Chromeo : « On ne fera jamais de chanson sur le sexe »
Le groupe Chromeo a 10 ans soit autant d’années qu’il squatte les hauteurs de mes meilleures playlists. De passage à Paris pour un concert à la Cigale et en after show au Social, c’était inenvisageable de ne pas les rencontrer. C’est donc dans les jardins du label Warner que j’avais rendez-vous pour parler avec eux de la sortie de leur quatrième album White Women. Chromeo sur le Tag, c’était une évidence, mais le groupe n’est pas avant tout sexuel, chez eux c’est la séduction et la tension qui priment. Chromeo, ce groupe de charme.
Le titre de l’album est une référence à Helmut Newton, d’où vient cette obsession, ce fétichisme pour les grandes jambes ?
Dave 1 : Au départ, c’est une image qui nous a été suggérée par Surface to Air, la boîte parisienne qui s’occupe de notre direction artistique, avant l’album Fancy Footwork, qui était la première couv qu’ils ont fait pour nous. On a décidé de décliner le thème et de l’exagérer. Les photos d’Helmut ont toujours été nos réfs, mais c’est en voyant l’expo à Paris au Grand Palais il y a deux ans et en découvrant cette monographie que je me suis dit que ça pourrait être très rigolo comme titre d’album pour un groupe des années 70 ou un groupe de métal des années 80. On s’est convaincu que ça marchait aussi pour un album de Chromeo.
Vous avez des fétichismes en dehors des jambes ?
Dave 1 : On est sur la pluralité du fétichisme.
P-Thugg : On fétichise le charme.
Ça vous irait bien : “Chromeo, groupe de charme”, ce côté un peu désuet mais cool en même temps ?
Dave 1 & P-Thugg : (rires) Ouais, c’est bien le charme, c’est ringard mais on le prend bien.
J’ai lu dans Rolling Stones que Over your shoulder était une sorte de défi en réponse à Blurred lines… Est-ce que vous pensez que l’Amérique retourne à des racines plus conservatrices, plus puritaines ?
Dave 1 : Je ne pense pas qu’elle y retourne, ses racines sont toujours là et chaque X années elles refont surface, toujours un peu masquées. Par exemple, quand il y a eu l’incident de Kanye West avec Taylor Swift, il y a plusieurs années, quand elle a fait son discours et qu’il est venu l’interrompre, le lendemain, la quantité, le barrage d’insultes racistes qui était dirigé envers Kanye montrait qu’en fait c’était juste refoulé, pas disparu.
Si ça avait disparu, ça n’aurait pas été concevable que ce genre de truc ressorte. Tout ça pour dire que oui, il y a un puritanisme et une sorte de conservatisme, et que c’est refoulé. Parfois ça ressort, et de façon très moche. Par rapport à Blurred lines, déjà on adore le morceau. On trouve aussi que le clip est très beau. Mais ce dont le morceau Over your shoulder parlait, c’était du risque, dans une culture où les gens sont bombardés par ce genre d’image, de voir des insécurités se développer. On a fait un morceau en réponse aux insécurités potentielles, tout simplement.
On retrouve la même chose avec Miley Cyrus qui se fait insulter en permanence.
Dave 1 : Ouais, c’est fou ça. Qu’est-ce qu’elle a fait ? Le truc que j’aime avec Miley Cyrus c’est que c’est comme du burlesque. C’est du mauvais goût, mais du mauvais goût assumé, ça sert à quoi de lui dire qu’elle a mauvais goût ? C’est ça le délire de toute façon ! Je trouve ça fou !
Vous assumez ce côté “musique macho” ?
Dave 1 : C’est macho mais subversif. Tu écoutes un morceau comme Jealous ou Sexy Socialite, ou même Momma’s Boy, avant Needy Girl, le narrateur de ce genre de morceau c’est une espèce d’homme castré, tout sauf macho. Ce qu’on aime c’est entre les deux ; tu as un morceau comme Bonafied Lovin’, qui n’est peut-être pas macho mais séducteur, et après ça tu as un morceau comme Jealous qui est chanté du point de vue de quelqu’un qui est complètement brisé et émasculé. Ce qui nous fait kiffer c’est ça, cette espèce d’alternance des points de vue.
