Quand James Gunn nous régalait avec ses PG-PORN
« For people who love everything about Porn…except the sex. »
De 2008 à 2009, Spike.com, extension 2.0 de Spike TV, a accueillit la web-série PG-Porn de James Gunn. La note d’intention de l’artiste était pour le moins croustillante : “How many times have you been watching a great porn film – you’re really enjoying the story, the acting, the cinematography – when, all of the sudden, they ruin everything with PEOPLE HAVING SEX?”. Ces courts instants de comédie seront alors du porno sans sexe explicite, ce qui n’adoucit en rien la philosophie de transgression généralisée qui y est magnifiée. S’entourant de stars du petit écran (Craig Robinson de The Office, Nathan Fillion de Firefly, Michael Rosenbaum de Smallville), et de beaux noms du porn (Aria Giovanni, Sasha Grey, Belladonna, Jenna Haze, Bree Olson, Marie Luv), Gunn conçoit cet entre-deux de sa carrière – précédant l’écriture de Super avec Ellen Page – comme un intermède lui permettant de rendre hommage à la contre-culture.
Orgazmo/PG-Porn
Ça commençait fort puisque le premier épisode, sobrement intitulé “Limer ta femme” (Nailing your Wife), n’a pas manqué de susciter quelques plaintes. Ceux qui s’attendent en guise de chute à un cumshot risquent d’être surpris. Le ressort central de ces “pornos tout public” est avant tout le twist-ending, le quiproquo, le retournement ironique, gratuitement jackass : débile, cruel, violent, et dans le meilleur des cas tout cela à la fois. Alors qu’un pépère un brin croulant comme Larry Clark se la joue démago avec son sketch pour le film Destricted, Gunn nous démontrait qu’on pouvait à la fois démontrer l’omniprésence du sexe au sein de la société américaine (du langage aux programmes, entre métaphores grivoises abondantes et fantasme virtuel de la baise accessible)… et s’en amuser comme un gamin nourri à Beavis and Butthead et à South Park.
Preuve en est ce Squeal Happy Hours : s’il est question d’une “motherfuckin erection” ou de “cock into your mouth”, Gunn emprunte deux des obsessions récurrentes de Trey Parker et Matt Stone en conciliant la comédie musicale et les fantaisies génitales. Quoi de plus logique, puisque les paternels de Cartman ont, comme James Gunn avec Tromeo et Juliet, débuté chez Troma (remember Cannibal ! The Musical). Mais surtout, s’il y a une filiation entre les PG-Porno et les oeuvres des compères, il faut la chercher à travers un classique de la satire porn, dont le cinéaste revendique l’influence : Orgazmo.
Recyclant un identique gimmick instrumental avant chaque nouvelle partie de jambes en l’air, Gunn à l’instar de Parker et Stone envisage le porno comme un fabuleux terrain de comédie de situation et un argument en or pour railler l’industrie du spectacle. Du metteur en scène pathétique – Gunn lui-même se prête au jeu- à la platitude narrative des divertissements produits à la chaine, tout est déformé par le prisme du gag hénaurme (cmb). Avec ses PG-Porn, James Gunn ne raille pas tant l’acte porno en lui-même, mais s’éternise sur les off foireux de la fiction : l’accent ridicule d’un acteur, la prononciation tonitruante d’un mot, l’intonation débile d’une phrase, les sous-entendus dissémés de-ci de-là, le rôle du langage et l’impact comique de la mise en scène. Le porno devient un château de cartes minutieusement élaboré puis bazardé d’un revers de la #bigcock.
Avec Squeal Happy Hours, le cadre serré du classique schéma “une pièce, une baise” se voit alors transcendé par les exubérances formelles propres à la réalisation du spectacle musical (travelling avant et circulaire prononcés, plans en plongée tout en exagérations, etc). Et quand il s’agit de s’astiquer le manche, quelques notes de piano dramatiques font de cette stupidité assumée un petit opéra du fap. Bref, après avoir brutalisé Shakespeare en l’introduisant dans le petit monde du trash et transformé une banale chronique de couple en dégueulasserie digne de Brian Yuzna (Horribilis) Gunn invite Broadway en pleine antre du #handjob. De quoi donner ses lettres de noblesse aux vidéos que l’on aime tant.
Le même discours se propage d’ailleurs dans High Poon. En brisant le quatrième mur au bout d’une minute, le cinéaste décortique avec humour les mécanismes d’un tournage olé-olé, se dépeignant en Kubrick du cul, perfectionniste s’épuisant à refaire une scène banale de blowjob redneck comme s’il tournait Shining en plein bar miteux. Au-delà du running-gag épuisant comme un doggystyle tonique, Gunn s’y perçoit alors comme un pro prenant au sérieux ces conneries vintage. Au gré des épisodes, cette web-série va vite devenir une déclaration d’amour toute personnelle faite au foutre de pellicule. Une pellicule malaxée comme les teubs, une pellicule venue d’une autre époque.
