Necroporn : tête-à-queue avec les morts
Tout vogue tranquillou dans le porno. Il y a quelques soucis, c’est vrai, quelques séries noires, mais au fond tout va plutôt bien. MindGeek compte ses milliards de pages vues par mois, Vivid fait son petit marché avec la culture mainstream. En marge, les indépendants et les alternatifs rivalisent d’inventivité. On fantasme sur les chiffres d’affaires, sur les nombres de requêtes, sur les volumes de bande passante, on se délecte des pérégrinations des grands noms de l’industrie. C’est le show-biz ici, on n’a plus le temps, ça produit en boucle, ça brasse les thunes et les porn stars à toute vitesse.
Pendant ce temps-là, loin de l’estime pour le bling-bling, centimes, strings, crime, dans une ombre toute relative, se terre fièrement un petit monde qui a choisi de faire son argent différemment. Dans ces sous-sols, le soleil californien ne filtre pas ; on touche à l’antithèse totale des productions destinées à satisfaire des centaines de milliers de personnes à la fois.
Les tags qu’on retrouve dans cet univers glaçant sont morgue, postmortem ou murder et le pape de ce porno ultra-personnalisé pour nécrophiles s’appelle John Marshall. Mais ne vous inquiétez pas, personne ne meurt pour de vrai dans ses productions. De plus, aussi étonnant que cela puisse paraître, la nécrophilie n’étant ni un délit, ni un crime sexuel en France ou dans plusieurs Etats américains, sa représentation est donc tout aussi légale. Reste à savoir où vous situez le curseur de votre morale. Bon voyage.
John & Hank, double assassinat dans la Rue Morgue
Impossible de savoir qui se cache vraiment derrière ce pseudonyme trop insignifiant pour être honnête, qui sonne comme une version américaine de Pierre Dubois. John Marshall a presque quarante-cinq ans et se décrit lui-même comme un cinéphile passionné de photographie, évoquant des études de commerce et quelques petits boulots, mais rien de plus. Nous lui avons proposé une interview, qu’il a refusée ; peu importe, notre homme reste tout de même suffisamment loquace sur Internet.
En 1997, il commence à tourner ses premiers films d’horreur érotiques – des slashers fauchés avec des filles nues. Un an plus tard, il se lance dans ce business pour de bon avec un certain Hank, ils fondent alors Rue Morgue Entertainment. Ensemble, ils vont réaliser près de trois cent films. Tous mettent en scène la mort de jolies jeunes filles. La torture et le meurtre, érotisés, y sont scénarisés et filmés façon série B : montage hasardeux, bonnes idées timides et effets spéciaux à base de condiments compris.
Dans Arrows for Hikers Hunt 2012, d’innocentes promeneuses sont assassinées par un chasseur ; dans Cheerleader Jihad, des pom-pom girls à couettes sont capturées et fusillées par des Djihadistes enragés. Quoi qu’il arrive, les victimes finissent nues – ante ou post mortem, et bien souvent, les meurtriers jouent avec leur cadavre. Mais tout ça demeure du softcore mal assumé pour sadiques extrêmes, érotophonophiles et nécrophiles – bizarrement, John et Hank refusent de produire du matériel sexuellement explicite. De l’érotisme, mais pas de pornographie.
Certains films sont issus des « esprits perturbés » du duo et d’autres, appelés Customs, sont produits à la demande. Si vous avez assez d’argent, Rue Morgue Entertainment se fait une joie de transformer vos thunes en Graal pour libido paraphiliaque. Tout est possible : vous envoyez votre scénario, vos fantasmes, vous choisissez votre actrice et le studio s’occupe du reste. Les Customs commencent à partir de neuf cent dollars ; comptez deux mois pour recevoir votre film personnalisé.
En refusant de tourner des images vraiment pornographiques, Rue Morgue Entertainment touchait aux confins de la mauvaise foi. Au fond, John et Hank ne s’attendaient peut-être pas à ce que leur site provoque un tel émoi, une telle excitation. Tout ça est peut-être parti d’une blague de bureau, un truc grand-guignol, vaguement artistique, lancé par des nerds amateurs de séries Z sur VHS qui n’avaient pas envisagé une seule seconde que leur entreprise puisse vraiment filer le barreau à quelqu’un. Apparemment, John Marshall n’avait jamais imaginé que les choses se dérouleraient ainsi. « Je me suis lancé là-dedans après avoir lâché mon école, […] parce que ça me permettait de voir des filles nues. »
Mais voilà, ça fait maintenant plus de quinze ans que le site fonctionne et que les sorties s’enchaînent, inlassablement. Sans public, sans clients, tout ça n’existerait pas. C’est peut-être la raison qui a poussé John Marshall à monter huit ans après Rue Morgue Entertainment sa propre boite de production, laissant aux mains de Hank la gestion de leur premier bébé.
Peachy Keen Films, le fake necroporn a (enfin) son studio
Sans son acolyte, John Marshall monte en 2006 les studios PKF, ou Peachy Keen Films. Avec Rue Morgue Entertainment, John Marshall avait découvert un marché pornographique encore vierge, une petite mine d’or. Avec Peachy Keen Films, il se décide enfin à exploiter pleinement le filon en répondant aux véritables attentes de son public nécrophile : désormais, les cadavres sont utilisés à des fins sexuelles.
