Gérard Depardieu ou le food porn « à pleines dents » !
Les chaînes gourmandes Arte et France 5 constituent l’alternative culturelle à la food tv standardisée. Pas de spectacularisme bouffon à la Master Chef, de FUCK OFF style Cauchemar en Cuisine et de découpage façon blockbuster comme dans Top Chef. Car Cuisine Sauvage, La Tournée des Popotes, Les escapades de Petitrenaud, Cuisines des terroirs ou encore Les aventures culinaires de Sarah Wiener sont autant de programmes qui laissent le temps au temps et la place aux papilles gustatives plus qu’à la compétition sportive du cuistot frimeur. Ici, rien de fast en vérité, mais beaucoup de food.
À ce palmarès vient s’ajouter une pièce de maître, ou plutôt un morceau de choix : ça s’appelle A pleines Dents et c’est Gégé qui régale. Ces gros durs d’Etchebest et Ramsay n’ont plus qu’à fermer leurs mouilles face à la barbaque imposante d’un ogre fort en gueule. Quelque part que l’homme soit né, il faut qu’il mange…
La grande bouffe
L’idée ? Ecosse, Italie, Bretagne, l’acolyte de Pierre Richard foule du pied tous les lieux de pèlerinage où il fait bon se remplir la panse. En ces temps de surmédiatisation d’une bouffe devenue spectacle industriel, et surtout de phobie généralisée où, dit-on, la moindre viandasse un peu rouge est susceptible de causer des cancers sur trois générations, il n’est que plus agréable de redécouvrir la nourriture comme une forme de spiritualité, au calme, décontracté du gland, loin du junk.
Dans A pleines dents on admire les paysages naturels et l’immensité du panorama comme le ferait un Walter Scott ou un Jim Harisson, on se régale le bec avec de l’alcool parfumé, un bout de crevette salée ou une huître subtilement aspirée, de celles qui respirent encore la mer, cet océan que décrivait Melville ou Hemingway. Poules, vaches à traire et citrouilles sont les acteurs de cette partouze naturaliste. L’herbe est fraîche et ça sent bon la paille, les oeufs frais et la boue.
Le food porn c’est la Terre. Philosophiquement étudiés, le lieu arpenté et le goût ne font qu’un. “Je suis une mauvaise herbe. Les mauvaises herbes ça vole partout, vers les autres, vers le partage. Le voyage ouvre des portes que nous croyons fermées et nous offre un monde différent, loin de nos pensées arrêtées. Le voyage c’est aussi ce qu’on sent, ce qu’on voit, ce qu’on goûte. C’est être abasourdi par la beauté.”. Lyrique, Gégé devient poète, plus proche de Gustave Flaubert et Lamartine que de Ronsard, son généreux embonpoint le faisant volontiers pencher du côté dudit Gustave. De la bouffe, bordel !
Non sans romantisme, la vastitude des paysages dans A Pleines Dents renvoie à celle des banquets rabelaisiens, et cet air pur de Mère Nature qu’on hume, loin des fosses urbaines, est comparable au bouquet du pinard millésimé.
Le food porn c’est la pop culture
“La cuisine convient au partage, sensitif, émotionnel, physique. Un voyage dont on ne sort pas indemne. Et c’est tant mieux.”.
Gérard Depardieu a tout compris au food porn, manière par excellence de partager une culture multiformes. Enivré par ce voyage initiatique qui a tout de L’Odyssée d’Homère – oeuvre qu’il raconte tel un aède – ou du Tour de Gaule d’Astérix, ce bon vieux Obélix met l’accent sur l’échange, les rencontres humaines, la vox populi, qu’il s’agisse du jeune paysan – ex étudiant rennais en Socio ! – préparant ses mets au fond de la Bretagne ou du travailleur italien pas dupe des injustices gangrenant sa patrie. Même après avoir tourné avec les plus grands et enchaîné les comptoirs/tablées aux côtés des stars internationales, Gégé demeure plus que jamais notre Gégé.
