2006 – 2014 : Quel avenir pour les tubes porno ?

Le premier tube porno est apparu en août 2006, il s’appelait Pornotube et tout le monde l’a oublié depuis. Quelques semaines après, débarquait Youporn, qui à la faveur d’un nom plus facile à retenir et en adéquation avec Youtube, allait conquérir le monde entier et marquer le début d’une nouvelle histoire pour le porn en ligne. Le principe était simple mais révolutionnaire : pourvoir visionner en streaming et gratuitement tout un tas de scènes autrement disponibles uniquement en payant ou en faisant appel au p2p. Le porno pouvait devenir ultra-accessible et toujours plus mainstream ; la culture porn allait éclater au grand jour.

2006, année de la révolution

Huit années ont passé, Youporn est synonyme de porn en France, l’expression “culture porn” est citée à tout bout de champ dans les études de l’Ifop ; pas un jour sans que le Dailydot n’en parle ; les Insights de Pornhub ont envahi les médias en ligne, Vice prend un tournant culture porn assez marqué, même Madame Figaro parle de The Sex Factor. En très peu d’années, Brazzers a eu le temps de racheter le nom de domaine Pornhub et de lancer son premier tube du même nom, puis de devenir une pieuvre sous le nom de Mansef puis Manwin et enfin Mindgeek au fil des acquisitions et des changements à la tête de sa direction.

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L’appel du clic

Pendant que les valses des rachats et des révolutions dans les usages s’enchaînaient, l’industrie du porn passait par toutes les couleurs mais surtout celles qui vont du rouge pivoine au blanc livide, incapable d’enrayer l’érosion de ses clients et d’empêcher la masse énorme des nouveaux utilisateurs de consommer uniquement du gratuit sur les tubes. Subissant de plein fouet leur concurrence, les studios n’avaient plus qu’à se plier au dicton “adapt or die” de l’audience de ces sites, soit jouer leur jeu, trouver un nouveau modèle, ou mourir dans l’indifférence générale.

Un cadre juridique légal

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Les tubes porno ne se distinguent des autres tubes comme Youtube que par le caractère explicite de leur contenu, juridiquement, ils sont régis par la même loi sur le droit d’auteur : la DMCA (Digital Millenium Copyright Act). Un tube est considéré comme un hébergeur et non comme un éditeur et il n’est pas responsable du contenu qu’uploade ses utilisateurs. Leur seule obligation réside dans la suppression rapide du contenu en cas de violation du droit d’auteur.

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Partant de ce principe, les tubes ont donc pu prospérer malgré les procès, les actions et les pleurs répétées des principaux acteurs de l’industrie, drainant derrière eux une audience colossale, au grand dam des studios et pour le plus grand bonheur des visiteurs. Contrairement à ce que certains laissent entendre, les tubes porno sont donc tout à fait légaux.

2014, le statu quo

Nous sommes en 2014 et les tubes n’ont quasiment pas évolué depuis leur création. Ceux qui ont décidé comme le Pornhub Network d’avoir pignon sur rue et de s’allier directement avec les principaux studios, voient leur contenu “illégal” disparaître au profit de bouts de scènes promo comprises entre 3 et 15 minutes. Ceux qui décident de rester un peu plus en marge comme Xvideos/XNXX, Xhamster, Youjizz ou Tukif mélangent contenu piraté le plus souvent de mauvaise qualité, contenu faussement amateur et contenu promo. Au milieu de cette guerre entre les tubes et les studios se trouve le fappeur, le spectateur qui ne veut pas payer mais qui aimerait bien être un peu plus considéré car c’est bien son trafic, sa longue présence sur ces sites, qui fait vivre les tubes (via les différents outils publicitaires mis en place).

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La réalité d’un tube (copie d’écran prise au hasard)

Le fappeur qui ne veut pas payer se retrouve alors face à un curieux dilemme : soit il se contente de vidéos de bonne qualité mais promotionnelles issues des derniers studios qui survivent, soit il tente de trouver dans l’amoncellement restant de porn pourri, qu’on pourrait appeler le 7e continent du porn en ligne, de quoi satisfaire ses envies. Dans les deux cas il est face à des tubes qui font des minuscules efforts pour améliorer l’expérience utilisateur et leur service.

L'autre réalité des tubes

L’autre réalité des tubes

Si certains comme le Pornhub Network – dans une course à la notoriété et avec un sens subtil du marketing – arrivent à développer de nouvelles fonctionnalités, le fond du problème reste le même sur tous les tubes : le contenu n’est plus assez satisfaisant, l’expérience utilisateur est faible, l’algorithme de recommandation basique et le moteur de recherche souvent navrant.

