Hitachi Magic Wand : Woman Machine

Commencer par un rappel.
Même si les magazines féminins sont des précis de sexologie capitaliste depuis 40 ans. Même si ça a l’air de faire chic, de nos jours, de prétendre aller au sex-shop comme on va à la piscine (pour garder la forme) ou dans un expo branchée (pour se tenir au courant). Même si l’injonction à jouir sans entrave ne choque plus guère le bourgeois qui semble même s’en délecter absolument, suivez mon regard vers la chambre 2806.
Commencer par un rappel parce que même dans Elle, il fait encore tâche, le Hitach’.

Et on comprend. Comme on comprend la différence entre le sous-sol du BHV et Point P. Il y a les accessoires déco, et puis il y a le gros oeuvre. Les occupations dominicales de gens de bonne éducation, et le boulot qui tâche : laissez faire les pros.

ponceuse

Alors. Hi-ta-chi.
Comme aurait dit l’autre, ou alors qu’il me pardonne, «Hitachi, lumière de ma vie, feu de mes reins». Hitachi Magic Wand. Soi-disant un accessoire de soin, pour masser les muscles endoloris. Commercialisé par la firme japonaise à partir de 1968, année de pudibonderie par excellence, hein. Ben voyons.

Le vibromasseur le plus puissant du marché. Un machin gaulé comme une ponceuse Bosch multifonctions. Je ne rigole pas : je suis sûre que si vous arriviez à greffer une tête abrasive dessus, le bouzin pourrait décaper votre parquet. Le genre de bidule tellement sans merci, tellement méchant que c’est un coup à prendre une gifle en pleine action, alors qu’on pense bien faire. Et on ferait probablement bien du reste, c’est juste que ce truc est implacable. Avis aux ignorants qui pensent que «l’orgasme vaginal», y a que ça de vrai, ou que les filles, ça peut pas jouir sans beaucoup de sentiments : demandez à une utilisatrice de Magic Wand qu’elle vous fasse un petit topo.

CrashpadSeries

Bref. On n’est pas là pour faire une review d’un objet qui est au Panthéon des accessoires de baise depuis 45 ans. On est là parce qu’en allant voir sur les tubes ce qui se passe aux tags #BDSM #bondage, j’ai pas arrêté de voir ce bon vieux HV-250R.

Pour mémoire : je suis une gouine qui regarde aussi des films hétéros. Hétéros mais pas forcément straights (encore que…). J’ai pas à m’expliquer là-dessus, ou à me justifier, c’est comme ça. C’est en tant que gouine que j’ai eu affaire en vrai au Hitachi pour la première fois, et c’est significatif. Le Hitachi constitue un moyen absolument infaillible pour une femme d’atteindre très rapidement un orgasme puissant et intense. Le Hitachi donne l’impression[1] à celle qui l’utilise de non seulement devenir totalement autonome face à sa jouissance mais d’avoir la capacité de se donner seule un plaisir pratiquement inatteignable autrement. Le Hitachi a fait partie des instruments d’empowerment féministe, en permettant aux femmes qui l’utilisait de devenir le sujet de leur jouissance, et d’expérimenter la possibilité d’un pur plaisir physique, relativement imperméable aux freins culturels, psychologiques qui pouvaient masquer cette réalité toute bête. Je vibre donc je jouis.

Une femme qui utilise un Hitachi pendant le sexe envoie un message clair qui raconte entre autres ça : « 1/ mon plaisir m’appartient ; 2/ baiser avec toi c’est bof-ok-cool-génial (rayez la mention toussa) et c’est encore meilleur avec le Hitachi et si tu commences à te sentir jalousE d’une machine électrique, retourne au point 1 ; 3/ ooops, je crois que je vais encore jouir comme une folle, ce qui tombe plutôt bien quand on pense au point 1 ».

Alors, voir le Hitachi au centre de certaines scènes BSDM hétéros m’a d’abord fait comme l’effet d’un clin d’oeil, un genre de «check» de kinkster à kinkster, au-delà des orientations sexuelles. Un artefact qui ramène à de l’empowerment sexuel, voire sexo-politique, qui participe de représentations alternatives du sexe, représentations où le plaisir féminin est autonome, subjectif, construit, partagé plutôt qu’arraché, enlevé. Et encore, je dis « plaisir féminin », mais je me rends bien compte que ce mot n’a plus vraiment de sens quand on regarde des pornos trans/gouines comme les vielles prods (mais toujours tellement outrageous et hot) de Shar Rednour ou les films de la galaxie Courtney Trouble : ce serait probablement plus juste de parler du plaisir de la (du) partenaire bottom/pénétréE ou qui négocie et joue un rôle adossé aux représentations normalisées de la passivité sexuelle (ce qui n’exclut pas une conscience critique, un désir ludique et politique de déconstruire : on pourrait dire que c’est une différence entre « pillow princess» et « pillow hero »).

