Rencontre avec les esquisses délicates de Petites Luxures
Petites Luxures est un compte Instagram actif depuis le 30 novembre 2014. Vingt deux photos de dessins sont postées ce jour-là et la mayonnaise prend. Pas sûr que le hasard y soit pour quelque chose là-dedans tant le charme des croquis est indéniable. Depuis, ça ne s’arrête plus et les likes pleuvent sur chacun des posts. Consacrées uniquement au sexe, ces petites esquisses délicates ont séduit grâce à leur malice. On est allé toquer à sa porte pour en savoir un peu plus sur ces ébauches de sensualité.
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je préfère laisser une part de mystère sur l’origine de ces dessins, comme dans les dessins eux-même, afin que chacun s’imagine ce qui lui plaît le plus. Et puis ça fait marrer ceux qui sont dans la confidence. Disons que je suis graphiste de métier, que je n’ai jamais lâché le dessin, que j’ai une vie amoureuse et sexuelle comblée.
Comment sont nées ces “Petites Luxures” ?
Par un moment de désœuvrement. Je n’ai jamais cessé de dessiner depuis l’enfance, mais ces dernières années c’était plutôt dans un style très tattoo, rien à voir avec le travail de cette série. Et puis deux jours de grippe en décembre, des gribouillis un peu aléatoires pour m’occuper, un sein, une fesse, j’ai fait quelques dessins plus simples, que j’ai encore simplifiés, jusqu’à arriver à ce style assez épuré.
À part le sexe, tu as d’autres sujets que tu aimes traiter ?
Bien sûr. Mon métier de graphiste m’amène à devoir représenter un peu tous les sujets. Mais à un niveau plus personnel autour du dessin, j’aime les grands thèmes qu’on retrouve souvent dans le blues, le rock’n’roll et le tatouage : l’amour, la mort, la famille, l’honneur… Un bon résumé de mon univers pourrait être ce « mouvement » des Murder Ballads, ces chansons traditionnelles qu’on retrouve dans les débuts du blues, de la folk, et qui relatent un crime le plus souvent passionnel. Quelque chose de souvent très doux et mélancolique dans la forme, mais très intense et violent dans le fond. L’Amour et la Mort ; on en revient toujours à ces deux-là.
Comment en es-tu venu à représenter le sexe ?
Quel que soit le moyen d’expression, on l’adapte souvent très vite au cul. Donc ça m’est venu assez naturellement car c’est un sujet intarissable et fédérateur. Et puis, même si je comprends qu’une photo de cul explicite peut choquer visuellement, pour moi le sexe en lui-même n’a rien de choquant ou de honteux, tant que c’est entre adultes consentants. C’est juste une façon de plus d’aimer la vie, comme la bonne bouffe. Bien bouffer, bien boire, bien baiser. Une bonne levrette, c’est comme une bonne raclette. Mais dans sa représentation, même si je n’ai pas grande culture en la matière je l’avoue, je n’arrivais pas à trouver des images qui représentent du sexe très cru de façon élégante. C’est soit de l’érotisme gentillet, soit du crade vulgaire, rien qui ressemblait à l’idée que j’avais du sexe : quelque chose qui peut être aussi doux que bestial, sans pourtant jamais manquer de respect, d’amour et d’élégance. Par exemple, je suis très fan de la série Bd Cul chez les Requins Marteaux, mais je trouve qu’il y a trop peu de productions dans le genre, qui s’autorisent à être très crues sans être vulgaires. Enfin, je le répète, je n’ai pas une grande culture en la matière, et encore moins maintenant, car je ne veux pas trop me faire influencer malgré moi par des travaux similaires.
Qu’est-ce qui t’inspires sur ce sujet ?
La personne qui partage ma vie. Ce qu’on a pu vivre ensemble, ce qu’on pourrait vivre ensemble, ses fantasmes, les miens, les nôtres. C’est parfois des appels du pied, ahah… Je ne cherche jamais d’inspiration ailleurs que dans ma tête, car ce travail perdrait son côté personnel et intimiste. Même pour des questions techniques de dessin, de proportions, je préfère faire un dessin aux proportions fausses, mais qui vient tout droit d’une idée personnelle, que d’aller chercher des modèles, des photos ou autre, ça deviendrait vite de la merde sinon. Je glisse parfois des private jokes, des clins d’oeil à des amies ou amis, des références à des discussions, ça me fait d’autant plus marrer de voir les gens réagir à ça.
Tes dessins sont très poétiques, comment doses-tu le cru et l’évocation ? C’est un parti pris de dire tant de choses en si peu de traits et beaucoup de “blanc” ?
