ajoutée artistique qui lui manque encore cruellement. Chaque auteur est affublé d’un pseudonyme fleuri et d’une photo de sein ou de téton, histoire de se dévoiler un peu tout en gardant l’anonymat. Pour autant, le site n’est pas un déversoir à plans culs et ne prône pas la vision du sexe-performance. L’approche analytique à chaud qui fait part grande au ressenti émotionnel et à la psychologie des personnages rappelle les Sex Reviews de Butt Magazine à la différence notable que Jesuisvenu propose des textes de fiction. Chaque histoire, outre l’anecdote de départ, possède un impact visuel fort agrémenté d’une illustration, et sert à évoquer le sexe de façon sincère, intime et décomplexée, permettant, grâce à un travail de recherche stylistique et formelle qui excite l’imagination, d’aborder des sujets comme le voyeurisme ou l’homosexualité. Loin des clichés français sur son cousin outre-Atlantique, à base de rideaux de viande et autres visions désexualisantes, le Québécois, dans une subtile soupe de langues poétique, provoque l’émotion et l’excitation et nous fait réfléchir quant à notre conception personnelle du sexe.
Cette chronique de la sexualité d’une génération évoque aussi avec pudeur ses maux dans un contexte socio-économique plus qu’incertain, et ses interrogations légitimes dans une société de consommation où le sexe est devenu une denrée accumulable comme les autres. La facilité de se retrouver nue avec un inconnu clashe avec la peur de lui ouvrir son cœur, l’hypercommunication virtuelle avec celle des difficultés voire du refus de parler avec quelqu’un avec qui on veut pourtant baiser.
Dans Monte. Descends., un garçon, dans son appartement, et une fille arrivée devant chez lui, s’apprêtent à se retrouver pour baiser mais chacun refuse de faire le dernier pas. S’ensuit un échange de sextos détaillant ce qu’ils veulent se faire, comme pour exciter le désir de l’autre et le forcer à céder. Dans une sorte de joute verbale très chaude et drôle, mais blasés tous les deux, ils ne parviennent pas à s’entendre et chacun campe sur ses positions avant de finir par céder en même temps. La fille monte, le garçon descend et on peut donc les imaginer se manquer une nouvelle fois et rejouer la scène dans des positions inversées.
Dans une autre nouvelle, une fille interroge son désir, presque mué en entité pensante et libre de ses mouvements, qui la pousse à vouloir recoucher avec son ex, alors qu’elle voudrait le haïr pour mieux l’oublier. Elle lui propose par texto de baiser sans dire un mot, donnant ainsi son titre à la nouvelle. Ici se joue l’idée du sexe et de l’absence de communication verbale qui rejoint celle de baiser avec quelqu’un sans même éprouver le besoin de connaître son prénom, du sexe comme outil de communication suprême, voire le seul outil véritable qu’ils nous restent pour communiquer, qui, dans le dévoilement des corps et la nudité, fait affleurer l’être, sans le parasitage des mots.
Dans Sang de Sucre, la narratrice nous explique avoir « l’impression qu’une fois qu’on jouit avec quelqu’un c’est comme un secret qu’on lui a livré. (…) Jouir avec quelqu’un pour moi c’est comme une sorte de passe-droit. » Le sexe comme un sésame, la seule clé à l’autre dans une sorte de bulle suspendue hors du temps et de l’espace, dans laquelle l’identité ne fait plus vraiment sens, tant la chose est éphémère et belle, et dont il faut jouir avant qu’elle n’éclate, comme le décrit Guedoune dans Maud Dekkers :
C’est ma première de ta race, que je pense la face dans la tulipe de ton sexe. Tu viens de Hollande, right? Comme si ça avait de l’importance au fond d’où tu viens, où nous sommes, alors que tout se mélange dans la fusion des matières, de nos corps, de notre graisse, de notre beurre de backpacker crasse, comme des nachos au fromage jaune dans l’micro-ondes.