Enfin, bref. Tout ça pour dire que dans ma vie de gouine, devant un écran comme dans un plume, le Hitachi, c’est le mât de cocagne autour duquel se réunissent, transportéEs, toutEs les pervs romantiques, connectéEs à leur plaisir et à ceux de leur partenaire. Le Hitachi, c’est effectivement cette baguette magique, capable de réveiller des puissances enfouies, cachées, que certaines sorcières font jaillir du fond de leurs entrailles pour le plus grand émerveillement de leurs amantEs ébahiEs, raviEs.

kink-hitachi

Sauf que dans les films où j’ai revu passer cette sacrée vieille ponceuse mystique, la baguette avait changé de main (si vous avez lu les Reliques de la Mort, normalement, vous suivez). Là où ma culture gouine m’avait habituée à voir le Hitachi manipulé par la personne qui comptait se masturber avec, construisant ainsi sa jouissance conformément à ses sensations et à son désir, là, dans ces films hétéros maledom, le Hitachi devenait un instrument de domination de plus au main du top.

Dans l’idée, je n’ai aucun problème avec ça : au contraire. Je trouve même cette pensée délicieuse : transformer la jouissance en levier de jeu. Que ce soit un jeu de contrôle (« je vais t’ordonner de contrôler ta jouissance tout en te mettant dans une situation où celle-ci va être particulièrement difficile à contrôler »), jeu de sensation (« je vais utiliser le Hitachi suivant ma volonté pour te déclencher inopinément des sensations de plaisir très fort »), jeu d’humiliation (« tu vas jouir implacablement sans rien pouvoir faire jusqu’à te transformer en bête impudique avec la bave aux lèvres »), il y a quelque chose de très fort et de très excitant à utiliser le plaisir comme une forme de menace érotique, un retournement finalement pas si fréquent dans le BDSM, où l’attendu, c’est plutôt que ce qui constitue une situation menaçante se transmue en plaisir. Donc, là-dessus, le perv en moi dit oui, encore, bravo, give me more, rhaâââ lovely. Mais en tant que féministe du dimanche, je trouve ça troublant quand même. Troublant qu’encore une fois les femmes soient représentées en situation de ne pas être en possession de leur plaisir, troublant qu’encore une fois, elles soient soumises à l’entregent d’un homme qui posséderait le pouvoir de les faire jouir[2]. Troublant qu’encore une fois, les femmes soient représentées démunies face à leur propre plaisir, un plaisir qui non seulement leur échappe, mais qui en leur échappant construit une énième représentation de femme incapacitée et ignorante.

Et s’il vous plaît, ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas écrit. C’est hot. C’est hot de voir ces femmes perdre le contrôle, de les voir débordées par le plaisir, je veux dire : c’est aussi du cinéma et je suis bon public, ces grimaces, ces yeux révulsés, ces plaques rouges qui constellent leur cou, leur poitrine, leurs cris, je veux bien y croire, ouais, ça me parle. Je m’imagine parfaitement bien dans une scène pareille, j’imagine parfaitement l’implosion dans mon cerveau. C’est hot, et surtout, le contexte est clair, lisible et sans ambiguïté : c’est bien le tag #BDSM qui fait remonter ces vidéos, il s’agit bien de scènes où les rapports de pouvoir sont consentis, négociés, performés.

Mais ça ne change pas le problème sur le fond : dans le champ majoritairement investi par les représentations straight que sont les tubes mainstream, encore et toujours une femme qui ne peut que compter sur un homme pour être livrée à son propre plaisir, un plaisir dont l’administration et le contrôle lui échappe totalement.

Toujours déjà possédée et dépossédée.

[1] J’écris «donne l’impression», parce que le Hitachi finit par constituer un chemin tellement puissant, efficace, rapide et mécanique vers l’orgasme qu’il devient peut-être plus compliqué par la suite de jouir autrement en se masturbant. Et j’ai bien écrit «peut-être» parce que non, j’ai pas l’intention de faire de généralités.

[2] C’est le trentième anniversaire de la disparition de Michel Foucault, ça tombe bien…

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