1001 Fesses : « Notre petit projet pour l’amour de soi, du corps et des femmes »
De Mapplethorpe à Linder Sterling, en passant par Tom of Finland, je ne vous ai pas ménagé en termes de sex, drug and rock’n’roll. Alors maintenant posons-nous un peu avec le doux projet photographique 1001 Fesses tout droit sorti du Canada. Ces deux amies, Emilie la photographe et Frédérique son acolyte, vous déclament une jolie poésie des corps féminins. Véritable ode à nos fesses trop grosses, trop plates, trop molles, elles les photographient pour les glorifier. A vos objectifs, forçons le zoom de l’autre côté de l’Atlantique.
Comment a débuté votre projet ?
On n’arrête pas de dire qu’on a commencé il y a deux ans, alors qu’en réalité ça fait déjà un petit moment. Nous, on est meilleures amies depuis 15 ans, on a grandi ensemble. Et puis on a vu nos corps se transformer, on savait qu’on n’aimait pas trop nos fesses, alors on s’est dit un jour qu’on pourrait peut-être faire un projet sur les fesses, sur 1001 fesses, que ça nous aiderait peut-être à nous aimer un peu plus. Et puis, Emi avait déjà des images dans ses collections à elle. On a pris d’abord nos amies et des femmes que l’on connaissait et le projet s’est rapidement enflammé.
Quels sont vos gimmicks ? Est-ce que vous avez un processus lors des shooting ?
En dehors de produire des belles photos, pour nous c’est avant tout des rituels qu’on essaye de faire de façon respectueuse et humaine. On arrive chez quelqu’un ou alors dans la nature, on choisit l’espace qui nous attire, où la lumière est la plus belle. Ensuite, on voit avec la femme si une pose X ou Y fonctionne pour elle, puis elle se met en robe de chambre. Une fois qu’on est prêtes à faire « clic », parce que c’est de la pellicule donc on ne peut pas se permettre de passer 12h à shooter, là très respectueusement on enlève la robe de chambre, on ajuste en fonction de la lumière, on prend la photo et on recouvre rapidement la femme et le shooting est fini.
On a essayé d’instaurer certaines choses : prendre un thé ou un café à chaque fois, prendre le temps de papoter… On ne peut pas dire à froid : « Ok, go, toute nue ! ». Mais c’est vrai que ça dépend de chaque situation, c’est un peu du cas par cas, mais c’est certain que le contact humain au préalable nous permet de parler de nos propres complexes. On peut faire des blagues à notre sujet, des fois ça met les gens un peu plus à l’aise.
Avez-vous une demande importante de la part des modèles ?
Oui ! Au début on gérait ça par e-mail mais on recevait beaucoup de mails personnels où les gens se confiaient énormément sur leurs complexes ou des choses qu’ils avaient vécu dans leur vie. Puis finalement, on s’est dit que c’était très dur de gérer au cas par cas, surtout au niveau des horaires. On a donc fait un groupe privé sur Facebook. Dessus on prévient en disant dans quelle région du Québec on sera dans les semaines suivantes afin que celles qui sont disponibles puissent nous prévenir. Ça nous permet de communiquer directement avec les femmes intéressées et faire un suivi après si on veut partager des images. Pour le moment on est un peu en dessous de 1 000 volontaires.
Ça a pris combien de temps de récolter autant de likes et de volontaires ?
Ce côté-là a vraiment été rapide. L’année passée on a fait une campagne de financement, mais en la commençant notre page Facebook a été fermée : on avait juste partagé une image mais Facebook a fermé la page. Ça a vraiment mis des bâtons dans les roues de la campagne. On est passé de plus de 6 500 personnes qui suivaient le projet à 0. Depuis un an, on est à 3 400. Mais c’est vraiment très dur de remonter.
Quels sont les retours de la part de vos modèles ? Comment réagissent-elles face au portrait que vous faites d’elles ?
C’est assez différent mais généralement les femmes nous envoient un petit message en disant « Whou, ça m’a vraiment fait du bien de faire le shooting, ça m’a vraiment libérée », comme s’il y avait dans ce rituel quelque chose de libérateur. Je ne sais pas si c’est le fait de se mettre à nue, de se faire prendre en photo par une professionnelle qui permet de prendre confiance, mais souvent les femmes se sentent bien. Il y en a d’autres qui trouvent que c’était un peu spécial, que c’était étrange. Une fois que les photos sont prêtes, on leur demande toujours leur avis concernant la publication. Même si on a fait le shooting, elles peuvent toujours refuser de publier les photos.
Quelle a été l’expérience la plus enrichissante depuis vos débuts ?
Récemment, on a fait cinq jours intensifs à Québec où on était juste toutes les deux à fond dans le projet. On voyait une modèle le midi, une l’après-midi. On ne peut pas en voir trop parce que ça prend du temps, et puis si on veut être concentrées, si on veut vraiment écouter les femmes, ça prend de l’énergie.
J’aimerais revenir sur le cas de censure dont vous avez été victimes. Le 10 novembre, vous avez posté une vidéo sur Facebook en montrant que vous étiez dans les locaux du réseau social à Toronto pour essayer de discuter de ce sujet là. Qu’est-ce que ça a donné ?