Kid de la culture porn
Et pour cause, puisque pour Gunn, il s’agit de mettre en images ses souvenirs d’antan. De retrouver par le burlesque outrageux cette émotion bizarre, réaction émotionnelle à ce qu’il nomme “l’étrangeté” de la mise en scène et des dialogues des films érotico-pornos de sa jeunesse. En découlent alors des histoires oscillant entre l’humour absurde et le grotesque, voire le Grand-Guignol. Par exemple, avec A Very Peanus Christmas, Gunn parodie…la parodie porn. S’exercant au pastiche de pastiche XXX, il délivre une version généreusement orgiaque et gore du classique A Charlie Brown Christmas. Car ce qu’affectionne particulièrement Gunn, qui ne se doutait clairement pas qu’il allait finir en blockbuster-maker, c’est l’aspect délibérément Z du X. Peu de moyens, des jeux d’acteur à la qualité aléatoire, un cadre rudimentaire, un plot sommaire.
En demeurent fidèle à ces caractéristiques boiteuses, Gunn relie cet imaginaire qui l’a bercé à celui des jets de sang bon-marché, de l’insanité facile, du crade potache à deux balles, à savoir tout ce que lui a enseigné le cinéma de genre fauché et par extension le pape du mauvais goût, Lloyd Kaufman. Ayant grandit avec la saga Vendredi 13, l’artiste n’a jamais oublié ce mélange d’insouciance et de perversité qui fait le bon porno comme le bon film d’horreur. C’est d’ailleurs ce mix qui fait toute la qualité d’une blague macabre comme Genital Hospital. Et de sexe en sexe, le cinéaste cherche à retrouver l’état d’esprit du cinéma de quartier, qui a depuis laissé la place aux soirées nanars à domicile entre cinéphages alcoolisés. Un cinéma d’adolescence. Une madeleine de Proust qui sent bon la pisse des obsédés sexuels du dernier rang.
Affirmons-le, cette série burlesque est donc son projet Grindhouse. Si Tarantino et Rodriguez ont été éduqués par le bis furieux, il en est de même pour le réalisateur des Gardiens de la Galaxie dont les expérimentations parodiques ont tout à voir avec un certain cinéma d’exploitation, revenant sur l’âge d’or du X. Un X volontiers granuleux, cheap et discordant. Avec ces PG-Porn, l’exercice ultra-exploité de la parodie postmoderne masque mal une réelle affection pour ce cinoche malaimé. Une culture alternative qui, à n’en pas douter, a fait du cinéaste ce qu’il est. Tout comme dans Les Gardiens de la Galaxie les tubes musicaux datés ont pour but d’exprimer sans détour l’attachement du personnage à sa mère, quand Gunn balance ses PG, il le fait en famille, s’aidant de ses frérots Brian et Sean – l’accompagnant également en tant qu’interprètes – pour établir une cartographie du fap. Bref, deux histoires de liens du sang (amour entre un fils et sa mère, affection entre trois frères) qui font de ces variations porno très second degré de véritables dialogues entre les générations, par-delà la facilité du cool, entre le public contemporain et les souvenirs ados.
En témoigne le cultissime Roadside Ass-Sistance. Gunn y jubile à l’idée d’employer l’une des plus grandes stars de l’industrie pornographique version web, la nouvelle reine du amat’, Sasha Grey. Mais plutôt que de jouer sur la dimension rigolote du dirtytalking, le cinéaste affuble la belle des pires clichés d’un cinéma porno old school, gravé au marbre dans l’inconscient populaire. L’une des égéries de la génération Youporn se voit donc introduite dans un monde calqué sur les mauvais délires érotiques des années 70, à coups de tuyauterie à réparer, de carrosserie et de gros outils luisants. Par cela, Gunn se remémore ses premiers faps en vidéo quand les gosses potaches branchés 24h/24 sur les services de chat et Pornhub s’amusent de voir Sasha, loin de ces vélléités auteuristes à venir, jouer non sans autodérision la candide de service tout droit sortie d’un univers archaique.
Tout au long de sa carrière, James Gunn ne cessera de privilégier cette nostalgie. Aussi bidons soient-ils, les Scooby-Doo qu’il a scénarisé ont au moins la (fausse) bonne idée de mélanger les dérives teenage des seventies, en mode hippie, stoner movie et power pop, avec les aspects les plus régressifs des années quatre-vingt dix, comme Matthew Lillard et Freddie Prinze Jr. respectivement deux stars du teen movie de cette décennie passée. Une façon ludique d’oser le kitsch aux débuts du vingt-et-unième siècle.
Et à l’instar d’une Sasha Grey passant de l’amat’ à Hollywood ou d’un James Deen tournant pour Paul Schrader, Gunn a glissé de Troma à l’usine à rêves. Il a ainsi pu démontrer sa filiation avec John Waters, celui-là même qui faisait tourner Tracie Lords dans le tout public et non-moins volontairement désuet Cry Baby. Ce chemin vers le mainstream, doublé d’un mauvais esprit assumé, l’identifie totalement à ces déesses du sexe qu’il aime faire tourner et, surtout, détourner.
PG Porn est donc un fantasme dans le fantasme. Celui de voir le petit monde du porno être parasité de l’intérieur, ouvertement détraqué, pour enfin s’assumer comme ce qu’il est : une farce cheesy et une illusion théâtrale. Jeu avec les codes et les icones, ces exercices de style potaches façon MTV ne demandent qu’à être davantage reconnus. Parole de fappeur.
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