Arnaud Rebotini : « On est constamment sollicité en tant qu’homme par le sexe »

À bientôt 45 ans, Arnaud Rebotini ressemble de plus en plus aux anciens bluesmen qu’il affectionne tant. Costard droit, chemise rose et cheveux gominés contrastent avec l’image d’armoire à glace et à moustache passant de la techno bien sombre, qui nous prend aux tripes. C’est sûrement parce qu’il consacre de plus en pluds de temps à poser sa voix et ses textes sur les musiques de Black Strobe, le groupe qu’il a créé en 97. C’est cet Arnaud Rebotini là, parolier et chanteur, musicien sans frontière et épicurien assumé, qui a écrit la B.O. d’Eastern Boys –nominé aux Césars dans les catégories meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur espoir masculin (pour Kirill Emelyanov). Entre classique, pop, et techno, son travail colle à merveille au film de Robin Campillo : dramatique, organique, sensuel et sexuel. Le Tag est allé à la rencontre de celui qui fait toujours figure d’électron libre dans son milieu pour faire le point sur son parcours atypique.

Eastern Boys est un film très sexuel, physique, sensuel. Au final très proche de ce que votre musique peut représenter ?
Le réalisateur du film est venu me voir avec une demande particulière par rapport à Zend Avesta (un projet des années 2000, une sorte de format de chanson pop avec beaucoup de cordes, de musique classique et de techno). Il m’a demandé pour certaines parties du film des morceaux techno – dont un de mon dernier album – et des morceaux plus typés Zend Avesta avec de la musique classique. Avant de commencer à tourner, il m’a demandé de composer un thème à partir du scénario. Il m’a très vite donné des scènes avec des montages provisoires et j’ai créé des thèmes qu’il me suffisait d’ajuster pour le montage final. C’était un échange artistique assez simple : Robin est un connaisseur de musique, il savait ce qu’il voulait.

Était-ce un enjeu de traduire l’atmosphère du film en musique ?
En fait, il n’y a pas de scènes sexuelles avec de la musique. Bon… je ne suis pas spécialement attiré par l’amour entre hommes, mais les scènes sont belles. C’est une histoire de prostitution et il y a dès le départ quelque chose de sexuel. On voit bien le basculement entre l’objet de désir, le jeu sexuel, et ce qui va devenir de l’amour de la manière la plus paternaliste.

Mais vous n’avez pas été nominé pour la meilleure musique originale aux César pour Eastern Boys…
Oui, c’est dommage… J’aurais été content d’être nominé évidemment mais j’ai jamais été très prix de toute façon. Les César, c’est beaucoup de lobbying… Enfin je ne m’y connais pas vraiment.

La B.O. est assez particulière.
J’ai toujours fait différent, c’est peut-être pour ça que je n’ai pas été nominé. Para One est plus classique [nominé pour la meilleur musique originale pour Bande de Filles, ndlr], il a un côté premier de la classe et tant mieux pour lui. Je suis plus un électron libre, je ne suis pas le mouvement.

On peut voir la musique comme un art souvent organique, voire érotique, que ce soit chez soi ou en club. C’est toujours quelque chose qui doit prendre aux tripes ?
Déjà le rock’n’roll était décrit par ses réfractaires comme outrancier. Elvis était surnommé « Pelvis » pour son mouvement de bassin qui provoquait des émois chez les jeunes filles. Quant à moi, je suis un épicurien et il y a naturellement beaucoup de sensualité dans ma musique. C’est très généreux. Il n’y a peut-être que dans la techno que ça s’efface un peu.

Pourquoi ?
En club, les gens sont très pris dans la musique et la drogue. On voit rarement des gens baiser dans une boîte généraliste à 4h du mat’. Il y a une relative désexualisation dans les soirées techno. Maintenant, on a énormément de choix, on peut se gaver de tout. Quand j’ai commencé la musique électronique, il y avait une soirée par semaine… et encore.

L’EDM par exemple…. Je suis toujours étonné qu’on s’énerve contre Bob Sinclar ou David Guetta. C’est comme si Johnny Cash s’énervait sur Jean-Jacques Goldman, c’est différent. Il faut de la musique populaire pour des gens et de la musique underground pour d’autres. L’EDM, c’est bien pour ceux qui gagnent de l’argent avec, moi je m’en fous.

Rebotini-ValentinLeCron5

La nuit parisienne n’a pas l’air d’être en phase avec vous, comme ça se fait ?
Déjà je ne prends pas de drogues. Il y en a partout. Dans certains des endroits où j’ai joué, c’était incroyable, visible partout. L’État est d’une tolérance étonnante avec ça.