Comme Marcel Pagnol, le food porn qu’il aime sent bon la poiscaille sortie du port, le pastis et les conversations entre messieurs-tout-le-monde. Le food porn est une pop culture, aussi populaire qu’un bouquin de Simenon ou qu’une bolée de cidre brut.
Comment envisager la richesse émotionnelle que peut et doit procurer le food porn ? “Il nous faut prendre du recul. Regarder pour comprendre, entre ombres et lumières. Il ne suffit pas de savoir, il faut connaître« . Émietté par le temps, l’enveloppe alourdie par le pinard et l’âme riche d’expériences, Depardieu s’évertue désormais à fuir les précieuses ridicules pour rencontrer son public, celui de la classe laborieuse, les petites gens chères à Victor Hugo, les réveille-tôt, les amoureux de la Nature, les purs et durs, les modestes, ceux qui travaillent le fromage et s’en calent un bout sur le coude entre deux gorgées de vin rouge.
Et ce peuple à la Jean Giono qui est aussi celui des pubs irlandais, il le renvoie à la force symbolique d’une littérature organique, qu’il n’a pas découvert sur les bancs de l’école mais au gré des boulots trimards nécessaires pour gagner une bouchée de pain, à savoir la prose savoureuse d’un Alexandre Dumas, « l’un de mes doubles« , et de son Dictionnaire de Cuisine. Depardieu a incarné le bon Dumas, c’est dire s’il y connait quelque chose, en boustifaille.
« Cuisiner doit être une aventure« , digne d’une robinsonnade, d’un Jules Verne ou des péripéties de Monte-Cristo. Le food porn, quand bien même il se caractérise par une omniprésence de produits d’outre-atlantique (cakes, burgers et compagnie) est une culture fondamentalement française, qui se traduit par un dialogue culturel et une volonté de transmission. Depardieu nous le rappelle pertinemment : la bouffe, c’est important. Au moins autant que les copains, ceux avec qui l’on partage le pain. Sur Twitter ou Instagram, on peut partager nos baguettes avec toute la planète, la bouffe acquière tout son sens collégial, son essence communautaire.
Madeleine de Proust et Pâté en Croûte
Le food porn est une escale sensationnelle : on share, on voit, on zieute, ça fait chboum là-dedans. Pour Gégé, son voyage à lui est extérieur – la quête de la gourmandise – mais surtout intérieur. Il fait le bilan, calmement. Cette bectance qui pourrait être la dernière de sa vie, Depardieu la prend en pognes, la sent, la ressent, communique et communie avec elle. Et en faisant cela, il atteint une terre qui nous dépasse, celle des esprits : la moindre pomme de terre ou plat en sauce l’invite à évoquer son vieux pote, le défunt Jean Carmet. Et en fin de repas, le voilà qui se remémore les flatulences de Bernard Blier…Depardieu a beau déconner en compagnie d’Edouard Baer ou téléphoner à Guillaume Galienne, il mange des algues en demeurant hanté par ses souvenirs. Père, mère, Jeannot, Bertrand, Dewaere, Coluche, ils sont tous là bas, à se chauffer l’estomac au Paradis.
« Quand un gros mangeur comme moi déprime, il cuisine » ajoute Depardieu. CQFD.
En mangeant, nous prenons en bouche notre passé, ce que nous avons jadis vécu, ce que nous avons égaré ou perdu à jamais, ce que nous ne sommes plus, ce qui a façonné notre identité. « L’identité c’est la force » précise un vieux sage avant de partager un lapin en compagnie du Gros Gégé. Humanisme forcené que cet adage, puisqu’au-delà des langues et des folklores, la nourriture ne nous renvoie qu’au caractère universel de ces bons moments, ces instants de grâce et de bonheur. Quant au cholestérol, dit l’acteur, il le doit « aux cons !« .
Les clichés food porn ne sont rien de moins que des bribes de plaisir, des instantanés de bonhomie, n’en déplaise à ceux qui n’y voient qu’un phénomène culturel vide de sens et de chair.
