Retour sur le WHAT THE FUCK ? FEST *** !
La nuit passée – après avoir participé au What The Fuck? Fest****! qui est bien plus qu’un festival mais un espace protégé, pour tous, un refuge planté dans un cirque (Le Cirque Electrique, Porte des Lilas) – j’ai quitté cette bulle pour pénétrer de nouveau dans ce que l’on appelle la réalité. En prenant le métro jusqu’à Montmartre, j’ai été réveillé brutalement sur le trajet. La France venait de perdre face au Portugal en finale de l’Euro 2016 et une certaine main, un ballon de foot et l’arbitre étaient apparemment fautifs. Plongé dans la masse tricolore, démultipliée en perruques, sur les visages des supporters, sur leurs chaussettes, chaussures et maillots de foot, je fendais la foule. Ils avaient l’air résignés, abattus, certains pleuraient et leur défaite venait clasher avec mon bonheur et mon envie de danser. J’avais l’impression d’être un alien parmi eux. Je ne pouvais partager leur tristesse et leur défaite après tout ce que j’avais vu, senti, partagé, écouté pendant ce festival. Pour une fois, ces gens étaient les autres et cette majorité d’hétéros cisgenres, la norme, perdait sévère.
Commençons donc par saluer le festival pour m’avoir donné le courage de résister à l’oppression !
Le temps était magnifique durant le festival, le lieu parfait, à la confluence de Paris et de ses banlieues, en surplomb sans être prétentieux. Après l’attentat de Nice, j’aurais voulu remonter le temps et m’y réfugier et simplement y vivre pour toujours. Hors du temps et de l’espace, hors de la réalité, mais bien réel, tout cela contribuait au sentiment d’inclusivité totale qui transpirait là-bas.
Tous les gens présents, que ce soit le public, les performers ou le staff du cirque étaient différents les uns des autres. Ils menaient des vies différentes, avaient une apparence différente de leur voisin et pourtant étaient tous habités par la même envie de se rassembler. Des personnes aux vues totalement opposées venaient débattre et arrivaient à changer radicalement d’opinion en l’espace de 48 heures.
Franchement, je m’attendais d’abord à un freak show, à une parade, mais il n’en a rien été. L’évènement n’était pourtant pas dénué d’une forte dimension politique. J’ai été complètement soufflé par le vent de liberté qu’on ressentait là-bas, je l’ai rarement senti à Paris. C’était un mélange de bush australien – pour la chaleur – et de scène arty berlinoise, sans les drogues. Sur la terrasse – haut lieu de rencontre entre les artistes, les performers, le staff et le public – les gens conversaient autour d’un verre et échangeaient leur point de vue et leur ressenti sur les performances et les films auxquels nous assistions tous religieusement. Ce forum fort apprécié avait un processus démocratique et participatif, chacun était libre de parler et d’échanger. Nous n’étions pas seulement présents pour parler de sexe, de sexualités et de pornographies.
Le WTFF était un exemple de jeunesse en action, de politique sans politiciens, tout cela de façon organique, sûre, sans vanité, ni consumérisme, ni superficialité. Durant mon passage là-bas, j’ai quitté mon short en jean pour un short de sport plus court pour finir par enlever mon tee-shirt et rester seulement en jockstrap. Certes, je travaille nu la plupart du temps, mais être nu dans un contexte désexualisé m’a fait revenir à des temps plus simples où les gens vivaient à poil sans se sauter dessus pour autant. J’avais l’impression de vivre sur une île déserte #freethenipple et quand floZif nous a arrosé de son jet d’eau, nous avons saisi l’occasion et nous sommes tous déshabillés. J’avais de nouveau sept ans entouré de papa et maman en Normandie et j’étais heureux. Il serait d’ailleurs intéressant pour la prochaine édition d’ajouter un espace dédié à l’expression de la tension sexuelle car regarder du porno toute la journée au milieu d’une diversité et d’une beauté à tout épreuve, dans une chaleur de four concentrée sous un chapiteau de cirque, donnait envie aux gens de baiser. C’était fou.