Nous sommes en 2014 et alors qu’arrivent en catimini les Netflix du porn (pour le moment encore décevants, faute d’accords solides avec les studios ou d’un budget significatif pour améliorer l’expérience porno), les tubes semblent être dans une impasse : comment proposer du contenu gratuit, de qualité, tout en s’alliant avec les studios ? Comment satisfaire le fappeur à la recherche du tag parfait ?

Les tubes ne sont plus qu’un outil promotionnel

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Kink contrôle son contenu sur les tubes

Il faut se rendre à l’évidence, la qualité du fap décline dangereusement sur les tubes depuis quelque temps. La raison est assez simple, avec les accords passés ou forcés avec les studios en échange d’un énorme trafic et de la potentielle conversion de celui-ci en abonnement payant, le contenu “illégal” sur les tubes se réduit considérablement. Ce contenu, ces scènes entières, qui faisait alors le bonheur des fappeurs se voit progressivement remplacé par des scènes promotionnelles. Le reste ressemble maintenant à un triste fond de catalogue mal rippé dont la paternité n’est revendiquée par personne et qui ne souffre donc pas du signalement pour violation du droit d’auteur (dont certains se sont fait un métier).

C’est ainsi que la plupart des studios bossent avec les tubes. Youporn ou Pornhub mettent en avant ces partenariats, Xhamster et Xvideos beaucoup moins mais le résultat est le même : les tubes sont devenus un outil promotionnel assez frustrant. Si les studios qui ont bien rentabilisé leurs scènes proposent parfois une petite partie de leur catalogue en entier, c’est le cas de X-Art ou de Netvideogirls, la plupart se contentent de mettre en avant leurs scènes en version courte avec plus ou moins de générosité. Les nouveaux studios comme Nubile ou FakeTaxi proposent leur contenu en HD avec une durée qui vacille souvent autour de 10 minutes (ce qui peut être suffisant pour fapper), d’autres plus réticents à céder au diktat des tubes se contentent de mini trailers, c’est le cas de Kink  ou de bouts de scènes difficilement exploitables pour la masturbation comme chez Evil Angel (FameDigital gère également d’autres studios qu’Evil Angel, ndlr) ou Mofos.

Le porno vitrine

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Channels de Youporn

Malgré tout, le futur des tubes pourrait bien ressembler à la trop méconnue rubrique Channels de Youporn et se transformer en énorme vitrine du catalogue des studios, poussant les plus riches à s’abonner aux studios, les moins généreux à se contenter des previews, les plus malins à aller voir en torrent si l’herbe est plus verte.

Faute de pouvoir arrêter légalement les tubes, les studios ont repris légalement le contrôle de leur contenu chez eux, tuant ainsi à petit feu le principe même des tubes comme on les a connus au milieu des 00s. Que va faire le fappeur ? Revenir au modèle payant ? S’en servir comme d’un outil promotionnel et trouver sa came d’une autre manière ?

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Tendance des principaux tubes sur Google.com

En attendant, l’audience des tubes les plus réglo commence à s’effriter au profit des autres, malgré d’énormes efforts pour s’assurer une visibilité importante auprès des médias mainstream (Dailydot, Vice, Gawker, Salon…). Chez ceux pour lesquels le droit d’auteur ne semble pas être une priorité, l’audience reste très bonne mais le capital sympathie se détériore faute de contenu attractif. Quant aux petits tubes, souvent le fait de petits webmasters, ils misent tout sur une pub agressive ou sur du contenu de faible valeur, espérant toucher le gros lot dans cet interzone bordélique du porno en ligne.

Comment améliorer l’expérience utilisateur ?

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Le contenu disponible est le principal problème des tubes, il n’en demeure pas moins que l’expérience utilisateur pourrait nettement être améliorée. Quel est l’intérêt de nous bombarder de cookies si ce n’est pas pour apporter une curation efficace et pertinente de vidéos ? Si les tubes faisaient un effort pour ne pas effacer les logs de connexion (qui prennent une place immense, nous dit Antoine Mazières), ils pourraient nous fournir des données extrêmement intéressantes sur nos habitudes de consommation et pourraient nous apporter le tag parfait sur un plateau d’argent par un puissant algorithme de recommandation.

