Conte de fesses : les coquineries du Dr Seuss

Les accros du tag ont déjà eu une petite idée ici-bas des énormités éroticos-pornos du grand Roald Dahl, davantage connu pour les pratiques vengeresses de la surdouée Matilda ou les remarques sadiques du fanfaron Willy Wonka que pour l’Oncle Oswald — invétéré fornicateur de ces dames. Admettons-le, le merveilleux monde de la littérature d’enfance/de jeunesse ne cessera jamais de nous surprendre puisque Random House a eu la bonne idée de récemment rappeler l’existence d’un bouquin méconnu et joliment polisson d’un des grands noms de l’écriture fantaisiste.

Bien qu’il soit cruellement trop peu estimé en France – alors qu’il explose tous les compteurs outre-Atlantique à l’instar de Lewis Carroll ou de classiques scolaires tel Le vent dans les saules – vous connaissez certainement le Dr Seuss, Theodor Seuss Geisel de son vrai nom, pour ses oeuvres les plus célébrées/transposées: Le grincheux qui voulait gâcher Noël (ou “Grinch” pour les intimes), Horton, Le lorax, Le chat chapeauté… Mais vous n’avez certainement jamais posé vos mirettes sur ces encats joyeusement charnels datant de 1939.

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L’ouvrage en question, The Seven Ladies Godivas, est né d’une belle intention : conter les mésaventures de sept dames nudistes sexy au possible, donner corps à l’Histoire sous fond d’humour coquin. Si l’imaginaire enfantin regorge de fantasmagories populaires, créatures, animaux qui parlent et autres chants hivernaux à la Dickens, l’idée était ici de proposer à un public adulte une même réécriture folklorique, mais consacrée à une culture sensuelle, appropriée aux problématiques du monde adulte.

Godiva est effectivement une figure historique de l’époque médiévale qui parcourait, dit-on, les rues d’Angleterre dévêtue, protestant par-là même contre les restrictions économiques imposées par son comte de mari à la population locale. Autant dire que réécrire ce fait en pleine seconde guerre mondiale a tout de la note d’intention. Ou comment donner sens aux plaisirs des sens, tout en mettant en évidence l’optique du récit enfantin à travers lequel Seuss excellera : le dessin apporte à l’oeuvre une dimension enfantine (preuve en est de la “noblesse” de cette littérature) et la thématique du corps est évidemment une obsession au sein de ces univers, la petite Alice ne dira pas le contraire… Avec ces belles couleurs et cette nudité généreuse, c’est comme si grand-papy racontait à ses fistons une histoire cochonne au coin du feu. Le conte de fées a laissé place au conte de fesses. L’idée reste identique, puisque Seuss aime jouer avec la langue…

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Pour le docteur (faux docteur en vérité, comme un autre artiste que nous ne citerons pas), du conte pour gamins à la pitrerie pour adultes peu raisonnables, il s’agit donc de toujours mettre en exergue la même liberté de penser et d’agir, d’apporter au lecteur un message à la fois amoureux, empli de bons sentiments, et contestataire, évidence d’une littérature d’enfance tout sauf consensuelle où le hiérarchiquement inférieur est roi – ici représenté par l’impact de la femme dénudée, sexe “faible” imposant sa force. À n’en pas douter, la réappropriation d’une telle figure, à la fois sensuelle et sociale, est une démarche tout à fait cohérente puisqu’elle résume avec clarté les particularités d’une oeuvre où les courbes des formes (les fameux dessins de l’illustrateur Seuss) se mêlent à la dimension critique de ce qui est conté (les messages du romancier Seuss). Pour le plaisir des yeux et de la caboche.

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Car Seuss, comme le démontrent les meilleures adaptations de ses écrits, qu’il s’agisse des délices animés grinchesques du grand Chuck Jones, as de la transgression cartoon, ou du delirum ultra-graphique qu’est Les 5000 doigts du Dr T. (énorme traumatisme pour le petit Tim Burton), est de ces romanciers dont les douces images crayonnées, à l’instar d’un Maurice Sendak, délivrent toujours un courant frais de subversion. Comme toutes les légendes, il fut d’ailleurs maintes fois victime de la censure, démontrant que la littérature d’enfance n’a pas son pareil pour foutre en l’air la stabilité d’un système, en réjouissant la bouche, spectacle oral et visuel des mots et de la beauté organique de ces croquis. Le corps du texte est un corps de jouvencelle, et les demoiselles rougissent comme un gosse potache qui vient de faire une bêtise. Dans un monde de costards-cravates, autant se foutre à poil et balancer des insanités comme on dévore des gourmandises.

À déguster sans modération.

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