La pornothèque secrète du camarade Staline
Un étrange secret repose au neuvième étage de la gigantesque Bibliothèque d’Etat de Russie : du milieu des années vingt à l’effondrement du bloc communiste, de hauts dignitaires soviétiques y ont fait enfermer des milliers d’ouvrages considérés comme obscènes par le parti. Des gravures japonaises plusieurs fois centenaires, un beau-livre consacré à l’oeuvre de Picasso, des pamphlets bon marché datés des années dix, un album de photographies des Beatles, des romans à l’eau de rose des seventies… Douze mille livres s’entassent là, sans classement ni catalogue. Un journaliste du Moscow Times a eu la chance de pouvoir y mettre son nez.
Un trésor, oui, un butin surtout ; l’écrasante majorité de cette collection provient du pillage de bibliothèques privées. Plus de la moitié des articles entreposés au neuvième étage de la Bibliothèque Lénine ont été confisqués à la veuve de Nikolai Skorodumov, fervent collectionneur d’œuvres érotico-pornographiques et directeur de la Bibliothèque de l’Université d’Etat de Moscou jusqu’à son décès, en 1947. Sur les quarante mille articles que Skorodumov s’était acharné à réunir au cours de sa vie, plus de six mille ont été confisqués par le NKVD après sa mort. Au milieu du tas : un portfolio de dessins et d’aquarelles signées Michel Larionov.
Bien sûr, l’accès à cet incroyable trésor est formellement interdit au public. C’est l’une des conditions du formidable état de conservation de cette collection unique, qui a longtemps servi de pornothèque privée aux dirigeants soviétiques. Des portes du Kremlin à la statue de Dostoïevski qui orne l’entrée de la Bibliothèque d’Etat de Russie, il n’y a pas trois cent mètres ; on raconte que bon nombre d’éminences rouges ont déambulé dans les rayonnages, empruntant parfois un ou deux articles pour une durée indéterminée. Pas besoin de carte de bibliothèque quand on est du Politburo, camarade.
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