Sex Crimes : le threesome de notre adolescence

It’s like a three-way collision between a softcore sex film, a soap opera and a B-grade noir. I liked it. (Roger Ebert)

Wild Things, Sex Crimes… peu importe le titre. En quelques syllabes on nous promet des choses sales et sauvages. Durant la décennie 90, quand bien même Adrian Lyne parvenait encore à survivre (en nous faisant sa Proposition Indécente), l’heure n’était plus au sexe timide filmé comme un clip tendance. Le public souhaitait quelque chose de plus moite. De plus cru. Et dans le domaine, voilà du hot que les bouffeurs de VHS n’ont pas pu oublier.

À première vue, on est en présence de ce genre de film qui semble ne rester en mémoire que par son climax. Un peu comme le baiser humide échangé entre Sarah Michelle Gellar et Selma Blair dans Sexe Intentions. Loin de la réécriture postmoderne des écrits de Laclos, Sex Crimes explose les compteurs avec un threesome anthologique. Quoi de mieux  qu’une jolie partie à trois dans un chambre de motel pourri avec string en évidence, seins au garde-à-vous aspergés de champagne et coquineries lesbiennes ? Complètement gratuite et décadente, cette polissonnerie permet surtout d’évoquer l’intérêt d’un film trop mésestimé.

Les termes-composés aléatoires constituant le titre sont moins stupides qu’il n’y parait. Explicitement, ils appuient la référence directe du film : Basic Instinct. Instincts basiques, crimes sexuels, parties de jambes en l’air et torride moite…à travers ces évocations primaires c’est tout un cinéma désincarné et à la limite du cynisme qui dévoile sa chair. Si les corps sont mis à nu lors d’ébouriffantes séquences, c’est pour mieux faire passer les vessies pour des lanternes. Pour bien comprendre la raison d’être d’une vaste farce assumée comme Sex Crimes, il faut connaître l’oeuvre de son metteur en scène, John McNaughton. Le réalisateur du traumatisant Henry: portrait of a serial killer aurait-il sombré dans l’érotisme bon marché, le sexe facile estampillé séance de minuit pour fanas d’Hollywood Night ? Loin de là.

Fasciné par le pouvoir manipulateur de l’image et le vertige des perceptions, le cinéaste surfe sur la vague de thrillers pour bourgeois en manque de sensations fortes façon Sliver et propose un mix entre Verhoeven et De Palma. On s’excite sur du vide, du factice, on contemple un miroir déformant. Les clichés du teen movie sont là : bimbo bandante, copine effacée, mère MILF, campus et potacherie. Ceux du film d’enquête aussi : flic un brin loser, faux-vrai(s) coupable(s), passif douteux, interminables jeux du chat et de la souris, affaire à tiroirs… Sauf qu’à l’image de la scène de sexe qui lui est centrale, le divertissement nous baise en beauté. Car SexCrimes est avant tout une outrancière parodie des films-à-twist, sempiternel procédé cinématographique qui a particulièrement explosé durant la décennie 90s. Un foutage de gueule olympique.

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McNaughton filme le sexe comme si la moindre scène devait être un écho à Body Double, c’est à dire un attrape-nigauds vertigineux et salace comme il faut. Si Hitchcock se la jouait fétichiste d’or en faisant une fixette sur les chignons de ses actrices, c’est désormais les poitrines provocantes qui font office de troubles identitaires, de vertigo. Racontant une bête histoire de teenagers lesbos où chaque personnage est un peeping tom en puissance, le cinéaste fait du spectateur le premier voyeur du spectacle. Sont alors mises sur pellicule nos perversions “sauvages” un brin beaufs, nos désirs poisseux de redneck. Chaque personnage n’est qu’une silhouette, une ombre, et cette sorte de Cluedo pour amateurs de nudité gratuite tourne en dérision les stupidités scénaristiques de l’industrie hollywoodienne. Les masques tombent et, à l’image de la scène de sexe en trio, tout se révèle être de l’ordre du fait-semblant comme du faux-semblant. Devant SexCrimes, on a l’impression d’assister à un strip tease obscène à travers lequel chaque fringue enlevée laisserait la place à une autre. Le sexe y est fondamental car il symbolise le concept du film : l’envie de résumer chaque figure à un corps et de métaphoriser via cette image de la levrette l’art du retournement de situation qui met nos sens en émoi. Si l’on s’excite face aux fesses d’une cheerleader, il faudra accepter de ne voir en elle qu’une apparence grotesque, forcément trompeuse. Un enveloppe vide.


Women are not just predators but predators who camouflage themselves as prey.

Rupture annonçant une succession de rélévations-choc, ce threesome fonctionne tout aussi bien à un premier degré de lecture. Dans l’idée, cette escapade charnelle est aussi vulgos que la scène de la piscine. Quelque chose de langoureux et de bien appuyé. Mais surtout, il y a le regard ténébreux de Neve Campbell, la sacrifiée sublime de la génération Scream. La fille dramaturgique faite de cuir noir. Quand la caméra se plaisait encore à immortaliser son visage singulier, on se noyait dans ses yeux et on rêvait d’être son petit ami d’un soir. Un délire typique d’ado libidineux obsédé par cette actrice énigmatique libérant une espèce de mystère gothique .

En bonne héroine de slasher movie, Campbell partage avec sa mère spirituelle Jamie Lee Curtis des jambes interminables, celles-là mêmes qui font croire en l’infini. Un corps vertigineux de danseuse-étoile et un charme nocturne qui rappelle fortement le charisme d’une Kirsten Dunst. Comme cette dernière, Neve est la fille fantasmée dont on tombe amoureux, au fond de la classe. Sauf que Campbell, la grande oubliée du milieu, n’est jamais vraiment revenue de nos songes d’antan. On s’en souvient avec émoi, comme une rêverie absolue des années collège. Belle idée de la coupler avec Denise Richards qui lui semble tout à fait opposée. Denise est sans grâce, c’est un pin-up de l’ère moderne, un corps qu’on ne peut pas déchiffrer. Automatiquement sexuel, celui-ci aurait sa place à travers les pages glacées de Playboy. Si Neve est la brune à sauver, Denise est celle qu’il faut égorger. Entre les deux, notre coeur balance (quand même) un peu.

Toute notre libido d’ado est là-dedans. La timide qui cache bien son jeu, et la bitch dont la seule raison d’être est de rester une bitch jusqu’à la mort. Entre ces deux femmes iconiques, quelques mâles patauds, maladroits, pathétiques, stupides, juste bons à crever. Non seulement John McNaughton pousse le thriller (film à frissons) jusqu’au non-sens, mais il cristallise parfaitement nos désirs en les transfigurant en poupées de cire. Dénuées d’émotion et de chaleur. Passée la masturbation, la scène de sexe n’est plus qu’un flux d’images. Passés les twists qui sont autant de fornicages, le personnage n’est plus rien et est jeté comme un mouchoir à la poubelle.

Depuis la sortie du film, c’est à dire une bonne quinzaine d’années, les tops scène-de-sexe de la toile consacrent chaque mois voire chaque semaine ces quelques minutes en modèle de cinoche éjaculatoire. En une conclusion génialement logique, Sex Crimes est donc devenu populaire grâce à une scène de sexe simulée…alors que l’entier film est justement dédié à la simulation. La blague totale.

Ou quand l’érotisme mainstream atteint un niveau de cohérence aussi beau que les premiers jeux de poignet de l’époque juvénile…

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