P-Thugg : Le contraste avec la musique à laquelle on fait allusion, qui est normalement super macho, super sexuelle…
Depuis dix ans, vous êtes autour des thèmes de la drague, de la séduction ? C’est plus important pour vous, cette tension-là, que l’acte en lui-même ?
Dave 1 : Bien sûr, l’acte c’est pourri. C’est nul. L’acte, quatre fois sur cinq on est déçu, de toute manière. L’acte ça ne sert à rien.
P-Thugg : L’acte, ça s’oublie facilement… Il y a plusieurs autres options…
Dave 1 : C’est comme l’amour courtois en littérature médiévale, c’est un amour qui n’est jamais consommé, c’est juste de la tension, c’est beaucoup plus rigolo. On n’a jamais fait une chanson sur le sexe, on ne fera jamais de chanson sur le sexe, ce n’est pas intéressant. Si on en faisait une, ce serait une perspective comique à la Chromeo, genre un morceau sur l’éjaculation précoce, par exemple.
Est-ce que vous êtes des éternels nostalgiques ?
Dave 1 : Non, surtout pas.
P-Thugg : Toute la musique qu’on référence ce n’est pas de la nostalgie, c’est de la découverte.
Dave 1 : Quand on a découvert le funk, c’est pas comme si on était nostalgique, ça nous rappelait rien. Nos parents n’écoutaient pas de funk et on n’a pas grandi à cette époque. Pour nous c’était la nouvelle musique même si c’était des vieux disques. C’est pour ça que ça nous a fasciné. On a attendu 4 albums pour faire un morceau nostalgique avec Old 45’s. Même ce morceau n’est pas particulièrement nostalgique, c’est un titre trompeur.
P-Thugg : C’est la nostalgie de l’amour, de la séduction.
Dave 1 : C’est une sorte de nostalgie d’un comportement galant qui n’existe plus, comme absurde quand tu en parles. On dit toujours que si on avait été dans les 80’s, de toute façon, on aurait jamais eu de raison d’être car il y avait des groupes qui jouaient du funk beaucoup mieux que nous, donc on aurait peut-être été les roadies de Prince ou de Hall & Oates alors que maintenant on a notre groupe à nous.
Vous avez mis un peu plus de temps à sortir cet album, pourquoi ?
Dave 1 : On voulait bosser et s’améliorer. (Rires) On a gardé cette posture d’humilité, parce qu’on trouve qu’on a encore beaucoup de travail à faire.
P-Thugg : Et beaucoup à prouver.
Dave 1 : À nous et aux journalistes sceptiques, aux critiques sceptiques, ou à des fans. On est en train de le faire, mais pour ça il faut travailler.
C’est votre album préféré ?
Dave 1 : C’est l’album dont on est le plus fier. Il y a des trucs cool sur Fancy Footwork, ce sera toujours notre album le plus spécial parce que c’est là que les choses ont commencé à cliquer. Je pense que cet album-ci est beaucoup plus accompli, plus léché… Et puis même, il y a des trucs avec cet album-là, de nouveaux horizons qui ont été atteints. On n’a jamais eu un morceau qui tournait en radio, alors que là on a Jealous qui tourne en radio en Amérique et au Royaume-Uni, c’est nouveau pour nous.
Pour la promo vous êtes très sur Twitter et sur Reddit ; pourquoi ne pas aller plus loin et utiliser des plates-formes comme PornHub et compagnie comme a pu le faire la marque Eat24 ?
Dave 1 : Je ne sais pas, peut-être ! Le truc, c’est qu’il y a toujours de petites accusations latentes de misogynie à cause de l’image des jambes…
Juste à cause de ça ?
Dave 1 : Ouais. Par exemple, il y a des années, on était censé faire la première partie de The Gossip et quand Beth Ditto a vu la couverture de notre album elle a refusé, elle a changé d’avis. Mais si The Gossip veut faire notre première partie, je vais les laisser. (Rires)
C’est quand même étonnant parce que vous avez beaucoup de recul, ce n’est que de l’image…
Dave 1 : Exactement, c’est de la réf, c’est de l’image. Mais il y a énormément de gens qui ne sont pas doués de ce second degré qui est le sens le plus important pour assurer la survie de l’humanité.
https://www.youtube.com/watch?v=ZvBJLZPB7M8
C’est le même second degré que dans ZZ Top ?