N’oublions pas comme le dit l’acteur que « la cuisine c’est avant tout connaître le produit et son origine« . Quelle origine ? L’enfance, évidemment. Qu’il nous cause affectueusement du potage de sa mère ou du mythique ragoût de son père, Depardieu cherche, en bectant, à retrouver ses racines, quand bien même elles seraient à l’autre bout du monde. On en revient à l’éternelle rengaine de la Madeleine de Proust…sauf que déjà tout gosse, Gégé s’en contrefoutait, des maigres madeleines, et préférait le pâté en croûte fabriqué à la main ou le tord-boyaux de son oncle.
Le food porn, c’est le plaisir gratuit du momentané, mais aussi la saveur, amère comme un citron, de la mélancolie.
D’acte multidiffusé sur les réseaux sociaux, le food porn retrouve son essence intimiste. Un peu comme ces après-midis passées à pêcher, en compagnie de son grand père, en attendant que le soleil se couche. Le souvenir – ce goût de la mémoire cher à Emmanuel Giraud – ne fait qu’attiser l’appétit plus encore, car « de la cendre surgit la vie et sa meilleure recette : le désir.” clame Gégé. Comment mieux vous faire comprendre ce qui nous plaît tant à travers le concept de FOOD PORN ? Comment plus précisément vous l’expliquer ? Il suffit d’écouter le duc.
Le food porn, comme le porn tout court, c’est ceci avant tout : le désir. On s’attable et on attend le jambon costaud, la fourchette en amont. Quand on becte, on déshabille une femme, vêtement après vêtement, on savoure chaque instant qui nous rapproche de l’orgasme. Toast grillé, foie gras fondant et confis de figues sont autant de sous vêtements en dentelle affriolants. Le désir craque sous la dent.
Et on bandera quand on aura envie de bander.
Sus à la food porn tv !
De l’aromatique “café en attente” de Naples au haggis hardcore d’Ecosse en passant par les odeurs appuyées du fromage provencal, Depardieu aime ce qu’il avale, mais surtout, il EST ce qu’il avale : goûtu, remuant, solide, épicé, poivré-salé et flamboyant comme une lancée de cognac qui brûle les tripes. Il se contrefout des conventions sociales, artistiques ou institutionnelles au sens large : « Je préfère les cochons aux impôts » dit-il, subtilement. Il n’est pas un chef étoilé, un obsédé du Guide Michelin, un critique légitime ou un blogueur-pantin, il n’est autre que lui-même. Un bouffeur de truites qui se solidifie le mental avec l’emmental.
La bouffe, il la goûte, il la remue, lui prend le pouls, il la vit, sans chichis ni langue de bois, sans ambition d’artiste contemporain à la mord-moi-le-noeud. Il épure la food porn tv de l’image médiatique, de l’ordre hiérarchique, de l’autorité, des codes culinaires et du garde-à-vous. Ces règles télévisuelles il les tranche finement en lamelles et les case dans son casse-dalle, les noie de mayo et s’en remplit le caisson afin de ponctuer l’acte d’un monumental rot. Le food porn en retourne à l’échelle humaine. Ainsi l’émission consacre t-elle autant de place aux pizzas pimentées et aux crêpes gigantesques qu’on confectionne près de Brocéliande qu’au rire rabelaisien de cet hédoniste excessif. Le reste de la production food tv a bien pâle figure face à ce road trip organique, pur comme du Steinbeck.
Quand Depardieu mange, il se marre, gueule, se perd dans ses pensées parfois. « JE SUIS GERARD DEPARDIEU. JE SUIS CITOYEN DU MONDE ET JE SUIS VIVANT » précise l’intro. Aucun doute là-dessus, le concept est assumé jusqu’au bout, pas tant l’ode à la bouffe que sa dimension introspective voire existentialiste, car, loin des rigolades trop légères d’un Norbert et Jean, il s’agit à travers cette food tv de dépeindre “cette vie gastronomique que nous dévorons…à pleines dents.”. Passé, présent, plaisir et pets : le food porn selon Gérard Depardieu est le plus beau des éloges, entre insouciance et sagesse.
En écho, nous le clamons donc à qui veut l’entendre : LE FOOD PORN EST VIVANT.
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