On était contentes de réussir à rentrer dans les bureaux de Facebook Canada, mais on n’a aucune idée de ce que ça va donner. Ils nous ont fait remplir des papiers mais honnêtement, c’est tellement une grosse machine qu’on ne s’attend absolument à rien. C’est vraiment les petits contre les grands, on n’a pas une grosse marge de manoeuvre. Pour nous le rêve serait que notre ancienne page soit réactivée, qu’on retrouve notre ancienne communauté, spécialement la communauté européenne puisque pour les gens au Québec c’est bon, ils connaissent, ils en ont entendu parler mais pour l’Europe, c’est vraiment difficile. Sinon, on va continuer tout doucement sans jamais contre-dire les règlements de Facebook.
On voit beaucoup de cas de censure avec, par exemple, Petra Collins. Cette brutalité a amené toute une réflexion autours de la question du droit des femmes à disposer de leur corps sur Internet. Que pensez-vous de la censure imposée par les réseaux sociaux ? Comment avez-vous réagi à la fermeture de votre page ?
Ce qui m’a le plus choqué est le fait que ce ne sont clairement pas des humains qui ont regardé nos photos parce que c’est tellement artistique ! C’est de la nudité mais elle a tellement peu de vulgarité par rapport à des images que l’on voit passer sur Facebook. Puis nous, avec notre petit projet pour l’amour de soi, du corps et des femmes, tout en douceur… Moi, c’est ça qui m’a choqué en mode : « Mais attend, ce sont des algorithmes qui regardent s’il y a un pan de fesse qui n’est pas couvert par un string ? ». Là soudainement, on se fait shut down tout le projet. J’ai trouvé démoralisant de devoir recommencer et de se rendre compte qu’on est dans ce monde-là, que l’art est censuré à ce point contrairement à d’autre choses que l’on voit.
Par rapport aux corps de la femme, je pense qu’il y a en ce moment plein de projets qui essayent de le réapproprier d’une autre façon pas toujours sexualisée. On était pas très politisées à la base, on avait pas forcément un point de vue féministe ou engagé, on n’essayait pas de mettre des étiquettes sur notre approche, on voulait juste être dans la beauté, dans l’authenticité et montrer des choses grandioses dans les images, dans les paysages, dans les femmes, dans leur force… C’était une manière pour nous de parler du corps de la femme d’une autre façon. Et le fait de ne pas être des hommes est important afin que les femmes parlent de la féminité, du corps, de l’échange…
Qualifiez-vous vos photos comme un outil d’empowerment pour les femmes ? Est-ce que vous vous considérez plus féministes depuis le début du projet ?
J’imagine qu’on est toutes un peu féministes. En fait, la difficulté est que le mot « féminisme » a pris tellement de définitions, d’implications à certains niveaux dans lesquels je ne me reconnais pas du tout, que j’ai un peu de peine à associer ma vision au mot. J’ai un peu l’impression d’être perdue là-dedans, je ne vais pas me prononcer là-dessus parce que pour certaines personnes être féministe c’est telle chose, pour d’autres c’est autre chose… Après, qu’on le veuille ou non, on parle de réappropriation du corps, de libération, on parle d’authenticité, de plein de trucs qui concernent en ce moment de nombreux débats féministes.
Il existe plusieurs féminismes où chacune et chacun se retrouve dans leur définition. Si on nous dit, « Vous êtes féministes », OK, si on nous dit « Vous ne l’êtes pas », OK ! Notre discours parle en lui-même, c’est ça le but, on n’a pas besoin d’être impliquées dans un mouvement pour être entendues. On pense que l’idée serait d’utiliser les images sans trop de blabla autour. Et je trouve que ça fonctionne bien vu comment les gens répondent.
Mais c’est sur qu’on vit des moments féminins vraiment forts. Je pense que ces moments nous font découvrir notre propre potentiel féminin, nos propres archétypes, la façon dont on considère les gens. Et puis le fait d’être dans des lieux sécuritaires pour discuter avec d’autres femmes dans l’intimité, c’est vraiment des espaces pertinents pour se questionner, à savoir, où en est-on dans ce gros débat de société ? Pour le moment on suit un peu ce qui se passe sans être trop engagées.
Quels sont vos projets futurs ?
Pouvoir sortir du Canada et des Etats-Unis pour venir vous voir en Europe. Ça serait ça le but. Et puis là on a déjà 250 images et l’idée serait d’en avoir 1 000 évidement. On va essayer de faire un événement spécifique pour voir les oeuvres en vrai aussi, parce que sur l’ordi c’est intéressant mais ce n’est vraiment pas pareil. Nous on a vraiment été touchées lors de la première expo, c’est fun d’aller voir en vrai, de voir les gens qui regardent chacune des photos. C’est vraiment l’idée, faire des expos, rencontrer des femmes qui nous suivent un peu partout dans la région et un peu partout dans le monde. Et puis de terminer avec 1001 photos. Après ça je ne sais pas trop ce qu’on pourra faire, peut-être une publication, un livre ou quelque chose. On verra, c’est encore très loin.
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