Dave 1 : Exactement ! Mais ZZ Top c’est l’une de nos plus grandes influences. C’est un groupe qui donne à la fois dans la dérision et dans le sérieux travail musical. ZZ Top c’est nos idoles. D’ailleurs les jambes ça vient d’un clip de ZZ Top… Si on faisait un truc porno je crois que ça leur donnerait raison parce qu’on peut penser ce qu’on veut du porno, il y a quand même énormément de gens qui sont choqués et qui y voient de la misogynie… Pour te dire la vérité, je ne m’y connais pas assez pour pouvoir faire la part des choses. Ce qui est certain c’est que quelqu’un comme Helmut Newton ou Guy Bourdin ce n’est pas du tout pornographique, ni érotique, ni misogyne.
P-Thugg : Ni raciste.
Dave 1 : Exactement. Je crois qu’utiliser un truc expressément porno ce serait délicat pour nous.
Est-ce que les gens ne manquent pas un peu de légèreté, particulièrement en ce moment ?
Dave 1 : J’ai l’impression, oui… C’est triste en Europe en ce moment, non ? En France, il y a un climat…
Depuis quelques années, c’est difficile en effet.
Dave 1 : Triste. Le président François Hollande, tous les gens sont…
N’acceptent plus rien…
Dave 1 : Il y a une lassitude. C’est drôle parce que ça avait même commencé avant Hollande avec les Indignés mais c’est vrai que sous Sarkozy il y avait de quoi être indigné. Puis Hollande a gagné et là il y a eu une espèce de grosse désillusion, le rapport avec l’Allemagne, l’Euro… C’est sombre.
Nous on est aux Etats-Unis, de toute façon. C’est dur de tâter les espèces de climats, surtout qu’on vient d’arriver en France, alors on ne connaît rien. Mais nous on a fait un album assez fun. C’était l’ambition de cet album, en tout cas. Business Casual était notre album sombre, avec cet album on voulait renouer avec le fun de Fancy Footwork, mais le polir et le sophistiquer d’avantage.
Vous avez 10 ans, qu’est ce que sera Chromeo en 2024 ?
Dave 1 : J’espère qu’on aura encore le même élan parce que cet album-ci c’était comme une profession de longévité.
Sinon, vous êtes en tournée pendant un moment, comment ça se passe, vous faites la fête ou c’est sérieux ?
Dave 1 & P-Thugg : On est sérieux.
Et pour l’after show ?
Dave 1 : Ça va être notre premier after show depuis des mois, j’ai hâte. C’est un parisien qui a fait notre scénographie, puis au Social c’est toujours cool !
Donc pas trop de décadence ?
Dave 1 : Vraiment très peu. Mais y’a toujours des gens qui nous écrivent sur Twitter chaque jour genre “ouais j’ai baisé sur votre musique”, ça nous fait trop plaisir. Nous on procure un service, on est dans le secteur tertiaire.
P-Thugg : En backstage on est sur nos ordis !
On a l’habitude de finir nos interviews en demandant une liste de morceaux sexuels, mais je préfère vous demander des morceaux typique de la tension et de la séduction.
Dave 1 : Y’a le morceau de Next, Too Close qui raconte un gars qui danse avec une fille et la fille sent l’érection du gars, assez élégamment thématisé dans le morceau.
P-Thugg : A peu près tout le catalogue de R.Kelly.
Dave 1 : R.Kelly c’est assez consommé l’acte avec lui.
P-Thugg : Sexual Healing, Intimate Connection.
Dave 1 : Private Eyes de Hall and Oates, Family Man aussi : le gars qui se fait dragouiller mais qui n’a pas le droit de répondre.
P-Thugg : If I was a girlfriend – Prince
Dave 1 : C’est un scénario hypothétique, donc c’est cool.
Chromeo est en concert ce soir à la Cigale et en after show au Social Club.
Photo en une par © Tim Saccenti
Merci pour l’interview les mec