C’est la seule chose qui m’intéresse dans cette série : montrer le minimum pour que l’image soit compréhensible et laisser tout le reste à l’imagination de celle ou celui qui regarde. Mon envie de départ était de pouvoir montrer des trucs vraiment crus et crades, mais dans une image qui ne soit absolument pas choquante. J’avais imaginé très vite un sous-titre à la série : « petit précis d’élégance pornographique », j’essaie de m’y tenir. De l’élégance et de la simplicité dans la forme, mais des choses très crues dans le fond. Enfin parfois, pas toujours. Un dessin comme « l’atterrissage » par exemple, est à la limite de l’abstrait, on ne peut pas dire que ce soit une image choquante, mais imaginez la même en photo… C’est ça que j’aime !
Et puis j’ai toujours été naze en croquis de nu, si j’avais voulu vraiment représenter la réalité complète, ça aurait été nul. D’autres le font bien mieux que moi. Le plus important dans ces dessins, c’est finalement ce que je n’y dessine pas.
Comment définirais-tu ton style ? Je vois de mon côté quelque chose entre trompe-l’œil et minimalisme.
Aucune idée, ces mots pourraient convenir en effet. On me parle souvent de dessin, car je les fais à la plume et à l’encre de chine, mais pour moi c’est plutôt du graphisme. J’ai pas mal d’amis qui sont vraiment dessinateurs de métier, illustrateurs, bédéastes, et je me sentirais usurpateur si je me plaçais au même niveau qu’eux, car ce sont des brutes en dessin. Donc pour moi c’est du graphisme, assez minimaliste oui.
Pour l’instant tu n’es présent que sur Instagram, est-ce que tu envisages de créer un site spécialement dédié à Petites Luxures ou tu comptes rester là-bas ?
À vrai dire j’avais commencé en postant les premiers de la série sur mon feed Instagram perso. Et puis je me suis dit que mon entourage n’avait pas forcément envie de voir ces images parfois très crues, entre deux photos perso. Donc j’ai ouvert ce nouveau flux, public, et c’est parti assez vite sans que je le voie venir, les gens s’abonnent, me sollicitent pas mal. Ma grande fierté étant un « j’adore vos dessins » par Joann Sfar qui s’est abonné tout au début, ça m’a bien encouragé à poursuivre.
Bref, le format Instagram me convient très bien. Il faut que je garde une simplicité et une rapidité de publication : j’ai 15 minutes devant moi, je fais un dessin, je le shoote à l’iPhone, hop c’est publié. Toute démarche plus complexe tuerait ce projet, car je n’arriverais pas à m’y tenir régulièrement. Et puis, plus que tout, j’adore que les gens se parlent entre eux dans les commentaires, se tagguent, à base de « tu te souviens quand on l’a fait ? » et autres « Chérie, j’ai envie de te faire ça ». Voir que mes dessins inspirent les gens dans leur vie amoureuse, c’est vraiment ce qui me plait le plus. Et instagram reste le mieux pour avoir un feedback immédiat.
Par contre j’aimerais en faire des choses un peu plus concrètes. J’ai vendu quelques séries d’originaux à des décorateurs et des architectes, je vends des séries limitées de prints un peu partout autour du monde, je commence à avoir des propositions d’expo en Angleterre et en France , des touches pour des éditeurs potentiels… Rien de très solide pour le moment mais c’est sûr que j’aimerais bien pouvoir les exposer de façon plus tactile et réelle, accrochés à des murs ou dans les pages d’un bouquin, ça les rendrait plus sensuels que des pixels sur Instagram. Mais un site, à quoi bon, pas pour le moment.
Parfois tu joues un peu de la censure, tu n’as pas peur de te faire censurer par Instagram ?
Moi, jouer de la censure ? J’ai pourtant l’impression que pas mal de ces dessins sont assez explicites dans l’idée, même s’ils ne montrent pas grand-chose. Quand je tâtonnais encore au début, j’ai fait des scènes parfois plus détaillées, mais ça perdait tout son intérêt. La censure d’Instagram, oui bien sûr j’y ai pensé. Au début je n’en avais pas grand-chose à faire, mais maintenant que le projet prend un peu d’ampleur, ça m’emmerderait plus c’est sûr. Il faudrait que je me fasse un backup Tumblr. Mais bon, quand je vois les photos que publient certains de mes followers, je me dis que des petits traits quasi abstraits choqueraient moins les bonnes moeurs puritaines.
Enfin, j’espère. Pour le moment, je croise les doigts.
Une fan de plus. J’adore. D’autant plus la philosophie de vie de la raclette et la levrette.