A la place de ça, ils se contentent d’améliorer un poil leur design (c’est notamment le cas de jeunes tubes, qui ne sont souvent que des agrégateurs de contenu, donc des façades), en oubliant d’améliorer l’essentiel : le moteur de recherche, l’interface utilisateur, la recommandation, le confort d’utilisation. On peut saluer les efforts de xhamster pour rendre l’expérience porno plus sociale avec ses profils d’utilisateurs et une grande ouverture d’esprit (il n’y a pas par défaut de grande barrière entre les orientations sexuelles) mais si le contenu proposé ne suit pas, on se retrouve une nouvelle fois dans l’impasse.


SMC Talks – Pornographie et innovation : une… par SMCTalks

La plupart des tubes ne sont pas des start-up, ce sont des webmasters qui se cachent, autrement dit, améliorer l’expérience utilisateur n’est visiblement pas leur priorité, qui se résume à faire le maximum de blé avant que le vent tourne mauvais pour eux. Alors qu’ils concentrent l’énorme majorité du trafic porn, personne (à part le Pornhub Network, par choix stratégique) ne semble se soucier de ce qui leur permet d’engendrer du cash : nous. Paradoxalement, alors que le porno a toujours surfé sur les avancées technologiques, on se retrouve avec des tubes porno terriblement à la traîne. Peu d’ambition, d’envie et un public qui fatigue et commence à retrouver son bonheur au pire endroit possible pour un studio : en p2p.

Pour une approche sensible des tags

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On est plus que des tags !

Une qualité peut se transformer en défaut quand on laisse filer le train du progrès. Ainsi, l’idée aussi pratique pour les tubes que pour les utilisateurs d’indexer les vidéos par tags a peut-être fait son temps. Si les tags sont pratiques pour pointer une pratique sexuelle ou un fantasme particulier (BBC, cuckold, french anal…), il n’exprime en aucune manière notre attente face au matériel pornographique.

Notre rapport à l’image n’est pas neutre, nous ne cherchons pas la même chose dans le porno si celui-ci est en POV ou non, si notre positionnement est celui d’un voyeur, si on se projette dans l’image ou si on recherche de l’implication. Certains vont chercher la transgression, d’autres au contraire préfèrent être confortés dans leur sexualité. On peut chercher le danger, la nostalgie, des figures familières, l’identification…

Toutes ces attentes passent, faute de mieux, par les tags, dont la fonction première est l’indexation bête et méchante du contenu. Il n’y a pas d’approche sensible de la consommation de porno, on reste dans une vision simpliste de la masturbation. Les tags comme on les conçoit actuellement ne répondent pas directement à nos attentes qui s’expriment pourtant à travers notre historique de navigation. Un algorithme intelligent, une lecture différente des historiques et une analyse plus pertinente du matériel pornographique pourraient apporter une réponse plus claire et précise à nos attentes, nos besoins.

Ces problématiques sont au coeur du e-commerce ou de la publicité mais passent complètement à côté de l’industrie porno. Pourtant, associer cette idée de dépassement de tags qui se révèle plus proche de notre consommation pornographique à un tube permettrait de fidéliser les clients à vie et de grandement améliorer l’expérience pornographique. Pour le moment, aucun tube ne semble vouloir se soucier de tout cela.

Transformer les tubes en modèle freemium

Vu que les ‘Netflix du porn » sont encore loin d’être satisfaisants : catalogue trop petit pour Skweezme, expérience perfectible chez Xillimité de Dorcel, faux SVOD pour l’énorme VideoBox (l’accès aux studios premium est payant, ndlr), la solution la plus intéressante pour les tubes serait d’embrasser les deux modèles et proposer – à l’instar de la sexcam toute puissante – un modèle freemium. Un tube gratuit sur le modèle des Channels de Youporn qui passerait en version longue et sans pub contre un abonnement avec accès au même prix à tous les studios ou système de jetons, de micro-paiement à la carte.

Encore faudrait-il que les studios acceptent de lâcher la licence de leurs scènes à une autre plateforme, d’arrêter de penser en abonnement (intention louable mais la culture porn nous a appris à mater le porn partout, pas seulement chez un seul studio) et de se pencher sur la masse ahurissante de futurs clients potentiels.

SO HARD TO FAP

SO HARD TO FAP

Au lieu de ça, une génération qui a grandi et aimé le porn passe à côté de 95 % de la production de qualité, faute de curateurs et d’initiatives dans les avancées technologiques pertinentes. Huit années ont passé et l’industrie du porn continue à voir d’un mauvais oeil les tubes, les accusant (à tort ou à raison) d’avoir détruit leur jolie usine à fric. On ne peut pas reprocher aux premiers tubes d’avoir existé. On ne peut nier que l’équipe derrière Mansef puis Fabian Thylmann étaient des visionnaires qui ont su apporter une réponse à l’attente du public (accès illimité au porn en streaming, pluralité du contenu, accessibilité du porn sur mobile — 50 % du trafic à l’heure actuelle).

