Trois jours comme jury à la Fête du Slip
Cette année, la Fête du Slip, le festival porno sexe-positif de Lausanne, passait le cap de sa troisième édition. Pendant trois jours, 2500 spectateurs, une centaine de projections, de performances, conférences, rencontres et live se sont enchaînés pour célébrer une vision festive des sexualités et du porno sous toutes ses formes “non-mainstream”. Cette nouvelle édition décernait pour la première fois le prix international du porno sexe-positif sous forme d’un Slip d’Or. Le jury était composé de Jochen Werner, Maria Bala et moi-même. Un mois plus tard, retour en arrière.
Ellipse pornographique dans un Lyria
L’histoire commence Gare de Lyon, un vendredi après-midi dans un TGV direction la Suisse. Bien décidé à rattraper du travail en retard je commence à procrastiner en relisant le long programme de ce week-end accompagné d’un sandwich trop onéreux. Mon voisin d’aventure, la soixantaine avancée, jette rapidement un oeil sur ces pages et commente d’un oeil amusé : “Ça a l’air sympathique ce festival, c’est où ?”. Je réponds que c’est à Lausanne, explique rapidement le sujet du festival et retourne regarder les profondeurs de ma tablette en plastique. Mais le bonhomme est curieux et de questions en questions, on se met à discuter porno et sexualités.
Les autres voyageurs, plongés dans un silence d’or, tirent mentalement leurs oreilles pour mieux nous écouter — lui le senior malicieux, moi le jeune trentenaire bavard. La discussion glisse et dérive de tags en tags, de porn en cam. Il me parle de Cam4 et des jeunes camboys roumains qui l’amusent, on s’accorde sur le plaisir sans âge de la masturbation, il m’invite à venir faire du bateau dans les côtes d’Armor. Rapidement le paysage change, la neige du Jura fait son apparition. On arrive à Lausanne après avoir discuté pendant quatre heures de porno, à rendre dingues nos voisins qui ne pensaient pas qu’on pouvait parler avec autant de sérieux de cette mystérieuse “culture porn”.
Je suis accueilli sur place par un “ange”, le nom donné aux co-organisateurs qui veillent sur les membres du jury pendant le festival. Je jette un œil à Lausanne, une belle ville avec des montagnes autour, un lac et cette lumière éclatante me rappelle que, le reste de l’année, je vois plus l’Internet que le jour. On ouvre la porte de mon logis, un superbe loft avec dix mètres de plafond et du mobilier design à faire traîner nos mâchoires par terre. L’hospitalité suisse marque un point dans mon cœur, mais le travail commence déjà. Nous partons rapidement chercher Maria Bala pour rejoindre Jochen Werner à l’Arsenic, le centre névralgique du festival où seront projetés – en autres – les films en compétition.
Maria est Espagnole, réalisatrice, actrice de porno queer, membre du collectif Toy Tool Comitee et agitée par une force démoniaque qui met tout de suite à l’aise. On se marre dans la voiture, elle nous raconte son envie de lancer un festival sur les sexualités à Valence en Espagne et l’enthousiasme que suscite son projet. Arrivés sur place, Jochen Werner, programmateur du PornFilmFestival de Berlin nous attend sagement. Il est à l’opposé de Maria avec ses petites lunettes et son calme teuton. On forme un trio éclectique et complémentaire.
Jour 1 : sexe-positif de l’Arsenic au Bourg
Une vingtaine de films sont en compétition, mais nous devons en juger seulement six dans notre catégorie. On reste un peu circonspects face à la sélection que nous présente Stéphane Morey, co-organisateur du festival avec sa soeur Viviane Morey. Les propositions de porno sont très différentes et on a du mal à saisir ce que la Fête du Slip attend de nous. Jochen, pragmatique, décide qu’on décidera nous-même la portée à donner à ce prix. On valide son choix tout en feuilletant le second numéro de POV Paper, une production papier queer autour de la culture porn. Un article de Sarah de Vicomte intitulé “Qu’est-ce qui nous excite ?” y figure et parle des conflits profonds que provoque le porn entre l’excitation primaire et perverse et nos convictions politiques. Un manifeste pro-porno qui ne dit pas son nom mais qui mériterait d’être massivement diffusé. On espère qu’il trouvera un écho dans le web rapidement.
Les films hors et en compétition sont présentés par thématiques et diffusés plusieurs fois pendant le week-end. On commence par le cycle à “Fleur de Porno” avec Impulse Response de Four Chambers, un porno à l’esthétique travaillée entre Vex Ashley et Owen Gray mais qui fait bondir de sa chaise ma collègue Maria lors d’un cum on tits de fin (pourtant suivi d’un snowballing sympathique), elle griffonne sur ses notes des gros « NO NO NO ! » On s’accordera plus tard que Four Chambers représente certes le futur du porno mainstream (ce que Duff écrivait d’ailleurs ici l’année dernière) mais s’appuie encore trop sur des codes traditionnels pour vraiment secouer les bordures du porn, l’objectif sous-entendu de La Fête du Slip.