Vous pouviez, en guise de substitut, expérimenter avec la réalité virtuelle et vous plonger dans une partie de jambes en l’air d’inspiration 22ème siècle japonais et voir ce qu’une femme, un homme et une personne trans, ressentaient par session de vingt minutes. Mon ami et artiste Arnaud Dardis m’a confié qu’il aurait été heureux de voir les participants reproduire IRL les mouvements des performers qu’ils voyaient dans le casque, qu’ils touchent les gens et s’embrassent comme dans la vidéo. Je suis bien d’accord.
Vous pouviez aussi regarder WHEN WE ARE TOGETHER WE CAN BE EVERYWHERE de l’artiste suédois Marit Östberg dont le film a été tourné à Berlin et ressentir le besoin immédiat de devenir une femme. Je n’avais jamais vu de femmes avoir de tels orgasmes dans une forme primale dénuée de tout sentiment sociétal. Un vrai appel à l’animalité. Splendide. J’ai également eu la chance de pouvoir discuter avec Kay Garnellen, un acteur et réalisateur français FTM, l’une des stars du festival pour moi. Deux des films auxquels il a participé étaient programmés et il a mené une conférence sur le porno trans. J’ai un peu craqué sur lui pour être honnête. Il est trop chaton. Être libre, c’est le nouveau sexy pour moi. Nous avons aussi eu l’opportunité de regarder quelques films de l’œuvre d’Antonio Da Silva, un réalisateur portugais basé à Londres, mais la multiplicité de chibres, de couilles, de bites bandées dégorgeant de sperme était un peu too much. Et ça n’a certainement pas apaisé ma frustration sexuelle non plus.
La nuit de samedi a été un des temps que j’ai préféré car il a donné la parole à une catégorie inaudible de personnes dans notre société. En France, mais plus généralement en Europe, les travailleurs du sexe sont perçus d’une certaine façon, le fantasme qu’ils véhiculent et leurs activités sont toujours dépeintes sous le même prisme, les politiciens et certains intellectuels se sont engagés dans une véritable croisade paternaliste puant le dédain afin de les sauver, ce qui passe très mal avec moi. Pendant le What The Fuck? Fest****! vous pouviez écouter des travailleurs du sexe se raconter, partager leurs opinions, expliquer qui ils sont en tant qu’êtres humains et qui ils sont au travail. Ce faisant, l’espace intime affleurait de l’entre-deux devant le public, l’emplissant de désir et nous faisant baver comme si l’on était client. C’était fantastique.
En tant que travailleur du sexe qui relate son expérience dans l’industrie dans un journal intime depuis trois ans, j’ai été stupéfait par la force de Traumboy écrit et joué par Daniel Hellmann qui fait son spectacle à Avignon en ce moment. Ce gamin, qui apparait telle une créature de rêve, un cliché physique d’homo, un bourge de Suisse, blanc, privilégié, nous a mis à ses pieds. Son spectacle est brillant, participatif, déconstruit les clichés sur le travail du sexe que la plupart des gens se font, jouant sur le fantasme, montre que les TDS ne sont pas que des putes, mais des gens comme vous et moi, avec des failles, des rêves et une vision du monde, parfois des artistes, sans omettre la violence et les stigmas polluant toujours le plus vieux métier du monde. Daniel conclut son spectacle en se foutant à poil et en se parant d’une tenue de footballeur américain, incarnant alors le fantasme, le cliché, ce pourquoi les gens nous payent la plupart du temps, et je me suis demandé s’il n’était pas fatigué de tout cela. Dieu sait que je le suis.
J’ai aussi beaucoup appris pendant le festival. J’avais peur au début qu’il ne s’adresse qu’à une poignée d’irréductibles, des gens issus de certaines communautés, que ça allait être hautement intello, un peu poseur, une attaque en règle contre l’hétéronormativité et en gros un exercice de masturbation intellectuelle pour personnes déjà bien au fait de ces thématiques. Rien de tout ça n’est arrivé. J’attribue cette réussite à l’intelligence de Marianne Chargois, Amaury Grisel, floZif et Nathalie Mondot, les organisateurs, par ailleurs artistes et performers, ce qui rend la chose viable. What The Fuck? Fest****! est allé au delà de son mandat initial : montrer l’expression de sexualités alternatives et marginales, dans leur franche nudité et créer une conversation autour d’elles.