Si vous avez des tripes, cliquez ici, histoire de vous imprégner de l’esprit de la maison. On vous recommande chaudement Corpse 3, ça se passe dans une morgue, c’est très contemplatif. Pour ceux qui sont plus Emmerich que Tarkovski, orientez-vous vers Fuck Her Corpse. C’est une histoire d’infiltration dans la mafia qui tourne mal. Viol, coups de feu et meurtre bien gore sont au programme. A l’affiche : Moxxie Maddron, qui a également travaillé pour Mofos, Brazzers, Naughty America et 1000 Facials. Le studio emploie également Penny Pax, Dakota Skye…à l’heure actuelle, plus de trois cent actrices ont déjà travaillé pour les studios PKF.
L’époque Rue Morgue, bricolage et actrices inconnues, est révolue. John Marshall s’entoure de dominateurs professionnels et tourne en HD sur son plateau de mille mètres carrés. Il peut se le permettre, les films estampillés PKF s’arrachent. A l’heure actuelle, le studio en a déjà produit plus de deux mille. Pour faire bonne mesure, plus de soixante pour cent d’entre eux l’ont été sur commande. Grâce à Rue Morgue, John Marshall a bien compris qu’un des leviers les plus importants du porn actuel était le porn à la demande dont tout le monde rêve, là-bas. Il reprend donc la recette sur PKF en y rajoutant quelques ingrédients. Les demandes par e-mail sont remplacées par un formulaire en ligne extrêmement complet. Tout est personnalisable, des chaussettes que portera l’actrice à la position dans laquelle son cadavre sera abandonné. Combien de coups de couteau ? Torture extrême ? Rigidité cadavérique ? Vos moindres désirs sont réalisables. Une vidéo Customs basique vaut cinq cent dollars, mais les options font vite grimper la note. Peu importe, ses clients peuvent payer. John Marshall a su investir cet argent et diversifier ses activités ; désormais, il est à la tête d’un vrai petit empire aux frontières nébuleuses.
L’année dernière, PKF a lancé deux nouveaux sites basés sur la production de Customs. Pour les amateurs de comics, direction Deathcut. Ambiance super-héros et extra-terrestres, ça vaut vraiment le coup d’œil. Pour les passionnés de médecine et de NDE, ça se passe sur The Medical Files. Apparemment, PKF a également quelque chose à voir avec Robomeats, un site pour ceux qui aimeraient arrêter le temps façon Cashback. Mais ce n’est pas tout. Plusieurs sites affichent des informations qui concordent avec celles que l’on peut trouver sur la page de PKF. On a essayé de savoir s’ils étaient directement reliés à John Marshall, sans grand succès ; toutes finissent par s’enfoncer dans les profondeurs insondables de l’Internet pré-2001. Drôle d’abîmes que celles-ci, presque ridicules, grêlées de cliparts et de liens qui puent le malware. Sur un disclaimer, on lit : « Quand nous avons répertorié ces sites, il étaient dépourvus de logiciels malveillants et de matériel illégal. Les choses ont peut-être changé depuis. » On en rirait si on avait pas un doute. En tout cas, une chose est sûre : après vingt ans de travail, John Marshall a réussi son coup.
Seul comme un nécrophile
Pour comprendre le nécrophile, il faut d’abord se départir des notions morales qui gravitent autour du cadavre. Le fantasme ne s’embarrasse pas de jugements de valeurs, rappelez-vous. Il est assez difficile d’établir une cartographie précise des raisons pour lesquelles un cadavre peut susciter l’excitation sexuelle. Certains sont fascinés par l’immobilité du corps, l’idée d’utilisation totale d’autrui ; en ce sens, le tag #sleeping pourrait être s’apparenter à de la nécrophilie. D’ailleurs, selon une étude, l’idée d’un partenaire « qui ne résiste pas et qui ne les rejette pas » motive près de 70% des nécrophiles. D’autres sont attirés par la froideur de la chair morte. Pour se sustenter sans avoir à transgresser quoi que ce soit, ils inventent des stratagèmes à base de bains glacés et de copines courageuses. Quand à ceux qui sautent le pas et qui vont creuser dans les cimetières, ils ont leurs préférences : genre, âge, degré de décomposition. Certains s’adonnent au cannibalisme et mutilent les corps, d’autres ne dépassent jamais le stade des caresses.
En fouinant un peu, on trouve facilement des témoignages de nécrophiles. L’une confesse un amour sincère et bizarrement émouvant pour les cadavres, l’autre est un tueur en série qui s’adonne à la nécrophilie dans une optique purement profanatrice. Vous avez saisi l’idée : il y a de tout chez les nécrophiles, tout ça est extrêmement varié, c’est beaucoup plus complexe qu’une histoire de domination totale. Un chercheur pense même qu’il existe dix classes de nécrophiles différentes. Faute de sujets d’étude, les implications psychologiques de cette paraphilie n’ont jamais été réellement étudiées. On en est toujours aux hypothèses : mauvaise estime de soi, peur de la mort ou de la femme… Du coup, les spécialistes préfèrent classer les nécrophiles par intentions. Il y a ceux qui tuent pour assouvir leurs pulsions, ceux qui se contentent de consommer et ceux qui s’en tiennent au fantasme – ces derniers ne sont d’ailleurs pas si rares, lien NSFL (Not Safe For Life) à l’appui. Cette classification reste tout de même assez réductrice. Mais qu’il soit futur boucher sanguinaire ou timide romantique, le nécrophile trouvera son compte chez John Marshall – ou le fera réaliser.
