Les coquineries de Rachel Bloom
Où ranger Rachel Bloom ? Au Bon Fappeur ? Au rayon Pornophony ? Dans un recoin de notre cerveau gavé de pop-porn culture ?
Rachel fait partie de ces filles atomiques, drôles et sexy, de ce genre de comiques faites-femmes capables de simultanément nous faire fantasmer sur leurs jambes tout en punchlinant à l’envi. S’entrelacent dans nos songes humides et burlesques Tina Fey, Sarah Silverman, Kristen Wiig ou encore, pour les nostalgiques, Jennifer Aniston et Alyson Hannigan. Les vieux de la vieille porteront volontiers en étendard la fédératrice Julia Louis-Dreyfuss comme exemple du bon fap mâtiné de rigolade. La vanne n’est pas seulement scato dans la bouche de ces anges et démones, mais porte directement sur la perfection des atouts, devenus non pas qualités réductrices mais arguments de l’hilarité. L’autodérision se fait dérision d’un corps, source de désirs à la fois appaisés et galvanisés par le rire. La conscience du sex-appeal se transfigure en running-gag, et n’importe quelle pose un tant soi peu hot devient un trick humoristique. La modernité du ton épouse pour ainsi dire nos plus ancestrales pulsions. Car, excusez du peu, mais il y a de quoi craquer face aux émoustillantes propositions de Rachel Bloom.
Rachel est folle, sinon elle ne scénariserait pas la mythique série Robot Chicken pour Adult Swim, la chaîne capable de te proposer à la fois du Dan Harmon et le meilleur court-métrage de ces vingt dernières années. Rachel est dingue, cela va sans dire, mais pas que. A travers ce regard coquin palpite une organique lucidité. Et cela se perçoit à travers ses chansons à la fois délirantes et érotiques. Et plus précisément à travers son hit.
Ce plus gros succès en question, c’est Fuck Me Ray Bradbury. Une love story déjantée entre l’un des génies de la science-fiction, véritable poète des territoires fantasques, et la fanboy absolue, incarnée par Rachel herself. Une ode à ce beau gosse de Ray Bradbury, contenant tous les ingrédients du style fatal de l’artiste Bloom en cela que l’exagération drôlatique se conjugue aux images sensuelles d’une créature de rêve. L’idée de base, célébrer tout un pan de la culture populaire, est aussi admirable que l’accueillante poitrine de la demoiselle. Sous fond de rock punchy, Bloom détourne alors les chorés de Britney pour délivrer une émouvante déclaration d’amour à l’imaginaire geek.
Si ce tube demeure sa meilleure oeuvre musicale, c’est parce que s’en dégage une véritable compréhension des fantasmes générationnels. La nerdy girl n’est plus un cliché repoussant, une outcast, un second couteau de teen movie juste bonne à être humiliée à coups d’appareil dentaire encombrant ou d’acné purulente. Elle n’est plus une freak mais une hottie. Les temps ont changé : elle est désormais ce fruit à croquer, ce livre mystérieux dont on aimerait feuilleter les pages, ce tag parfait. Un Saint Graal trop longtemps resté enfermé dans cette citadelle qu’il va falloir ébranler. La passion incontestable de la nerd girl renvoie directement à la passion charnelle et son look ô combien iconique (petites couettes, pyjama, lunettes) la fait presque surpasser les modèles d’antan, ces bimbos blondes juste bonnes à jouer les cheerleaders.
Bloom transforme à juste titre la nerd girl en pom pom girl d’un jour, vantant les mérites non pas d’un cosmetique ou d’une marque de fringues mais d’un romancier exceptionnel et du besoin urgent de lui rendre hommage par la frénésie sexuelle. On se met alors à s’exciter en pensant à toutes ses adulatrices de jeux de plateaux prêtes à s’amuser par de plus polissons jeux de mains jeux de vilains. Motif central, le bouquin de sf, objet de prédilection de toutes les chicks trop longtemps restées sous leurs couvertures lors de lectures nocturnes, devient le symbole ultime du sexe. Avec force fétichisme, on le tient bien en mains, on le caresse amoureusement, on le traite avec délectation, on le claque sur ses fesses, le promène sur ses seins, on le lèche avec appétit. Par ce mix entre le regard premier degré du spectateur porté sur le charme implacable de la douce et la second degré dévastateur qui en est l’atout satirique, Bloom assume en quelques minutes un véritable style.
Chaque clip sera alors l’occasion de railler gentiment les pulpeuses de la pop music, tout en se sublimant en icone glamour parodique. Et toujours avec cette même nécessité de prendre la température de son époque. Ainsi I was a mermaid and now i’m a popstar remake Splash de Ron Howard façon Lady Gaga, via une certaine attirance pour le grotesque what the fuck que ne renieraient pas Trey Parker et Matt Stone. Les incongruités et exubérances du milieu du spectacle prennent la forme d’un délire potache. Et dans le genre mauvais goût rigolard, Bloom ira plus loin en dédiant une balade romantique à ce qu’il y a de plus beau à photographier : la teub. C’est toute l’absurdité du selfie porn que la belle traite non sans lyrisme. Et au sein de cet univers où masturbation et rigolade ne font qu’un, la bite devient le mètre-étalon de la romance 2.0.
Enfin, avec You can touch my boobies, tout semble être dans le titre, et pourtant… En offrant à ses seins (qu’elle a plutôt gracieux) le rôle principal d’une entière chanson, Rachel témoigne par l’hyperbole cocasse de ce culte du corps prégnant dans l’univers musical féminin, en limitant volontairement son art à la magnificence incontestable des boobs. Mais plus que cela, par le biais d’une clairvoyance certaine, elle rétorque au Stacy’s Mom des Foutains of Wayne en contant les premières érections d’un gosse désirant plus que tout prendre en mains les seins de la maîtresse. Une certaine ode à la MILF, objet initiatique du porn en cela qu’elle cristallise par excellence nos premiers fantasmes infantiles. Image névralgique puisque d’American Pie à Kick Ass elle ne cesse de hanter le panorama de la culture ado.
Finalement, en consacrant autant de place à nos obsessions, de l’egotrip à la maîtresse d’école en passant par l’ado nerd lookée façon babysitter, Bloom portraitise avec doigté la société mâle de son temps. Du girl power à la Rihanna aux rock bands girly, Rachel Bloom fait de ses boobies des armes de destruction massive, en nous faisant marrer des codes visuels et thématiques du clip contemporain et de notre reine-libido. On s’en réjouit en plongeant dans les Chroniques Martiennes comme l’on plongerait dans son vertigineux décolleté. En chute libre.
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