Le festival a transcendé tout ça en aidant à reconsidérer le monde dans lequel on vit, ses limites, ses lois, ses us et coutumes, ses traditions. C’est pour cela que j’insiste qu’en soi, c’était un évènement politique. En choisissant des sujets à fort caractère politique, le sexe, les sexualités, leurs définitions, leurs pratiques, leurs relations au pouvoir, à l’argent, au travail, le festival a esquissé une nouvelle façon de penser la vie en communauté que tout un chacun peut faire sienne et appliquer au quotidien. C’était fort nécessaire et le public y a répondu positivement. Les gens à qui j’ai parlé avait le même ressenti, ils étaient libres. Cela peut paraître trivial mais il me paraît primordial de le souligner, le WTFF était un exercice de liberté politique.
C’était un vrai doigt d’honneur au monde hétéronormatif dans lequel nous avons grandi, que nous prenions pour modèle inné, c’était être queer dans son expression la plus véritable, libératrice et belle, tout en étant d’une simplicité enfantine. Rien n’était forcé, rien n’était montré pour choquer le quidam, comme peut l’être une certaine forme d’anarchisme totalitaire, alors que chaque film, chaque performance collait au plus près des yeux du spectateur, et aurait pu choquer ou déclencher de profonds remous chez certaines personnes. Peut-être que cela a eu lieu, mais dans l’ensemble ce festival a permis de faire bouger les lignes, de les gommer, dans cette ère communautariste dans lequel le Blanc Homosexuel est Roi et les personnes Trans, les personnes au Genre Non Conforme ou Non Binaire se retrouvent asphyxiées au fond du trou.
La présence de personnes hétérosexuelles était également un mal pour un bien. Certains participants ne connaissaient rien au langage queer, qui peut parfois paraitre abscons. Leur présence a permis de redéfinir l’espace, de le mettre en perspective et de le réaliser. Être queer est une prise de position politique sur le monde, quelque chose de vital bien que souvent montré du doigt et méprisé. Généralement, ses expressions peuvent être trop strictes dans le sens où queer est une nouvelle super étiquette désignant toute personne à la sexualité marginale, au genre non conforme, non binaire, et leurs alliés. Au festival, tout le monde se foutait bien de qui tu baises, de qui tu aimes, de comment tu te définis, si tu te définis, et de la façon dont tu t’identifies. C’était un rassemblement d’humains, une expérience tribale.
Je me rappelle aussi RuPaul enjoignant les gens à trouver leur tribu. J’ai eu le sentiment de l’avoir enfin fait. Personne ne te jugeait, les gens expérimentaient d’autres façons d’être ensemble, ils assumaient l’animalité du sexe sans tomber dans le travers de l’accumulation (la baise sans sentiment, le contraire de l’animalité), ils communiaient et communiquaient via la sexualité, touchant ton âme, et détruisant la binarité originelle : homme ou femme, homo ou hétéro, copain ou copine, fidélité ou polyamour, sexe performatif ou sexe organique. Dans ces temps où des personnes de la communauté LGBT se retournent contre eux-mêmes et contre nous dans des expressions de violences inouïes (personnes dont l’homophobie internalisée se cristallise en acte de guerre – pensez à Orlando, pensez à Nice, ce sont des hommes homo ou bisexuels qui nous ont tués) il est important de montrer que même si l’on se sent différent ou aliéné toute sa vie, il existe des gens qui nous comprennent, qui nous aimeront et que tout ira mieux dans le futur.
Bienvenue au What The Fuck? Fest****! Un grand merci aux organisateurs, au staff du Cirque et à Eleonore pour nous avoir accueilli aux portes de ce micromonde.
Photo en une : Martin Poppins © Camille Sauvayre
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