Nécro, c’est trop
Mieux vaut se payer un petit périple en solitaire sur le site de Peachy Keen Films qu’une expédition illégale dans une morgue. Ce que fait John Marshall est tout à fait légal, car ses films demeurent sur le terrain de la simulation. Tant que lui et ses sbires ne vont pas déterrer de vrais cadavres, la loi est de leur côté. Le problème de la nécrophilie est avant tout moral, car elle bafoue simultanément plusieurs gros interdits. S’adonner à l’acte sexuel avec un cadavre, c’est construire un pont entre le monde des vivants et celui des morts, le tabou total. Le nécrophile c’est aussi le monstre, le miroir déformant qui terrifie les gens normaux. Le gouvernement anglais s’apprête à faire punir de prison la consommation de pornographie simulant un viol ; cette chasse aux sorcières est justifiée par des arguments d’ordre moral. L’avenir des fappeurs nécrophiles est plus qu’incertain. Il ne s’agit pas de justifier ou d’excuser cette paraphilie. Cependant, il convient de rappeler que la généralisation est toujours dangereuse et que criminaliser un fantasme est une erreur. Les films produits par John Marshall ne seront jamais plus qu’une échappatoire.
Plutôt que de nous trouver horrifiés, nous avons tout intérêt à accepter et à étudier ce fantasme rare, effrayant, complexe. Le caractère exceptionnel de la nécrophilie tient à ce qu’elle allie nos deux plus grands tabous, nos plongeons les plus intimes : le sexe et la mort. Comprendre la nécrophilie, ou thanatophilie, c’est comprendre un peu mieux ce qui nous agite tous. En vingt ans, John Marshall a croisé des centaines de nécrophiles. Pendant ce temps-là, l’étude psychiatrique de référence à leur sujet a été menée sur trente-quatre cas. C’est pour cette raison que le travail et l’expérience du réalisateur méritent toute notre attention. Malheureusement, son petit monde est extrêmement hermétique. John Marshall a refusé notre interview car il craignait qu’elle n’attire l’attention du grand public. Reste à savoir si ce refus est motivé par un réel souci de protection de l’intégrité de sa communauté ou plus par une angoisse d’ordre pécuniaire ou légal. En tant que businessman, il a tout intérêt à ce qu’on lui foute la paix.
J’ai un peu de mal avec la fin de ton texte quand tu parles de nos deux plus grands tabous qui seraient la mort et le sexe. Va pour le sexe qu’on peut, si l’on veut, aborder par ce biais, mais la mort, là ça coince un peu.
La mort comme tabou ? La mort associé au sexe, ok, le sexe associé à l’appartenance familiale oui, parlons d’inceste, la mort d’un pair et la bouffe je prends, cannibalisme. Mais quid de la mort en tant que tabou et qui plus est le plus grand ?
C’est dur de répondre à ça en quelques mots. On évite la mort, elle terrifie, on la tait ; moins on y pense, moins on en parle, mieux c’est. Sinon, malaise. Pourtant, on fait difficilement plus universel que la mort. C’est pour cette raison que c’est le plus grand de tous les tabous, parce que c’est le plus absurde : on tait ce qu’on a de plus inéluctable. Genre « Hop, si on ignore, ça n’existe pas. »
Ok, j’entrevoyais bien un peu la chose. Je te suis mieux là. Ce qui reste étonnant c’est la dimension de l’interdit à l’intérieur du tabou. L’interdit que tu peux imposer à des pratiques, le cul incestueux, le meurtre, le cannibalisme… Interdit plus ou moins intériorisé et donc « socialisant ». Pour ce qui est de la mort, là, point de pratique, on subit généralement et massivement) l’interdit on se l’impose soi même à la rigueur. Bref j’arrête, je me réveille et je dois déconner plein tube. Merci en tout cas Le Serbe pour l’échange.
Passionnant. C’est aussi (avant tout ?) pour ce genre d’article que je viens souvent sur le Tag. J’ai appris plein de choses, je me suis posé des questions, j’ai découvert des choses. Merci.
(et pourtant avec zéro excitation à la clé)
Avis à ceux qui aiment la petite mort dans la grande :
article 225-17 du Code pénal -> atteinte à l’intégrité d’un cadavre = jusqu’à 1 an de prison et 15 000 euros d’amende.
A bon entendeur, salut !
C’est plus complexe que ça, tu devrais lire le lien vers l’article des 400 culs qu’on a mis. On a également vu ça avec un avocat et il y a un flou juridique autour de la nécro en France (et ailleurs aussi).