Koudlam : « Notre société est porno de A à Z »
Koudlam n’avait pas disparu, il s’était juste enfermé en haut d’une tour à Benidorm, station balnéaire espagnole envahie par les anglais, une sorte de Grande Motte nourrie au hardcore et à la pire soupe anglaise pour hooligans. J’ai rendez-vous avec lui en fin d’après-midi à Paris pour parler de son nouvel album Benidorm Dream.
Sur place, Arthur, ex-Turzi et boss du label Pan European Recording marqué par les litres de bulles ingurgitées depuis le matin pendant le défilé Agnès B. est en train de fumer un rédacteur penaud de la Villa Schweppes. Marrant.
Tout le monde est en retard alors je patiente dans le studio de Turzi où je fais la rencontre de Jamie Harley à qui on doit une partie des images de Koudlam. Il m’annonce que le prochain clip aura quelques acteurs porno espagnols. On discute porno, prostitution, de Benidorm et son hostilité pendant que les autres journalistes finissent leur interview. Je suis le dernier média à passer, sur la terrasse du point FMR, des post-ado jouent du ukulélé en hurlant de la merde. En face de moi Koudlam semble visiblement fatigué de sa journée promo houblonnée, c’est le moment d’appuyer sur rec.
Peux-tu me décrire Benidorm la nuit ?
Des cris d’animaux… Je passais la majeure partie de mes nuits à Benidorm sur ma terrasse à un haut niveau d’ascenseur [le Gran Hotel Bali, plus haut hôtel d’Europe, ndlr] et j’aimais bien l’entendre de loin comme si c’était une espèce de berceuse, pas trop tranquille mais hyper cool quand même car vachement atténuée. Évidemment parfois je descendais pour aller acheter des churros ou des trucs comme ça et là, j’étais obligé de côtoyer la faune.
À Benidorm y’a pas mal de quartiers et de nuits différentes. Pour simplifier, tu vas avoir la nuit des bals de vieux, la nuit des vacanciers qui va se résumer à la nuit du quartier anglais où c’est un peu la cour des miracles. Quand tu te balades à une heure du mat’ tu croises des familles qui endorment leurs gamins au son des discothèques dans leur poussette en passant devant des strip-teaseuses et des nains en porte-jarretelles. T’es dans une sorte de cirque infernal.
Après tu as la nuit de la vraie teuf des espagnols qui sont quand même à un niveau de dégénérescence ultime. Une teuf européenne, 15 extas par personne et tout le monde taré. Puis le matin, tu te retrouves facile dans Walking Dead.
Moi ça m’intéresse pas trop, je préfère voir ça de loin en haut de ma tour d’ivoire — comme une sorte de prisme. C’est bien d’être là-bas pour l’imagination mais je déplace tout dans un autre contexte. Je sublime. Je n’apporte pas une vérité ou un discours sur l’hédonisme ou sur la vie là-bas ; c’est de la contemplation pure et simple.
Pour le prochain clip, Jamie m’a parlé de hardeurs espagnols…
Parmi les personnes les plus sympathiques qu’on a rencontré à Benidorm, il y a un couple d’acteurs porno, plutôt des performers de la nuit, tout mignon et qui apparaissent dans le clip. Ils sont super. Après tout ça reste un mystère pour moi.
Sur ta pochette il y a l’hôtel Ryugyong qui est en Corée du Nord. C’est un hôtel fantôme, un monolithe. Pourquoi avoir pris cette image ?
Ça exprime un peu mon rapport à Benidorm à travers la musique. Je ne fais pas une espèce de discours sur la ville ou tout ça, mon discours il est pratique et imaginaire. Au lieu de faire quelque chose qui expliquerait quoi que ce soit, j’essaye juste de le mettre encore plus en abyme. Et indépendamment de ça, tout le monde est libre de gamberger là-dessus. Ce bâtiment est plutôt comme une espèce de pyramide mais avec des pointes sur les côtés, comme un poignard. Y’a une concordance de choses qui fait que c’est pour moi la meilleure pochette du monde.
Pourquoi ce titre : The Magnificient Bukkake ?