Définir les frontières du porn
En parlant de “mainstream”, le terme sera souvent repris et commenté pendant ce week-end. Qu’est-ce qui est mainstream, qu’est ce qu’il ne l’est pas dans le porn ? Face à une vision à mon sens trop binaire (d’un côté le “mainstream” des tubes forcément mauvais, de l’autre le porno alternatif, queer ou féministe forcément éthique et respectable), je n’aurai de cesse d’essayer d’amener de la mesure et de rappeler que tous les angles peuvent cohabiter à l’image des productions Kink ou de Dana Vespoli chez Evil Angel. À travers ce constat, on sent l’absence d’une terminologie détaillée du porno et les mots manquent pour expliquer les subtilités des productions (en dehors des références de réalisation ou de studios).
Dans les autres films de la sélection, plusieurs courts du brésilien Krefer nous percutent. Des films sans son, puissants et troublants. Chrysalis de Gala Vanting nous marque également par sa beauté, même si on navigue plus dans la quête spirituelle et l’exploration de la douleur que dans le porno en soi.
Après les projections, on discute, on mange, on boit et la nuit Lausannoise commence à nous tendre ses bras. On rate la performance “(Nou)” mais on se dirige vers le Bourg, ancien cinéma transformé en lieu de nuit où on assiste un peu décontenancés à des dj sets qui rendent la danse compliquée à accorder. Jochen me raconte ses premiers émois porno, je lui raconte mon amour d’Internet et de ce foutu dossier de porn disparu. Préférant la douceur de son lit à la chaleur de la nuit, il nous quitte, on continue la fête avec les “anges”. Maria nous abandonne peu après.
Je finis alors au Romandie, lieu associatif où la rappeuse La Gale sur ses terres alterne tube rap américain et Alkapote. Je me contente de danser mollement autour d’une faune éclectique et alternative. Anticipant les obligations du lendemain, je reste sage et retrouve mon immense loft où je prends une décision tout à fait judicieuse : prendre un pass 3 jours pour les Nuits Sonores.
Jour 2 : le marathon porno
La petite gueule de bois du réveil me rappelle qu’en fait j’avais peut-être un peu chargé la mule la veille, je pars donc à la conquête de Lausanne pour me rafraîchir la tête. Cette ville est en pente, au début c’est sympa, arrivé devant le lac avec la vue sur les cimes enneigées de la bouteille d’Evian, on se sent vraiment bien. Mais après, il s’agit de remonter à l’Arsenic et ça tire un peu sur les mollets.
Là-bas, une rencontre entre professionnels nous attend, composés du jury, Lucie Blush, des étudiantes en socio, ethno, gender studies ou des réalisateurs présents lors des projections de la veille (comme le collectif Fuck Art School). L’idée est de nous mettre en contact et de discuter autour des thématiques abordées pendant la Fête du Slip. C’est la première fois que je rencontre Lucie Blush (passée récemment de Barcelone à Berlin) et on discute un long moment de la complexité de tenir un site sur le porn, du manque d’évolution du milieu, de l’énorme difficulté de trouver des acteurs et actrices en France et d’avancer dans ce milieu qui ne jure que par l’argent.
Une heure plus tard, le marathon des séances reprend avec les sélections “L’objet de mes désirs” et “En chairs inconnus”. Pix, déjà remarqué au festival Only Porn, fait sensation et sera l’unique film exclusivement gay (homme) de toutes les projections. Do You Find My Feet Suckable? de Erika Lust est bien réalisé mais très convenu et ne nous emballe pas. Surtout si on le compare (mais est-ce vraiment comparable ?) à Queen Bee Empire de Samuel Shanahoy, ode queer au plaisir et à la jouissance. Une fraîcheur visuelle déconcertante, euphorisante et jubilatoire, mon coup de coeur du festival.
Les autres films sont tout aussi éclectiques mais Campos de Castilla de Karmen Tep & Urko Post-Op fait la différence. Tourné à l’iPhone à Castille, une région de l’Espagne très rurale et conservatrice, il met en scène sous forme de western queer, le concept d’Eco-sex : du post-porn détaché de la sexualité classique où l’épi de maïs devient un membre viril. À la fois politique et excitant, cliché dans son scénario mais hors du cadre porno traditionnel, il apporte une réflexion intéressante sur la représentation du genre et de la sexualité.
Le cerveau saturé
On fait une pause et on repart pour les dernières séances, mon cerveau commence à saturer de porn. Non pas que les films soient fatiguants, mais passer sa semaine la tête dans le porn, en parler non-stop puis reprendre le week-end commence à légèrement m’étouffer. Je tente quelques micro-siestes sur les longueurs de certains films qui n’ont pas été édités pour le festival (une erreur à mon sens) puis je reprends les chemins d’une activité plus professionnelle.
