Du foodporn oui, mais en gifs
Y’a t-il mieux que le foodporn ? Oui. Il y a le foodporn en gifs, imaginaire jusqu’alors trop peu mis en avant, et pourtant si foisonnant. De l’épis de mais à la taille tout à fait respectacle sur lequel coule un carré de beurre fondant. De la viande qui cuit à l’infini dans une marée d’huile. Des frites dorées comme le soleil qui font palpiter le coeur et baver le molosse, captées lors de ce climax où elles symbolisent la perfection. Un croque-monsieur au teint savemment bronzé qui laisse négligemment échapper une langue de fromage fondu. Tout cela crépite, les couleurs explosent, les sens implosent, c’est un spectacle hypnotique qui, par cette réitération des mêmes focus fétichistes, émerveille les ogres les plus déterminés. Ces leitmotivs appétissants sont autant de gestes sexuels, assénés avec soin, motifs vecteurs de contemplation où l’on se surprend à se laisser ravir par le flux incessant du sirop d’érable éjaculé sur une pile de pancakes.
C’est une romance culinaire, une sérénade, un refrain qui attise nos désirs de Pantagruels du net. L’acteur du gif est toujours dans la même posture de semi-acteur porn, qui ne dévoile pas son corps mais la chair qui est sienne, ce repas qu’il s’est préparé et qui se savoure en slow-motion. Il remue passionément, met la main à la pâte, tripote le macaron, et nous demeurons ébahi face à la boustifaille.
Le gif permet de la voir prendre forme ad vitam comme une increvable bectance, respirer comme si elle était humaine, se sublimer comme une peinture. Les fils de fromage fondu s’étirent et s’étiolent comme des sous-vêtements progressivement retirés et la crème des cupcakes forme un joli petit tourbillon de glucose. Tout dégouline et ça colle aux yeux. Chocolat mousseux, pizzas élastiques, doux fumet des plats trop chauds dont on peut presque sentir les aromes. Pendant ce temps, les épices baignent dans un fleuve de couleurs, rouges, vertes, jaunes. L’usage méticuleux du ralenti participe évidemment au trip du gourmet, le temps s’arrête et immortalise cet instant fabuleux où, dès la première bouchée, l’on souhaiterait qu’un repas ne se termine jamais.
Quand on dévore, on ne prend pas son temps. Or le temps est une donnée essentielle quand on se soumet à la bouffe. Il faut mettre de côté sa petite personne et lui sacrifier un signifiant moment pour l’honorer. Les gifs expriment cette nécessité existentielle, très zen: au lieu de prendre les mets à pleines mains pour s’en bafrer, respirez un bon coup. Prenez le temps de vivre. Le temps de scruter, de zieuter chaque détail, de lécher chaque once de ripaille afin d’en assimiler la saveur. Carpe diem.
A l’intérieur du royaume de la pornographie alimentaire, une image semble plus particulièrement captiver les foules : celle du fromage. Fromage qui déborde, se disloque, se déforme. Les boucles de fromage évoquent joliment celles du GIFanimé (la circularité étendue comme image ultime du monde), fils s’étirant disproportionnellement en un mouvement perpétuel d’esthétisation délectable.
Le GIF animé nous apprend à réévaluer, encore une fois, le foodporn. Non pas une vision de la nourriture en tant qu’objet de survie mais en tant que sujet de vie, une mise en images d’un “jour sans fin” finalement philosophique: une impression de béatitude que l’on souhaiterait ressentir sans répit, jusqu’à en crever. Le GIF animé renvoie à cette envie de toute-puissance qui est la manipulation du temps: on rêve qu’une odeur, une image et un goût demeurent en nous à jamais. Que notre dégustation soit un gif animé, un même geste doublé, triplé, répété jusqu’à l’absurde. En attendant, nous rêvons devant ces gifs, qu’ils soient porn ou foodporn, tout en reprenant un peu de fromage…
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