Parce que ça raconte l’histoire du bukkake. Le bukkake était le nom d’un met qui éclaboussait et il paraît qu’il y a eu un bukkake qui aurait duré 20 ou 30 ans, c’était vraiment immonde.
C’est un sujet qui t’intéresse le porno ? Il y a par exemple ton clip I Will Fade Away avec Shauna Grant [actrice porno des 80s qui a sombré dans la drogue et s’est suicidée à 20 ans]
Notre société est complètement porno de A à Z mais de mauvaise qualité, que ce soit dans nos rêves ou dans notre appréhension de l’autre. C’est un sujet de société hyper fort. Tout un chacun mate du porno mais tout le monde fait semblant que ça n’existe pas. Un film comme Idiocraty par exemple montre bien cette société porno dans laquelle on va.
C’est quelque chose qui t’inquiète ?
Moi je m’inquiète de rien. Bien sûr en tant qu’individu qui est mené à faire des enfants, j’essaye d’aller vers le bien ou le bon. C’est le devoir de l’humain. Je suis hyper moraliste. En tant qu’artiste, je vois ça, soit je me marre, soit je hurle (mais en musique).
Les fans de Julien Doré à nos côtés commençant à pousser un peu fort les décibels, on décide de se retrancher dans le studio où on retrouve Arthur, Jamie et les autres, toujours en plein débat sur la prostitution mais aussi sur la zoophilie et Bertrand Cantat. Le volume sonore dépasse finalement celui de la terrasse, possible que la suite des propos ici ne soit pas retranscris dans leur intégralité.
Arthur : La question primordiale de la prostitution est : est-ce que « consentement égale liberté » et quelqu’un qui dit être consentant est-il libre de son choix ?
Koudlam [hurlant] : mais évidemment !
Est-ce que tu prends un plaisir pervers à illustrer la fin de notre civilisation ?
Je ne pense pas. Parfois, je me marre mais c’est pas pervers. Je suis un grand défenseur de la société. Mais bon je relaxe vachement parce que je suis un contemplateur.
Quand est-ce que la dernière fois que l’humain t’a impressionné ?
[Longue pause] Des musiciens qui donnent leur corps à la science… La dernière vidéo de skate de euh… Y’a plein de skateurs inconnus qui m’impressionnent tout le temps… [Nouvelle longue pause] Ça n’arrive pratiquement jamais, c’est ça qui est hyper flippant. L’humanité devrait être impressionnée par l’humanité mais elle combat les choses qui pourraient l’amener à évoluer à un sens plus élevé. Je suis à fond dans la conquête spatiale par exemple et je pense que tous nos ronds devraient aller là-dedans.
C’est aussi de savoir pourquoi on est là ?
Tout simplement. Et tout ce qui va dans ce sens là m’impressionne, mais ça va tellement lentement que j’ai plus une impression de désolation…
Qu’est-ce qui t’excite dans la vie ?
[Il se tourne vers son staff] Les jeux de mots, les Belges… Et vous qu’est-ce qui vous excite ?
Jamie : Le futur et l’histoire, c’est ça qui est excitant en fait !
Pourquoi faire la sortie de ton album au Pigallion – Folies Pigalle ? [Club de Pigalle dont sa version « Folies Pigalle » drainait auparavant une faune improbable et dans sa version « Pigallion » qui ferme à midi avec des gens bien décidés à ne jamais dormir]
Parce que le live sera presque rock et que ça correspond un peu à l’album.
En général vers 8h du matin, c’est assez particulier… C’est une expérience.
J’ai été voir les notes sur TripAdvisor, les Folies Pigalle n’ont pas d’étoiles, ils ont que des commentaires d’américains choqués par des cailleras en train de peloter des vieilles.
J’ai une image assez marquante de cet endroit, c’était un ricain bien douchebag qui sortait de la boite avec deux transsexuelles au bras maquillées comme des camions volés. Il était saoul et heureux, il savait plus ce qu’il faisait mais fonçait vers son hôtel, c’était magique.
C’est la magie du show. Tu vas pouvoir finir ton interview avec une citation de TripAdvisor, ça sera bien.
Crédit photo © Jamie Harley
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