La sélection “En Chaires Inconnues” fait la part belle au genre et à ses différentes représentations dans le porno avec notamment BioDildo 2 de Christian Slaughter (également programmateur du PornFilmFestival de Berlin), une histoire d’échangisme ou plutôt d’égenrisme si on accepte les contours de ce néologisme. Le Crash Pad’s Guide to fisting nous enchante, la démarche de Lucie Blush dans Naked est intéressante mais peut-être pas assez poussée pour obtenir le grand prix. Enfin, un making-of de CrashPad Series (en compétition) a le mérite de montrer l’envers du décor du studio porn éthique, mais est-ce suffisant pour enfiler un Slip d’or ? On ne pense pas non plus.
On sort de ce porn-marathon avec une idée assez claire de qui va l’emporter, on se concerte à peine quelques minutes avec Jochen et Maria et on choisit Campos de Castilla pour le Slip d’Or 2015. On souffle le secret à nos “anges” qui avaient aussi parié sur celui-ci. Tout le monde semble satisfait et délivré du poids des délibérations. Je m’éclipse alors au Bourg pour retrouver un pote venu de Neuchâtel et Adrien du groupe Villanova, qui a fui la monotonie du Salon de l’Auto de Genève où il mixait. Les discussions tournent évidemment autour du porn et les pintes tombent comme des soldats à la guerre.
On assiste en remuant du boule à la prestation discoïde à paillettes de Hard Ton avec sa bedaine joyeuse et son public conquis. La nuit s’allonge comme la queue du Bourg, on se bouscule, on titube, on tente de se frayer un chemin pendant le set de Fraü Warrior, moitié de Sexysushi. Les bières se renversent, les gens s’électrisent, il est temps de choisir entre deux options : s’étaler de tout son vice et prendre plaisir à se faire marcher dessus ou rester pro et rejoindre son pieu. Ça sera finalement le sommeil qui l’emportera car je n’ai plus vingt ans.
Jour 3 : remise des prix et tombée de rideau
Un dernier réveil embrumé avant de prendre la direction l’Arsenic, où on doit distribuer les bons points et nos choix. On s’accorde pour rendre un Slip d’Argent honorifique à Chrysalis pour sa vision poétique de la douleur et des mentions spéciales pour Krefer et Queen Bee Empire diffusés hors compétition (pour nous).
Comme prévu, le Slip d’Or va à Campos de Castilla. On finit à peine l’écriture de notre discours en deux langues qu’on rebondit sur une table ronde sur le porn éthique avec Lucie Blush, Maria Balla, Claus Matthes (plus connu sous le nom de Christian Slaughter) et moi-même. Elle ne dure malheureusement qu’une heure et la traduction anglais/français devient un peu trop chronophage pour avancer dans les débats. On soulève tout de même des points importants sur l’économie (ou le choix de ne pas en avoir) du porno queer, féministe ou alternatif ; le futur du porn et les ponts impossibles entre les milieux porno et hors porno. Le porno est peut-être “partout” mais il n’en reste pas moins (économiquement) coincé dans son ghetto.
Une fois la table ronde terminée, on retourne avec Jochen et Maria au Bourg pour des répétitions qui n’auront finalement pas lieu. On occupe notre temps en mangeant sagement avant la cérémonie de remise des prix.
Stéphane et Viviane, en organisateurs et maîtres de cérémonie, remettent le « prix du public » pour Crash Pad’s Guide to Fisting et celui des internautes pour Pix. On monte alors sur scène pour notre petit discours. Karmen Tep & Urko Post-Op gagnent et tout le monde est heureux. La cérémonie continue sous les remerciements et les applaudissements soutenus, puis les films sont projetés une dernière fois. L’occasion de continuer à descendre des mousses et discuter de porn et toujours plus de porn avec les gens présents sur place. La fatigue et la fin commencent à chanter le requiem de cette troisième édition de la Fête du Slip. Il est temps, après avoir remercié tout le monde, d’aller de rendre mon tablier de jury.
Retour à la case départ
Ces trois jours de festival savamment orchestrés ont été le théâtre de riches débats et échanges. Ils prouvent une nouvelle fois que le porno s’accorde au pluriel et n’est pas seulement une machine à cash américaine ou d’Europe de l’Est, mais aussi un genre qui permet l’exploration et la représentation des sexualités.
À bord de mon Lyria, Paris me rappelle comme un aimant. Je regrette seulement d’avoir raté bon nombre de projections et de performances, mais aussi de ne pas pouvoir en parler avec un nouveau voisin d’aventure. En effet, il avait cette fois-ci la trentaine et dormait la bouche ouverte pendant que je m’attelais à rattraper du taff en retard. Les retours sont toujours moins constructifs que les départs.
Image en une par © Laura Spozio
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