Mais que fait-on 8 ans après tout cela ? On fappe sur du contenu horrible, on se détourne des vidéos promotionnelles faute d’argent ou d’un accès novateur au porn (un système de token à lâcher contre une vidéo en entier, ne serait vraiment pas difficile à mettre en place), on a le fap frustré, le fap déçu.

Le modèle freemium dans la cam devrait inciter les tubes et les studios à bosser ensemble et apporter un nouveau modèle économique qui lui ressemble et qui correspond plus aux attentes des fappeurs. Le marché est mature, les années ont passé, on en a ras le fap de chercher comme des abrutis dans l’amoncellement de vidéos pourries.

 

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  • Très bon article !

    Pour moi les tubes ont aussi permis d’assister à l’explosion du porno amateur et de ce point de vue, l’offre est non seulement pléthorique mais croit d’heure en heure. C’est pour ça que je suis plus nuancé que vous sur le potentiel de fap de ces sites.
    Il n’y a qu’à voir le nombre de requête « amateur ». Personnellement, le peu d’offre des studios ne me gêne pas car ma consommation passe essentiellement par les « productions » de monsieur et madame tout le monde. La plupart de mes potes sont également dans le même cas que moi.
    Ceci étant j’attends aussi, comme vous, la venue -aboutie- des « Netflix » du porn.

  • Bel article 😉

    Concernant les « netflix » du porn pour moi le soucis c’est la présentation visuelle de DVD façon sexeshop en ligne qui ringardise vraiment les netflix like version porno d’aujourd’hui.
    Ce qui est vrai pour le cinéma tradi ne l’est pas pour le porno.
    Une affiche de ciné, la pochette d’un DVD d’un film qu’on a kifé au ciné c’est cool de la revoir sur netflix mais franchement un DVD porno ça fait has been grave, c’est bien uniquement pour les vrais fans, ceux qui vont voir leur idole dans les salons érotiques mais pas pour les 98% de consommateurs restants.
    Je ne dis pas qu’il faut juste afficher des thumbs brutes à la brazzers mais y a quelque chose à faire de sympa…

    Le système de token est très bon + une flopée d’outils sociaux pour une interaction optimale entre les producteurs, les acteurs et les consommateurs + une prez du contenu différente, etc… etc…

    • On est d’accord ! Ça et le fait que ce ne soit divisé par scènes (c’est aberrant). En gros, on cherche tous une sorte de tube-netflix. Mais je conseille à personne de prendre un abonnement premium à un tube, c’est globalement sans intérêt (fond de catalogue…).

  • Vu que ca va etre obsolete assez rapidement, je partage ca.
    http://rmonilak.freevar.com/vbpoa.html
    Je me doute que ca va etre vire illico, mais ca permettra ptet a 2-3 crevards comme moi, de profiter de videobox (channels y compris, wink wink) gratos.

  • Bravo Gonzo, assez solide performance dans l’interview. J’attendais la question de l’animatrice : et qu’en est-il aujourd’hui des femmes comme consommatrices ? Elle n’est pas venue, et c’est tant mieux, parce que l’ai une peur pathologique des clichés – elles recherchent plus de tendresse (gang bangs), l’intimité vraie d’un couple vrai (orgies), de langoureuses caresses (sodomie en mode dirty talk), de l’amour (des fessées), des hommes de tous les jours (Manuel Ferrara, James Deen le Limeur), de l’émotion (des jets de cyprine pour tout le quartier).

    • Je ne comprends pas ta question.

      • Ce n’était pas une question, je craignais simplement que, parlant des femmes consommatrices de porno (si l’animatrice AVAIT posé la question dans l’entretien), les stéréotypes soient de nouveau convoqués, genre Erika Lust : couple, tendresse, sentiments, etc. Mais tu connais trop bien la préférence des femmes en matière de tags pour que je m’en inquiète. Suis-je encore trop confuse ?

        • Ah ok je l’ai 🙂

          Par contre je peux te garantir que le porno « tendresse, couple » d’Erika Lust marche pourtant bien. Mais dans le porno, il faut faire très attention à mettre des gens dans les tiroirs. Donc il y a bien des femmes qui veulent du Erika Lust mais aussi d’autres qui veulent du Rocco et d’autres qui préfèrent les gang-bang et d’autres X-Art.

          Comme les hommes donc.

  • Cool le débat vidéo.
    A quand un Vlog signé LTP?

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