Wetlands : rendez-vous en terre inconnue
L’AVANT
Les Halles un samedi après-midi : le ventre de Paris, grouillant de monde. L’Étrange Festival diffuse Wetlands en avant-première au Forum des Images. Remarquée à Sundance, la comédie dramatique de David Wnendt n’a pas encore trouvé de distributeur en France. La salle est bien remplie. Je suis assise à côté d’un garçon. L’actrice principale, la Suisse Carla Juri, se lance dans une présentation express, évoquant l’accueil puritain de certains médias outrés, et le plaisir qu’elle a eu à interpréter le rôle d’Helen.
NYMPHO OU ADO
Il y a deux pitchs possibles à Wetlands. Helen est une nympho exhib de 18 ans qui, en plus d’hémorroïdes, a un sacré problème avec l’hygiène. Ou : Helen est une jeune Berlinoise chahutée par la douloureuse séparation de ses parents, qui passe son temps à expérimenter. À vous de choisir.
L’ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR
Tiré du bestseller de l’Allemande Charlotte Roche, ce teen movie punk commence par un coup de rasoir. Trop pressée, Helen se blesse au niveau de l’anus. Quand le sang gicle, je pense à ses hémorroïdes, et j’admire la magie du cinéma, sa faculté à me faire avaler des couleuvres avec un bruitage adéquat et un montage suggestif. Traversée d’un frisson, je fais la grimace puis je la suis jusqu’à l’hôpital, là où ses souvenirs d’enfance et ses désirs d’adulte se tailleront une bavette pendant quelques jours.
HELEN
Les cheveux courts et bouclés, le regard malicieux, un vernis de couleur différente sur chaque ongle. Des seins parfaits. Elle est belle. Elle se déplace en skate. Elle provoque. Sa meilleure amie s’appelle Corinna. Sa mère est complètement névrosée. Son père se tape des femmes plus jeunes. Son frère ne sait pas tout. Elle s’est fait stériliser en secret.
DES SÉCRÉTIONS
Cru et sans-gêne, Wetlands m’immerge tout de suite dans l’intimité d’Helen, ou plutôt dans son intériorité. L’abondance de plans serrés et les sons aiguisés donnent vie aux substances – drogue, sueur, foutre… –, à la douleur et au plaisir. C’est organique. La caméra opère, comme les chirurgiens qui étudient l’héroïne-bête curieuse. Je me fonds dans cette histoire qui a tout d’un corps. Je me roule dans la crasse, même pas peur. L’humidité est partout. Le titre explicite, l’eau croupie dans les toilettes publiques de l’intro, le plongeon imaginaire dans la piscine, les larmes qui coulent et la pluie dans l’épilogue. Cet ultra-réalisme est joliment contrebalancé par les rêveries d’Helen. Les tampons échangés entre copines et les légumes sex toys cohabitent ainsi avec le fantasme d’une réconciliation entre papa et maman, ou celui d’un flirt romantique avec l’infirmier Robin aux yeux bleus.
UNE SCÈNE
J’aurais pu spoiler la séquence de la pizza, un ballet classique composé de sperme et de sauce tomate, tourné au ralenti. Mais celle où Helen rejoint son collègue fétichiste chez lui mérite son paragraphe. Pour sa forte tension érotique. Son absurdité, aussi. Kanell adore raser les femmes : leurs jambes et leurs aisselles, entre autres. Dans un salon ombragé, il installe Helen, apporte une bassine, de la mousse et un rasoir, se déshabille, s’agenouille, entame son cérémonial, je ne me souviens plus dans quel ordre. Il ne la baisera pas.
L’APRÈS
Faut-il crier au scandale ? Est-ce l’insert éjaculation quasi-subliminal, la religion moquée ou le délire cracra d’Helen qui en a dérangé ou en dérangera certains ? S’agit-il de pornographie ? Non, peut-être, non. Au final, Wetlands s’impose comme un film initiatique, drôle, tendre et sans tabous sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Il explore, montre et questionne. Peut-on faire plus sain ?
Photos par © Majestic-Filmverleih
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