La drogue est pourtant quelque chose de très présent dans l’histoire de la musique.
L’acid house dans la techno porte son nom à cause de la drogue. Le rock et la drogue ont toujours été liés. À chaque fois que le rock a évolué, il y avait soit une nouvelle drogue, soit une nouvelle technologie, soit les deux en même temps. Le rockabilly est né du billy, de la country parce que les mecs prenaient des amphets. Dans la techno, on se rend bien compte que la musique est liée à ça. La musique est très simple et il suffit de mettre un truc un peu trop vocal ou un peu trop musical pour que les gens dégagent.

Question danse, les gens sont-ils moins réceptifs à Black Strobe ?
Je danse plus sur du John Lee Hooker que sur de la techno. La techno n’est presque même plus une danse. Les gens sont là et dodelinent sur la piste. C’est plus fun de faire danser les gens sur Black Strobe et c’est très paradoxal. Dans les lives techno, j’enlève le kick, je fais des montées avec le filtre… je cherche plus à faire crier les gens au final. C’est physique. Ils dansent, en un sens, en faisant leurs petits pas. Mais c’est plus pour sentir leur présence dans les breaks ou les reprises.

Pour reprendre les paroles de Girl From The Bayou, on dirait que vous êtes plus vieux strip club américain que nana siliconée dans un porno ?
Faut vivre avec son temps, la poupée gonflable siliconée c’est rigolo aussi. Je suis assez vintage comme garçon. Je trouve que le rapport à la séduction a changé. Maintenant on est constamment sollicité en tant qu’homme par le sexe. Il suffit d’aller dans la rue. C’est complètement public. Les filles ont changé aussi. On m’a un peu parlé de Tinder… je trouve ça hallucinant, il n’y a plus de phase de séduction.

Black Strobe est beaucoup plus sensuel et physique que vos morceaux techno au final. Est-ce que c’est venu combler un manque ?
Ça s’est construit petit à petit, j’avais de plus en plus envie de chanter et de faire un groupe, donc j’ai fait évoluer Black Strobe au fil de mes envies et de mes fantasmes. C’est plus incarné, je chante, c’est un travail acharné d’écrire les paroles de 12 chansons, de les chanter, de produire et de faire les arrangements. Faire un morceau de techno dans l’aprem, si tu sais faire les deux, c’est easy.
J’aime chanter, raconter des histoires, et même le défi de l’arrangement musical. C’est très différent. J’ai besoin des deux, j’écris des chansons, et quand j’ai pas trop d’idées, j’écris un morceau techno. Et en live c’est très facile, ça sort de moi, c’est ludique j’adore ça aussi. Beaucoup plus facile qu’un live de Black Strobe.

D’où vous viennent les paroles de Black Strobe ?
Je suis pas très branché par le côté poésie abstraite à la René Char, j’aime bien raconter des histoires. J’ai gardé du blues et de la country, c’est des choses du quotidien. Donc un mélange de Dieu et de sexe, en fait, c’est assez bizarre. Comme dans Monkee Glands où j’ai imaginé un gars qui prie Dieu pour qu’il lui envoie une bombasse. Le blues, c’est que des histoires de cul. La soul aussi. Mother Popcorn de James Brown, Muddy Waters – Got my mojo workin’ : « Got my mojo working, but it just won’t work on you ». Il y arrive avec toutes les autres mais pas avec elle et retourne en Louisiane pour que son mojo remarche. J’adore ce genre de paroles concrètes, ça m’inspire. Dialectiser un désir précis, un fantasme.

Il y a toujours du sexuel dans la musique, tant qu’elle est partagée. Même dans un groupe de mecs hétéros, il y a vite quelque chose de sexuel. Sans qu’il y ait de rapport, plutôt dans la jouissance du même objet.

Sinon la moustache est tombée…
Oui, j’en avais marre de ce côté videur serbe, vieux taulard.

Ou d’acteur porno !
On me l’a dit plusieurs fois, oui, un peu trop même. Je voulais pas être résumé à ma moustache. J’ai mon côté « âgé » qui joue aussi.

Votre apparence est très vintage.
Oui, cheveux en arrière, gominés, ambiance vintage. J’ai eu les cheveux longs, j’ai eu plusieurs périodes. Là je joue le jeu, la chemise rose, le costume bleu. Il y a un âge où les t-shirts de groupe – que j’ai beaucoup porté – tu peux plus !

Et pour la suite ?
Maintenant je vais me réintéresser aux sons plus acoustiques. J’ai un clip en projet qui devrait vous plaire, il y aura sûrement des incrustations de porn vintage.

Black Strobe sera en concert à la Maroquinerie le 25 février

Photos par © Valentin Le Cron

 

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