Jouir du moment présent, par peur du futur, par peur de grandir, de s’attacher aussi, et être tout pour l’autre le temps de quelques heures en adoptant une pose ou un rôle. Baiser sans connaître, parce qu’au fond, on sait bien que l’on ne pourra jamais connaître l’autre aussi bien que soi sans baisser la garde et devenir ainsi vulnérable et s’exposer à la souffrance.
« I… I think I want to marry the shit out of you. »
Ça sort tout seul de ma bouche. (…) Je ris semi-certain de comment ça sonne. J’ai peur de te faire peur, là dans le noir traitre qui tue… (…)
Je sais qu’on ne se mariera jamais. Mais tu fais comme si. On l’aime notre histoire qui s’peut pas. On s’fait une vie complète de la nuit à nourrir le mythe de nos promesses, cette bébitte-là, jusqu’à s’qu’on sorte d’icitte, que nos trails se split le jour où tu me quitteras sur le pouce, les cheveux dans face, pas tuable et pour toujours dans l’atlas des vies que j’aurai laissé partir dans cicatrice des crossroads. Mais pour l’instant, nous faisons comme si…
Cette peur de souffrir, qui n’est pas propre à notre génération, mais que nous avons appris à gérer tant bien que mal en assumant le fait de faire des plans culs, offrant une vision du sexe décomplexée, comme détachée de tout sentiment, se retrouve au fil des nouvelles, notamment à la fin de Sang de Sucre dans lequel la narratrice, après un plan cul parfait, recouche au réveil avec le mec, et sentant que le sexe devient prétexte à aller plus loin, préfère ne pas donner suite.
Le lendemain, au réveil il était vachement beau, ça m’a pincée. On a baisé, de nouveau, plus calmement et c’était aussi le fun, ça m’a surprise. Lui aussi. On se l’est dit. Il a rapidement proposé d’aller déjeuner, avec un putain de sourire qui m’a serré la cage thoracique. Fuck. J’ai refusé froidement, j’étais sèche, j’étais conne. Je lui ai presque dit que j’aimerais mieux qu’il dégage. Il était surpris et devenait inexpressif et il était quand même encore beau et brun. J’avais déjà peur de penser qu’il était possible que ce type m’émeuve. N’importe quoi. Impossible, mon cœur s’était beaucoup endurci cette année, j’avais bossé sévèrement le sujet et les dossiers d’une rencontre d’un soir. En tout cas cette fois, j’étais troublée, fait chier. Mon cœur, je voulais plus que quelqu’un y touche, alors je l’ai regardé rapetisser par la fenêtre de ma chambre et tourner le coin de rue. Il y avait la trace de mon cul sur la fenêtre comme un fossile de cette nuit là. Pourquoi n’étais-je pas allée déjeuner avec lui. J’avais sûrement bien fait.
Dans la baise sans lendemain, se trame aussi l’idée que le moment vécu ne pourra jamais plus être le même, une vision moins pessimiste et cynique qui veut que l’extase atteinte ne saurait être retrouvée, non pas par lâcheté ou par peur, mais parce que ce moment de sexe est mémorable dans la mesure où il est unique, et quand il en devient sublime, il faut savoir le chérir dans l’espoir de le revivre à nouveau avec quelqu’un d’autre, comme dans la nouvelle Groβer Stern dans laquelle le narrateur vient de faire l’amour à un ange :
Seul chez moi dans mon salon, je repense à cette nuit passée ensemble. J’ai touché quelque chose de divin. La revoir m’est impossible. La vie ne sera plus jamais la même. Désormais, je ne peux qu’espérer. Espérer qu’il y en ait d’autres comme elle, ici, là, partout, pas seulement au Groβer Stern…
Se réapproprier le sexe par l’écriture, c’est aussi mettre en mot ce langage du corps, mettre en scène son propre corps dans des images pornographiques créées de toute pièce pour la jouissance de son partenaire et donc de soi, images mises en abymes qui provoquent à leur tour l’excitation du lecteur, créant un reflux de désir pour soi, comme une jouissance différée et magnifiée par le souvenir. C’est aussi quelque part travailler les lignes de l’exhibition et du voyeurisme que les auteurs de Jesuisvenu.com évoquent volontiers.
Ainsi, dans la première nouvelle que j’ai lue, Entrouverte, une fille se fait prendre par son copain allongé derrière elle, sous les yeux du colocataire de ce dernier qui finit par se masturber devant elle. La narratrice évoque la sensation d’un plan à trois dans lequel le colocataire ajouterait sa vigueur à celle de son copain, comme une sorte de double pénétration à un seul membre, sorte de rêve érotique partagé par trois personnes mais dont les points de vue sont chamboulés. Son copain fait l’amour à la narratrice sans ne rien voir de ce qui se passe entre son colocataire et elle, la fille a cette sensation que son plaisir s’en voit redoublé, observe et encourage le colocataire lui faire l’amour à distance, et le colocataire, dans cette sorte de position tantrique, se substitue à son copain, se projette en lui pour la faire jouir, elle qu’il regarde et qu’elle regarde.
Dans d’autres nouvelles, notamment Vous qui aborde la rencontre charnelle entre une femme et deux jumeaux avec qui elle était amie enfant, la force du désir est tel qu’il prend le pas sur les convenances et que les personnages se retrouvent à faire l’amour où qu’ils se trouvent, devant un motel ou dans la cuisine d’un appartement, peu importe s’ils risquent de se faire surprendre. Le désir n’attend pas et au diable les autres. Une phrase de la nouvelle Tricher c’est aussi gagner résume bien le propos : « Si j’te vois pas, t’existe pas! » On comprend ainsi que dans le désir, tout est affaire de regard, de qui regarde l’autre, de ce que l’autre accepte de montrer de soi, comme dans ce passage de Vegetable Girl dans lequel une fille se masturbe avec un concombre sous les yeux de son copain :
Il regardait le légume disparaître puis réapparaître entre les jambes de sa copine. Ça l’excitait. Il s’approcha du lit pour mieux voir les allées et venues du concombre. Le regard de son copain sur son sexe l’excitait beaucoup. Ce n’était pas la présence du concombre dans son vagin qui lui procurait ce plaisir, mais l’image érotique qu’elle créait avec son propre corps. Une image pornographique juste pour lui.
La multiplication des auteurs est telle que points de vues masculins et féminins se mélangent dans les nouvelles. Certains garçons s’essaient au point de vue féminin, et inversement, et la marque du genre se retrouve presque gommée. Dans Si j’étais un mec, Sherifa Tarasse fantasme l’homme qu’elle aimerait être, sa façon de choper une fille et de la baiser, et conclut que si elle était une fille, elle se laisserait avoir par son moi garçon. Dans Voiture mouillée écrite par l’auteur Branle Manche, la narratrice, nouvellement femme fontaine, se répand sur les sièges de son amant infidèle et marque en quelque sorte son territoire par sa jouissance visible, par son éjaculation féminine, s’empare du pouvoir, s’auréole de fierté, et jette ensuite son amant qui se moquait bien qu’elle ait joui ou non. Dans cette abolition des frontières, et dans cette célébration du désir, la majorité des nouvelles traite de sexe hétéro, sauf N°25 Rouge Flirt Alerte, qui relate de la rencontre entre deux filles, mais les responsables du collectif m’ont assuré de la pluralité des sexualités à venir.
On retiendra de cette initiative qu’elle permet d’apprécier la langue québécoise à sa juste valeur, dans sa poésie et dans l’humour qu’elle permet de véhiculer, et que sous couvert de parler de sexe, on en revient toujours aux sentiments, à l’amour, à la peur de finir seul car une fois que l’on est venu, où va-t-on ?
Illustration en une par Véronique Côté
C’est des fois juste illisible avec leur accent à l’écrit ^^
Mais c’est sympa quand même!!!
Chouette découverte, merci !